En littérature aussi, il arrive que la détermination soit récompensée. Et lorsque, comme s'y emploie Moussa Konaté, cette qualité est mise aussi au service des autres plutôt qu'au seul profit de qui la possède, on doit dire «chapeau !». Moussa Konaté, écrivain malien né en 1951 fut enseignant mais choisit de tenter de vivre de sa plume, ce qui, on le sait, n'est pas loin de tenir de la gageure. Son premier roman «Le prix de l'âme» le fit connaître de ceux qui avaient déjà lu d'excellents romanciers maliens comme Yambo Ouologuem on Seydou Badian et découvrirent le chef-d'œuvre d'Ibrahima Ly «Toiles d'araignées» ( L'Harmattan, 1982). Créateur en 1997 de la maison d'édition malienne Le Figuier, Moussa Konaté y a publié aussi bien dans les langues nationales de son pays qu'en français. Son endurance et son désir de désenclaver les écrivains maliens l'ont amené à créer en France, dans le Limousin, une maison d'édition à laquelle il a donné le nom d'Hivernage. Konaté est devenu véritablement, à sa modeste mesure mais avec une implication totale, un «passeur» entre l'Afrique et la France. Il a publié en 2010 chez Fayard un essai intitulé «L'Afrique noire est-elle maudite ?» qu'a préfacé Erik Orsenna, lequel salue en lui «un esprit de large envergure, de grand savoir, d'honnêteté incontestable et surtout de courage». C'est bien le sentiment que me donna la lecture du troisième roman de Moussa Konaté «Fils du chaos» (L'Harmattan, 1986) que je saluais dans mon ouvrage «101 Maliens nous manquent». ( Arcantère, 1987). «Fils du chaos» ( L'Harmattan, 1986), son troisième roman publié, met en scène un fonctionnaire dans l'administration, l'un de ces détenteurs des signes du pouvoir : un bureau, un téléphone, de nombreux dossiers, une secrétaire -pour ne rien dire d'une maîtresse, joliment appelée «deuxième bureau» en Afrique de l'Ouest. Ceux qui abusent des possibilités que leur ouvre leur relative puissance sont ceux sur lesquels les romanciers d'Afrique noire exercent volontiers leurs sarcasmes, appelant ainsi à une éventuelle rédemption des êtres que l'apparence a attirés dans ses filets et qui sont devenus arrogantes et pitoyables marionnettes de la vanité. Ils sont alors des prédateurs, des accapareurs, des fantoches grinçants que traverse parfois un vague soupçon proche de l'auto-accusation. Hamadi, le fils du chaos, éprouve devant sa propre réussite une satisfaction mitigée. Il est irrémédiablement blessé par son enfance et demeure à jamais la victime d'un père brutal. Son meilleur souvenir, c'est sans doute, malgré la punition qui s'ensuivit, d'avoir manqué l'heure de la prière pour rechercher des nids d'oiseau dans les broussailles et qu'un ami l'ait rassuré en affirmant : «ton vieux est un déconnard». «Alors il m'avait conquis. Badian était un déconnard, il me cassait les pieds». Moussa Konaté raconte la sourde révolte de Hamadi contre la loi du père polygame, contre les coups reçus à l'école coranique chaque fois qu'il se trompait dans la lecture ou la récitation. Ce qui importe au lecteur de «Fils du chaos», c'est la description minutieuse d'une société paysanne et patriarcale, l'allusion aux pratiques magiques, la protestation désespérée contre la catastrophe qu'est la sécheresse : «Alors, on décidera d'implorer la clémence du Seigneur. On demeurera des heures entassés dans la petite mosquée, chantant les louanges de l'Eternel, mais l'Eternel restera courroucé car il maintiendra fermées les portes de la pluie. On offrira alors des sacrifices à Moussokoroni qui fera la sourde oreille, elle, la pauvre statuette de bois plantée dans un coin de brousse». Hamadi est tourmenté par des remords et des alarmes toujours vivres. Cet adulte qui profite à sa manière de la division du pays entre nantis et anéantis nous parle de l'être et de l'avoir, au Mali ou ailleurs.