«La procédure du contrôle fiscal au Maroc reste perfectible». Lorsqu'elle émane du directeur général des impôts, Noureddine Bensouda, cette affirmation a de quoi surprendre. Pas plus que ça, jugent en fait les professionnels. Ceux de l'Anma (Association nationale des sociétés marocaines), réunis avec l'administration fiscale autour d'une table ronde organisée en fin de semaine passée, ont même répertorié dans le détail un ensemble de contraintes entourant la pratique du contrôle fiscal. «L'équilibre tant recherché entre l'administration et le contribuable est loin d'être parfait», résume le Pr Rachid Lazrak, membre de la commission fiscale de l'Anma. L'expert souligne d'abord qu'au Maroc, une entreprise peut faire l'objet de plusieurs contrôles, concernant les mêmes impôts et les mêmes exercices, à l'inverse de ce qui est communément pratiqué au sein de la communauté européenne. Plus encore, une procédure de vérification, même frappée de nullité, peut être reprise par l'administration, dans les délais de prescription. Une autre lacune concerne le droit de constatation. Selon l'Anma, cette disposition limite de fait la garantie qui permet au contribuable d'être à l'abri d'un contrôle inopiné. D'autant plus que ce droit est d'une part, étendu à l'ensemble des impôts au Maroc (alors qu'il est limité dans les pays de l'Union européenne à la seule TVA). Et d'autre part, il n'est soumis à aucune périodicité, ce qui implique que le contribuable peut faire l'objet de ce droit de constatation à la discrétion de l'administration fiscale, autant de fois qu'elle le souhaite. La procédure judiciaire succédant à tout contrôle fiscal est tout aussi perfectible, de l'avis de l'Anma. Aujourd'hui, l'expert judiciaire ne peut se prononcer sur les documents qui n'ont pas été transmis à l'inspecteur. Cette contrainte va à l'encontre de la mission même de l'expert, qui doit chercher à établir la réalité des choses en disposant de tous les éléments qui se trouvent aussi bien entre les mains du contribuable que de celles de l'administration, estime l'Anma. Sur le même volet, une disposition introduite par la loi de finances 2009 confère au seul expert-comptable et aux experts agréés la mission d'expertise. «Ceci est acceptable quand il s'agit de comptes mais qu'en est-il de l'expertise de biens immobiliers ?», s'interroge Lazrak. Les commissions de taxation (commissions locales de taxation -CLT- et commissions nationales de recours fiscal -CNRF-), en dépit de l'avancée qu'elles représentent, ne sont pas exemptes de critiques. Spécifiquement, s'agissant de la procédure de saisie de la CLT, si le représentant des contribuables à cette commission n'est pas désigné, le contribuable est contraint soit de comparaître devant la commission sans représentant, soit d'aller directement à la CNRF, ce qui le prive d'un moyen de l'un de ses moyens de défense. Même situation si la CLT ne prend pas de décision dans le délai de 24 mois. Autrement dit, le contribuable se trouve sanctionné pour une faute qu'il n'a pas commise. Des critiques mais des propositions d'amélioration aussi Mais les membres de l'Anma ont également tenu à proposer des pistes d'amélioration pour rendre plus efficace la procédure de contrôle fiscal. Une proposition pratique d'abord : permettre au contribuable pendant la période de vérification de s'adresser au chef de brigade ou même au chef de service dont dépend le vérificateur, eu égard aux tensions qui peuvent naître entre ce dernier et le contribuable. Par ailleurs, recommandation est faite que la loi accorde les mêmes délais de réponse au contribuable et à l'administration fiscale par souci de respect du principe de réciprocité. Enfin, il est proposé à l'administration fiscale de publier les décisions des commissions de taxation. En effet, l'absence de cette publication déséquilibre le rapport entre le contribuable et le fisc, surtout que ce dernier a un accès total à ces décisions. Des avancées intéressantes Depuis la réforme des années 80, le système de contrôle fiscal a bénéficié d'avancées importantes. En effet, avant cette réforme, le principe était de payer avant de réclamer. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, puisque ce n'est qu'à l'issue de la procédure contradictoire, à savoir après la décision de la CNRF (commission nationale de recours fiscal) que le contribuable doit payer. Mieux encore, même après cette décision, le contribuable peut recourir au tribunal administratif, et peut interjeter appel devant la Cour administrative d'appel et même devant la Cour suprême.Aussi, au niveau du contrôle lui-même, des garanties importantes sont données au contribuable dont, entre autres, le fait que la vérification n'intervient qu'après l'envoi d'un avis de vérification 15 jours avant la date du contrôle, sinon, la procédure est entachée de nullité, ou encore que la taxation d'office n'intervient que dans des cas précis, définis par la loi, ou enfin, la limitation de la durée du contrôle dans le temps. «Une avancée indéniable vers l'équité fiscale» : Noureddine Bensouda,Directeur général des impôts Les Echos : Quelles sont les avancées opérées par l'administration fiscale en termes de contrôle fiscal ? Noureddine Bensouda : Les chiffres sont là pour attester qu'il y a une évolution positive. Plus que cela, il y a un message positif pour l'environnement économique, par le fait qu'aujourd'hui, l'essentiel des contrôles fiscaux se solde par des accords amiables. C'est une avancée indéniable dans la relation entre l'administration fiscale et les opérateurs économiques. Quelle marge supplémentaire de progression voyez-vous ? L'écoute des professionnels nous a permis de réaliser qu'il existe un champ d'amélioration encore important en matière de contrôle fiscal : des délais à raccourcir, des accélérations de procédures à opérer, un ciblage de l'impôt à préciser autant en termes d'exercice que de type d'impôt contrôlé (NDLR : au Maroc, une entreprise peut faire l'objet de plusieurs contrôles, concernant les mêmes impôts et les mêmes exercices). Cela permettra d'une part de diversifier l'intervention de l'administration auprès des opérateurs et de veiller à une certaine équité fiscale. Ces réformes vous paraissent-elles applicables ? Les réformes sont permanentes et pour cela, nous nous plaçons à l'écoute de l'environnement économique. Grâce à nos rencontres avec les professionnels, nous déterminons des propositions d'amélioration que nous intégrons à notre réflexion, pour les proposer aux politiques. À charge pour le législateur de déterminer quelles sont les réformes à mener à court et moyen termes.