C'est l'un des secteurs les plus complexes, des plus particuliers et des plus délicats à cerner. La pléthore d'intervenants et la multiplicité des interactions entre ces parties prenantes, génèrent la confusion dans l'esprit du citoyen lambda. L'industrie pharmaceutique est un marché à part, tout comme le médicament n'est pas un produit comme les autres. Ce n'est ni un produit que l'on choisit pour satisfaire un besoin, ni pour se faire plaisir. C'est en principe un produit d'utilité publique, sauf que les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas là pour faire du volontariat, mais bien pour rentabiliser leurs activités et dégager le plus de bénéfices possibles. Certes, l'innovation et le développement de nouveaux remèdes, nécessitent des investissements coûteux, mais quelle utilité pour les médicaments innovants s'ils ne sont pas accessibles à tous les patients qui en ont besoin ? Paradoxe En effet, même si le Maroc dispose d'une industrie pharmaceutique performante, il reste pourtant l'un des pays où les médicaments sont les plus chers au monde. Quoi qu'on en dise, c'est là une réalité concrète et objective. Au moment même où la dépense moyenne d'un Marocain en médicaments reste extrêmement basse: 370 à 400 dirhams par tête et par an. Ce constat paradoxal recèle de nombreux dysfonctionnements impliquant différents acteurs du secteur de la santé, mais à des degrés plus ou moins élevés. La victime par contre en est unique, le patient de manière directe et le contribuable de façon générale, puisque l'Etat y perd gros en remboursant des princeps à prix fort. Une situation qui reflète également les rapports de force qui opposent les différentes composantes du système de santé. Mais tout porte à croire que Yasmina Baddou,ministre de la Santé, poursuivra sa politique de réduction des prix et d'encouragement de l'usage des génériques. Même si le syndicat des officines soupçonne Baddou «d'avoir des motivations électorales dans les actions qu'elle mène». Pour cerner l'ensemble de la situation, il est primordial d'identifier les intervenants en question et de déterminer les interactions qui caractérisent leur activité. De ces relations naissent des rapports de force, dictés par les intérêts de chacun. Au centre du processus, se trouve le médecin qui prescrit le traitement à son patient. Ce dernier, s'il veut se faire rembourser par son assurance-maladie, est tenu d'acheter la marque de médicament prescrite (et pas une autre) auprès de son pharmacien, même s'il en existe aux effets identiques et à moindre prix. Le médecin, quant à lui, est informé sur les médicaments par les délégués médicaux, travaillant pour le compte d'un des industriels pharmaceutiques et rémunérés majoritairement par un salaire variable. Un détail de taille, puisqu'il motive le délégué médical à promouvoir les médicaments de son employeur comme tout autre produit. L'industriel, de son côté, dispose d'une grande capacité commerciale et marketing (colloques, séminaires, produits promotionnels...), qu'il peut se permettre grâce à sa marge confortable, ce qui est surtout valable pour les fabricants de princeps. D'autre part, le pharmacien applique une marge en pourcentage aux médicaments, qui lui sont fournis par un grossiste, également rémunéré proportionnellement à son chiffre d'affaire et approvisionné par le fabricant. Ce n'est qu'ensuite que le processus de remboursement démarre, entre le patient et son organisme de prévoyance. Génériques Vs princeps Ainsi, si les génériqueurs et fabricants de princeps partagent plusieurs points de convergence, ils gardent tout de même autant de divergences d'intérêts. En fait, impossible de soutirer une critique des uns sur les autres, entretenant ainsi une façade politiquement correcte. Mais les observateurs ne sont pas dupes. Il est évident que ça n'y va pas de main morte dans les coulisses. D'ailleurs, ce n'est pas anodin si l'un et l'autre des deux ensembles ont créé chacun leur propre association professionnelle. En effet, pour optimiser et mieux cibler leurs lobbyings respectifs, les fabricants de princeps se sont réunis au sein de Maroc Innovation Santé (MIS), avant que les génériqueurs leur emboîtent le pas, en créant l'Associationmarocaine du médicament générique (AMMG). Dès lors, le rôle que joue l'Association marocaine de l'industrie pharmaceutique devient ambigu. Aussi un autre rapport de force oppose-t-il le ministère de tutelle aux pharmaciens, d'une part et aux médecins de l'autre. L'équation à résoudre est d'autant plus alambiquée qu'elle doit aller vers une baisse significative des prix des médicaments et des soins, sans pour autant entraîner une baisse de revenu chez les praticiens. Surtout que ce sont les médecins qui prescrivent un médicament et pas un autre, même si des avancées sont imminentes sur le droit de substitution par les pharmaciens, comme préconisé par le fameux rapport parlementaire sur les prix des médicaments. A saisir : Ils ont dit : «Il y a eu une étude stratégique pour le développement du secteur qui a été lancée par le ministère de l'Industrie avec le ministère de la Santé et l'ANPME. Elle a abouti à un plan avec des actions qui doivent être mises en place pour les dix prochaines années, dans l'optique d'élargir l'accès au médicament. Dans le cadre de cette étude BCBG, nous attendons un contrat cadre qui va être adopté par tous les acteurs. C'est la mise en place de ce plan que nous souhaitons aujourd'hui vivement, parce qu'elle instaure des mesures pour l'amélioration de l'efficacité du secteur. Actuellement, l'industrie pharmaceutique n'enregistre presque pas de croissance, car il y a eu en valeur 1,2% de croissance en 2010 par rapport à 2009 et en volume 0,005%». Ali Sedrati, président sortant de l'AMIP. «Pendant longtemps, les pharmaciens ont vécu sur leurs acquis. Il y a un lobbying monstre dans le secteur et avec le temps, les officines sont devenus les parents pauvre du système. Ce qui s'est passé, c'est que l'Etat, avec l'ANAM ont fait une étude et l'industrie pharmaceutique qui a beaucoup d'argent, a aussi fait une contre étude pour defendre ses positions, mais personne n'a songé à faire une analyse sur l'état des officines au Maroc. Les officinaux n'ayant pas les moyens de commander des études (car une étude de ce genre coûte au minimum de 10 à 12 millions de DH), donc tout cela a été fait à leurs dépens. Car, logiquement dans toutes ces histoires de substitution des médicaments et de marge des officinaux, il devrait y avoir des études sérieuses pour chercher où se trouve le mal». Oualid Amri, président du syndicat des pharmaciens d'officines de Casablanca.