On dit - et je dois dire que moi aussi je le dis souvent - qu'au Maroc, il y a une véritable fracture sociale, que c'est un pays qui roule à deux vitesses, et, enfin, que les Marocains d'en haut sont trop haut et les Marocains d'en bas sont trop bas. On dit aussi que même si Marx est mort - ce qui, d'ailleurs, reste à prouver - la lutte des classes, elle, en tout cas au Maroc, est toujours bien vivante. On disait tout ça, on le dit encore, mais, moi j'ai la preuve aujourd'hui, que tout ça n'a plus aucun sens. Attention ! Ceux qui croient que je vais faire un retournement de veste en direct vont en être pour leurs frais. Ça ne veut pas dire que je ne vais jamais le faire, mais je dirais tout simplement, que ce n'est pas, à l'heure actuelle, à l'ordre du jour. Maintenant, comme disait un ancien camarade qui avait été derrière les barricades et qui s'est retrouvé miraculeusement de l'autre côté de la barrière : qui vivra verra. Pour tout vous dire, je dis toujours que je ne suis pas vendable parce que je ne suis pas un vendu, mais si jamais j'ai une offre vraiment intéressante, je vous promets de l'étudier. À bon acheteur, salut ! En attendant, je voudrais vous présenter ma nouvelle thèse sur la fin de la lutte des classes et l'accalmie éternelle de la colère des masses. En vérité, même au temps où j'étais un grand dogmatique, j'ai toujours été quelqu'un de pragmatique. En d'autres termes, et pour reprendre un terme cher à mes anciens maîtres, je suis un adepte de la «Praxis». Je ne crois qu'en ce que je vois. Et, j'y arrive, ce que je vois ces derniers jours m'a définitivement convaincu que, quoi qu'on raconte ici, à droite ou à gauche, même si, soit dit en passant, on ne raconte plus rien ni à droite ni à gauche, pour la simple raison qu'il n'y a plus ni droite ni gauche, les Marocains ne font plus qu'un. Oui, et même s'ils paraissent, à première vue, très différents, au fond, les Marocains sont tous les mêmes. Vous voulez la preuve? Je vous la donne tout de suite. Dimanche dernier, tout le monde le sait, c'était le jour du fameux derby casablancais, le jour du combat des titans et de la bataille des gladiateurs, le jour où tous les Casablancais, que dis-je ? Tous les Marocains sont partagés en deux camps : l'un vert, tout vert, mais fermé à tout ce qui ne l'est pas, et l'autre rouge, et qui voit rouge dès qu'il voit un vert. Depuis la nuit des temps, l'un veut la peau de l'autre, et l'autre veut la peau de l'un. Si, l'écrivain et le poète se sont souvent posé la question pourquoi le rouge et le noir ne s'épousent-ils pas, personne ne s'est jamais demandé pourquoi les rouges et les verts, eux, ne s'aiment-ils pas ? Parce que cette question, normalement, ne se pose pas. Car tout ça n'est qu'un jeu. Un jeu d'amour. Je t'aime, mon non plus. Je te bats une fois, tu n'es pas content, tu me gagnes la fois suivante, je ne suis pas heureux, la fois d'après, c'est moi qui te donne une raclée, et, ensuite, on joue à celui qui ne joue pas, personne ne perd, personne ne gagne, tout le monde il est beau, tout le monde il est nul. Dehors, les rouges sont verts de rage et les verts sont rouges de honte. Ça s'égalise, ça se normalise, et, à la fin, ça fraternise. Il n'y a plus ni rouge ni vert, ni Fassi ni Berbère, ni patron ni prolétaire, ni jeune ni grabataire, ni ta tante ni ta mère, il n'y a plus que notre beau drapeau, tiens ! Rouge et vert ! En un mot, comme en 1.000, nous sommes tous des Marocains. Disent-ils. Vraiment, il n'y a pas à dire : je devrais faire de la politique !