Ces derniers temps, je ne vous le cache pas, il m'arrive souvent d'avoir vraiment envie de me trouver ailleurs. Non pas que je pense que l'herbe y serait plus verte – de ce côté-là, avec toutes ces pluies qui ne cessent de tomber, je n'ai pas trop à me plaindre - mais, parce que je pense que l'expression y est plus libre. Je vous précise tout de suite que là où je suis aujourd'hui, et même partout là où j'étais, je n'ai jamais eu de problème particulier. Autrement dit, j'ai toujours dit et écrit plus ou moins ce dont j'avais envie. Je dis bien plus ou moins, et je vais bientôt vous expliquer. En effet, je me dois de vous le dire, je me retiens énormément. Oui, je m'autocensure. Beurk ! Même le mot est moche. Autocensure : ça résonne comme une soupape grippée. L'autocensure est pire que la censure : on se l'impose à soi-même. On se fixe ses propres limites. On dessine ses propres lignes rouges et on essaye non pas d'éviter de les dépasser, mais plutôt de s'en approcher. Parce qu'on a la trouille. Oh, pas forcément qu'on nous arrête et qu'on nous mette au trou –ça n'arrive plus comme avant, mais, hélas, ça arrive encore – mais on a peur de choquer. Choquer, c'est créer un choc chez «l'autre», le heurter, le froisser, voire le blesser. Et là, on n'est plus dans la grande sphère politique publique où on parle de loi, de droit, de ce qui est interdit et de ce qui est permis, et où les règles sont plus ou moins claires et plus ou moins respectées, mais dans un espace beaucoup plus indéfini, celui du monde social et culturel collectif, et qui est un espace à la fois exigu et ambigu. Là, on ne sait pas ce qu'on peut dire et ce qu'on ne doit pas dire. Et quand je dis «dire», je veux dire aussi «écrire», c'est-à-dire produire un texte, chanter, jouer, peindre, sculpter, bref, créer. Jusqu'où peut-on aller dans la création sans choquer ? C'est une interrogation horrible ! Insoutenable ! J'ai eu ce sentiment tout dernièrement alors que je regardais l'excellente émission de France 3 «Ce soir ou jamais». Le thème du jour, c'était : «Jusqu'où va la liberté de choquer ?» D'abord, est-ce qu'un tel débat peut avoir lieu sur une de nos chaînes ? Je me le demande. Lors de cette émission, il y avait plusieurs invités dont l'humoriste paria Dieudonné le rejeté. En face de lui, d'illustres avocats qui n'avaient qu'une seule envie, c'est qu'il la ferme une fois pour toutes. Parce qu'il dit des choses qui les dérangent, qui les agacent, qui les choquent. Eux. Les bien-pensants. Et nous, alors ? Qu'est ce qu'on pense de tout ça ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est ce qui vous choquerait, vous ? Dites-moi, par exemple, qu'est-ce que je pourrais bien écrire et qui pourrait être considéré par vous comme «choquant» ? Quelles sont les limites de mes limites ? De VOS limites ? En attendant vos réponses, et avant finir ce billet pas très rigolo, j'en conviens, j'ai envie de vous poser une dernière question : qui définit, qui décide, qui décrète, qui édicte, qui dicte ce qui est «choquant» et ce qui ne l'est pas ? Non, je vous assure que ce n'est pas de l'intellectualisme à deux sous, ce sont, pour moi, de vraies questions qu'on doit oser se poser pour mieux avancer et mieux définir ce qu'est, à nos yeux, à vos yeux, la vraie liberté de pensée. D'ailleurs, à un moment, sur le plateau, un des ennemis jurés de Dieudonné mais néanmoins grand démocrate, a dit «qu'il n'y a pas de liberté de pensée sans liberté de choquer». Et d'ajouter aussitôt : « Penser, c'est choquer ». Autrement dit, quand on ne choque pas, ça signifie qu'on n'a pas exprimé toute sa pensée. Choquer, c'est un peu la cerise sur le gâteau de la liberté. À méditer. À demain pour un billet plus marrant. Je l'espère.