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Les mille et un visages du cactus
Publié dans Les ECO le 05 - 05 - 2010

S'il existe un végétal qui mérite le qualificatif de plante aux mille visages, c'est bien le cactus. En effet, son potentiel de valorisation est tel qu'il constitue un véritable levier de développement économique et social.
Un outil de développement social
Il y a , déjà, le produit phare, la figue de barbarie. Très populaire auprès des Marocains, ce fruit a également investi le filon de l'épicerie fine. Fauchon Paris propose, d'ailleurs, des figues de barbarie confites pour la modique somme de 3 euros l'unité. Servant également de produit de base à la préparation de confiture ou encore de «nectar», les figues de barbarie pâtissent d'un sévère handicap. En effet, 90% des fruits produits périssent sur pied, principalement en raison d'un défaut de logistique ainsi qu'en raison du caractère enclavé des principales zones de production, situées à Guelmim. Pour y remédier, 170 km de pistes ont été aménagées, pour un budget de 13 millions de DH (voir interview). De plus, des unités de conditionnement verront prochainement le jour grâce à un partenariat entre l'Agence de développement des provinces du sud et le PNUD. En attendant, des coopératives de la région ont trouvé un moyen original de tirer parti de ces fruits périssables, notamment en s'activant dans l'élevage de dindes et de poulets beldis, qui se nourrissent exclusivement de figues de barbaries.
Le luxe aussi
La collaboration entre l'Agence du sud et le PNUD a permis de donner le jour à d'autres actions du même type dans la région de Guelmim. Un budget de 40 millions de DH a été débloqué dans le cadre du programme Cactus, incluant entre autres la partie technique, la formation, les tests marketing ainsi que la R&D. C'est ainsi que deux produits dérivés du cactus bénéficient d'une certification bio (délivrée par Ecocert). Le premier répond au nom évocateur de «Nopalitos». Inspiré d'un plat amérindien qui remonte à l'époque précolombienne, les nopalitos sont des filets de raquettes de cactus. Faisant partie de la nourriture diététique proposée en épicerie fine, ce produit dérivé devient de plus en plus populaire en raison de ses multiples vertus. Riches en vitamines, en sels minéraux et en acides aminés, les filets de raquette de cactus ont un effet prouvé sur le système nerveux, ainsi que sur la désintoxication de l'organisme en général et du foie en particulier. Toutefois, s'il y a un produit qui semble en passe de «faire un malheur» à l'international, c'est bien l'huile extraite des graines de figue de barbarie. Certains l'assimilent à un véritable élixir de jouvence vu ses propriétés régénératrices pour la peau. Bénéficiant également de la certification bio délivrée par Ecocert, cette huile se vend sur certains sites Internet spécialisés dans les cosmétiques bios. À titre d'exemple, l'un de ces sites propose un flacon de 15 ml à 41 euros. Mais si le prix de cette huile atteint de tels pics, ce n'est pas seulement en raison de son effet rajeunissant. Karim Anegay, le coordonnateur national du programme Cactus, estime que les prix seront amenés à baisser dès que son processus de fabrication sera rationnalisé.
Green Technology
Toutefois, le produit dérivé du cactus qui présente le plus fort potentiel à l'exportation est une molécule répondant au nom d'AGP, pour arabinogalactane protéine. Découverte par Mohammed Elaghdef Malainine, un chercheur marocain originaire de Laâyoune, l'AGP est le meilleur bloqueur naturel de graisse qui existe. Contrairement aux produits amincissants qui agissent chimiquement sur l'organisme, l'AGP forme un gel autour des graisses ingurgitées, empêchant ainsi leur assimilation au cours du transit intestinal. Cette molécule fait d'ailleurs l'objet d'un brevet international déposé par Malainine, qui a créé une société répondant au nom de Green Technology. Fait intéressant: c'est l'un des rares cas de start-up 100% marocaines créée grâce à un incubateur, celui de l'université Cadi Ayyad (Marrakech) en l'occurrence, qui détient 24% du capital de Green Technology. Le potentiel de cette découverte est énorme, compte-tenu du succès de certains produits similaires. À titre de comparaison, Alli, produit du laboratoire GlaxoSmithKline, a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 7,7 millions d'euros dès le premier mois de son lancement! Des chiffres qui font rêver quand on pense à l'éventuelle «razzia» que l'AGP 100% marocaine pourrait faire sur les marchés internationaux. Bien que le brevet de cette molécule ait été déposé il y a près de cinq ans, sa commercialisation a été retardée suite à un problème de financement. Green Technology ayant été «lâchée» en 2009 par un fonds d'investissement national, ce qui n'est pas pour entamer le moral de Malainine qu'on qualifie affectueusement de «véritable Geo Trouvetou». Pour le chercheur, sa société a toutes les chances de connaître une croissance vertigineuse. Un premier fond d'investissement, Afoulky Invest, lui a fait confiance. Et la société est actuellement en pourparlers avec un pool d'investisseurs composés de cinq compagnies d'assurance et banques d'affaires de la place. Dans l'optique de sa commercialisation, la molécule miracle fait l'objet de tests cliniques in vivo sur des sujets européens, tests menés par le Centre d'enseignement et de recherche en nutrition humaine (France) ainsi que par la société Prodigest (Belgique). L'avenir s'annonce prometteur pour ce jeune chef d'entreprise dont le slogan est «tirer profit du fruit des pauvres pour faire maigrir les riches». Une saga qui a tous les atours d'une success story, Green Technology ayant déjà noué des partenariats commerciaux avec Cactus Factory (France) et Opuntia Valora, société du suisse Gilbert Vuillemin, qui a été le premier à introduire l'huile d'argan sur le marché nord-américain.
«Vers la mise en place d'un cactopole»Karim Anegay : Coordonnateur national du programme Cactus-Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du sud
Les Echos quotidien : En quoi consiste le programme Cactus ?
Karim Anegay : Au niveau national, le cactus occupe une superficie de 120.000 ha, pour une production totale de près de 1 million de tonnes de fruits. La région de Guelmim et la province de Sidi Ifni concentrent à elles seules la moitié de cette superficie, ainsi que de la production. Nous avons démarré ce programme avec des moyens modestes, en partenariat avec le PNUD. Nous avons alors adopté une logique démonstrative, pour montrer les innombrables voies de valorisation d'une ressource patrimoniale à la population locale. Depuis un an et demi, nous avons mis en place notamment des coopératives qui produisent de la confiture de figues, du nectar, ainsi que de l'huile et du filet de raquettes. Nous exploitons le cactus également dans l'alimentation du bétail, en nous basant sur le savoir-faire sahraoui. La variété de cactus de cette région est particulièrement adaptée à cet usage, car elle a peu d'épines. Mais là où la tradition locale se contentait de couper les raquettes de cactus en lamelles, nous avons développé de véritables formulations d'aliments pour bétail en nous basant sur le cactus et les produits locaux, en ajoutant du son, de l'urée, de la paille, et ce dans le cadre d'expériences pilotes.
Quelles sont les autres formes de valorisation du cactus ?
Comme une grande partie de la production périt sans que personne ne l'exploite, nous avons développé l'élevage de volaille à forte valeur ajoutée, comme le poulet beldi et la dinde, qui se nourrissent de ces fruits en surabondance au lieu de les laisser pourrir. Ce sont de petites actions mises en place dans un but démonstratif, alors que le potentiel total est énorme. Il y a 4 mois, notre directeur général, Ahmed Hajji a eu l'idée de créer un cactopole, qui sera un véritable pole de compétitivité dédié à la valorisation du cactus. Je tiens à préciser que le rôle de l'agence est de mettre en place un cadre favorable au développement de ce projet, de coupler les différentes synergies. Le but est que le privé prenne le relais, et je peux vous dire qu'il y a beaucoup de manifestations d'intérêt à ce sujet. Dans une logique intégrée et pour faciliter l'exploitation de cette ressource qu'est le cactus, nous avons beaucoup travaillé sur le désenclavement de certaines zones. 170 km de pistes ont ainsi été construites grâce à un investissement de 13 millions de DH, pris en charge intégralement par la DGCL (Direction générale des collectivités locales).
Quel en est le potentiel à l'export ?
Le programme Cactus, qui arrivera à terme dans un an et demi, nous a permis de prendre conscience du potentiel énorme de la valorisation du cactus, d'où l'idée de la création de ce pôle d'excellence que sera le cactopole. Seulement, il faut faire tout un travail de marketing pour exploiter pleinement ce potentiel, à l'image de ce que les Néo-Zélandais ont fait pour
le kiwi. Je fais le parallèle, car il existe à l'origine plusieurs variétés de kiwi, de taille et de couleur différentes. Pourtant, c'est un fruit du même calibre et de la même couleur que nous retrouvons sur le marché. Le même travail doit être fait sur la figue de barbarie qui doit être normée. Actuellement, le marché mondial de la figue de barbarie est de 25.000t à l'exportation, ce qui est très petit. Le Maroc en exporte 100 tonnes dans le meilleur des cas, ce qui est ridicule par rapport à sa production, mais nous ne sommes pas un cas isolé. À titre d'exemple, le Mexique, pionnier en la matière, dispose de près de 3 millions d'hectares de plantations sauvages, et de 55.000 ha de plantations irriguées de cactus. Bien que ce soit un gros producteur avec 480.000t de fruits, le Mexique n'exporte que 7.500t, ce qui est également dérisoire par rapport à sa production globale. Sur un autre plan, le rendement moyen au Maroc est de 8t/ha, alors qu'on est arrivé à 60t/ha en Israël par exemple. Le potentiel est donc énorme mais complètement sous-valorisé.
Le marché des dérivés du cactus est donc
amené à s'agrandir...
Absolument, mais il est difficile d'estimer sa taille réelle. La première chose à faire est de labelliser les terroirs, puis de normer la production, avant de développer les exportations. Sans pour autant oublier le marché local, dont on n'a jamais testé la réaction au fruit conditionné. Les investissements doivent suivre, bien entendu. Une unité de conditionnement nécessite un investissement de 10 à 15 millions de DH. Le programme Cactus de l'Agence du Sud avec le PNUD ayant une durée de vie de trois ans, nous n'avons pas le temps d'approfondir les études de viabilité pour ce genre de projets. L'objectif premier de l'Agence est le développement économique et social des provinces du sud, qui peut passer par la valorisation du cactus. En termes d'emploi, nous privilégions systématiquement le recours aux RH de la région, ce qui entre autres a permis le développement de nombreuses coopératives. À terme, le potentiel se chiffrera en millions d'hommes/jour. Et c'est toute une filière que nous comptons développer, qui créera des emplois dans la collecte, la transformation, mais aussi dans les transports, les services, le commerce, etc.
Une huile chère, mais...
Véritable produit de luxe, l'huile extraite des pépins de figue voit toutefois son prix revu à la baisse d'année en année. À 10.000 DH le litre il y a à peine un an, son prix a baissé de moitié et se stabilisera probablement à 2.000/3.000 DH d'ici l'année prochaine. Il est vrai que cette huile possède des propriétés «miraculeuses», notamment en raison de ses vertus anti- vieillissement de la peau. Mais ce n'est pas la cause de sa cherté. D'abord, il faut une tonne de fruits pour produire 1 litre d'huile, ce qui n'est pas très conforme aux préceptes du développement durable. Plusieurs personnes pensaient avoir trouvé un filon en or en exploitant cette huile. En fait, la principale cause de sa cherté réside en son process de production. Ce dernier ne permet pas de bénéficier des économies d'échelle qui découleraient d'un mode de production intégré. Le carmin, un autre produit de luxe extrait de la cochenille de cactus, fait l'objet d'échange d'expériences entre des experts marocains et mexicains.


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