C'est par un heureux hasard qu'à quelques jours de mettre un point final au manuscrit de mon «Anthologie des écrivains marocains de l'émigration» (La croisée des chemins), je rencontrai le consul de Belgique à Casablana, Luc Jacobs, et lui demandai des nouvelles (dans tous les sens du terme) de Rachida Lamrabet dont la pièce «Belga» fut jouée à Casablanca à la fin de l'année dernière. Aussitôt, mon sympathique interlocuteur multiplia les appels téléphoniques en Belgique. Il finit par joindre Rachida, qui établit à quelques jours d'accoucher d'un nourrisson dont j'entendis, tout récemment les vagissements, alors que la romanière et nouvelliste néerlanodphone me promettait, toujours au téléphone, un nouvel envoi de ses textes désormais plus nombreux à être disponibles en traduction française et donc j'éspère fort qu'ils seront bientôt publiés. Le Prix flamand de la première oeuvre a couronné «Vrouwland» en 2008 en Rachida Lamrabet a publié peu après «Eeen Kind Van God» ( Un enfant de Dieu), un recueil de nouvelles. L'une d'elles figure dans l'anthologie… et on y découvre, comme déjà dans «Belga», une voix vive et libre, soucieuse des tourments et des talents de la jeunesse, attentive à dire l'intelligence et sensibilité d'autrui, le rêve, la révolte, le besoin d'amour et le goût de l'ironie envers soi-même. Tout ceci est encore plus marqué dans «Vrouwland» (Le pays des femmes) que Marianne Moitreau a entrepris de traduire en français et dont Rachida m'a adressé quelques pages impressionnantes. En effet, elle est une auteure dont on ne peut prétendre qu'elle écrive pour ne rien dire. Les personnages auxquels elle donne la parole, Rachida Lamrabet semble toujous s'être tenue au plus près de leurs espoirs comme de leur éventuelle détresse ou de leurs désillusions. C'est moins l'espoir mis en soi que l'espoir mis en autrui autour duquel gravitent ceux qui doutent d'eux-mêmes et de la condition qui leur est faite comme s'ils ne pouvaient ni la changer ni la considérer avec aplomb. Les deux amis Younes et Noureddine ont leurs cahiers d'écolier aux pages remplies de formules mathématiques, d'excercices de grammaire et de l'exégèse du coran. Younes se demande pourquoi n'appartient-il pas à «L'oumma des consommateurs», formule par laquelle Rachida Lamrabet désigne ceux qui vivent du bon côté de la réalité. Younes sait que, dans son monde à lui, les gens ont la mine moins rayonnante que celle des personnages sur l'écran de la télévision : Les personnages de la «boîte magique», Sandouq l'Ahjab, comme sa grand-mère appelait la télévision. (…) Ils peuvent nous regarder manger, c'est indécent de manger alors que d'autres vous regardent. Rachida Labrabet ne s'en contente pas. En effet, Younes va s'interroger plus sérieusement que ne l'a fait sa grand-mère : «N'était-ce pas indécent de nous montrer de manière éhontée et sans y être invité qu'eux menaient la vraie vie, une vie digne d'un être humain, dans une abondance décadente et pas nous». L'auteur n'interdit pas aux protagonistes de sa fable de porter des jugements contradictoires : si la vie montrée à la télévision est décrite comme «digne d'un être humain», ce qui signifie donc tout simplement digne, pourquoi nommer décadente l'abondance dans l'accès aux biens et aux services ? C'est qu'au fond, semble-t-il, l'un des sujets les plus finement abordés par Rachida Lamrabet, c'est l'ambivalence des individus quant à leur place dans la société, leur désir amoureux, leur identité personnelle ou collective. Younes a obtenu un premier prix de poésie arabe à la fac. Est-il irédible d'écrire que ce prix consistant en «un recueil de poésie défraîchi de Mahmoud Darwich et dix cahiers» ? Younes est obsédé par le souvenir de Mariam, laquelle est retournée en Belgique après les vacances. La «saison des poules», c'est ainsi que les jeunes gens nomment les vacances qui voient l'arrivée des «filles originaires d'Olanda» et aussi de ceux que Rachida connaît et peint le mieux «les garçons et les filles de Belgique» introvertis, un peu naïfs, les plus Marocains de tous. Les filles achetaient chaque année une onéreuse takchita neuve, fait main pour briller aux cérémonies de mariage à Anvers ou Bruxelle ! Rachida Lamrabet semble, parmi les écrivains néerlandophones que nous avons pu commencer de découvrir dans la diaspora marocaine de Belgique comme des Pays-Bas, celle qui, avec le plus de détermination et souvent une sorte de drôlerie pince-sans-rire, cherche à rendre compte au plus près des états d'âme et des sautes d'humeur, des rêves et des railleries dont la jeunesse attise les feux. Pourvu que la traduction française de «Vrouwland» trouve bientôt un éditeur et que d'autres suivent, dans d'autres langues, parceque Rachida Lamrabet comme on pourra le vérifier en lisant la nouvelle incluse dans «Anthologie des écrivains marocains de l'émigration» est une conteuse possédant un vaste don d'empathie et un talent tout simplement généreux. Dans le drame comme dans la farce, sa voix sonne juste.