Depuis quelques années, la modernisation de l'administration marocaine est devenue l'une des préoccupations majeures des autorités publiques. Cette optique visant à introduire un nouveau paradigme en matière de modèle de gestion des services publics a suscité des ferveurs et fait couler beaucoup d'encre. Et pour cause, les objectifs visés dans le cadre de cette politique sont ambitieux et les réformes annoncées titanesques. Il s'agit, en premier lieu, de rationnaliser le fonctionnement de l'administration pour en faire une organisation dynamique et performante. En novembre 2006, Fathallah Oualalou, alors ministre des Finances et de la privatisation, disait à ce propos : «L'administration publique doit se préparer à faire mieux avec moins de ressources». À cela s'ajoute un autre objectif important, qui concerne l'amélioration des relations entre l'administration et ses usagers. Il s'agit de considérer suivant une «logique marketing» ces derniers comme des «clients» et de veiller à garantir leur satisfaction. Pour ce faire, l'offre des services doit être conçue et proposée en tenant compte de leurs besoins. Cependant, la réussite de ce changement de cap obéit à une condition sine qua non à remplir, celle de disposer de ressources humaines capables d'être proactives. Il devient dès lors évident que la mise à niveau du capital humain de l'administration publique est le principal facteur clé du succès de l'ensemble des reformes initiées. Cela passe par la formation et l'accompagnement des ressources humaines, pour parvenir à la mise sur pied dans l'administration, des fonctions RH, dont les outils et la culture managériale seront inspirés des organisations privées. Où en est-on donc aujourd'hui dans ce processus? Qu'est-ce qui a été fait et qu'est-ce qui reste à faire en matière d'adoption de ce nouveau style de management RH? Processus d'implantation Selon Nawal Jaï, consultante au cabinet LMS, on peut estimer que les chantiers RH prévus dans le cadre de la reforme sont aujourd'hui mis en place et opérationnels dans 70% des entités de l'administration. Ces chantiers concernent notamment les études d'ingénierie et la définition de plan de formation, l'élaboration d'un référentiel des emplois, la mise en place d'un nouveau système d'évaluation annuelle et de motivation. Concernant la formation, souligne la consultante de LMS, l'indicateur parle de lui-même: «Aujourd'hui, l'administration publique consacre 2,5% de sa masse salariale à la formation et à l'accompagnement de ses cadres». Aussi, nombreuses sont les entités qui ont signé des conventions avec les établissements d'enseignement (ISCAE, EHTP, ENCG...) dans le cadre de leur opération de formation. S'agissant du référentiel des emplois, dont l'objectif est de passer d'une gestion par les grades et l'ancienneté à une gestion par les compétences, il est également adopté dans la plupart des entités. S'agissant du modèle d'évaluation, inspiré lui aussi du modèle en vigueur dans les entreprises privées, il repose sur des critères orientés objectifs, performances et maîtrise du poste. Cependant, ce chantier, quoique instauré dans la plupart des entités est celui qui peine le plus à être opérationnel. Ainsi que le constate Nawal Jaï, la tendance de notation à la hausse, sans distinction des mérites réels est encore très présente. Ce système reste donc à renforcer pour entamer une véritable mutation des pratiques d'évaluation et instaurer un système objectif basé sur les réalisations, explique-t-elle. De par cette configuration, on se rend compte que l'appréciation de la place qu'occupe la fonction RH aujourd'hui varie sensiblement d'une entité à une autre. Plusieurs analystes estiment que si l'on s'en tient à leur maturité en matière de management RH, les entités administratives doivent être classées en différentes catégories. À certains niveaux, la réforme RH est à un stade avancé et la fonction RH, joue un rôle essentiel dans l'efficacité organisationnelle. Dans cette configuration, on retrouve surtout les établissements publics et quelques rares départements ministériels. Mais à d'autres niveaux par contre, pour l'instant, l'intégration de la fonction RH se heurte aux veilles habitudes qui continuent à résister à la vague de modernisation, souvent indépendamment de la volonté des acteurs concernés par sa mise en œuvre. Freins à la modernisation Cette résistance est due à des contraintes à la fois structurelles et légales. «Changer un élément dans une politique RH d'un seul ministère qui puisse toucher par exemple à la rémunération, est presque impossible aujourd'hui, car il existe un statut de la fonction publique qui garantit à tous les fonctionnaires le même principe concernant la gestion de la carrière administrative». À cela viennent s'ajouter d'autres pressions réglementaires et syndicales (nécessité d'équilibre social) qui rendent tout changement délicat. Cela fait que les outils passent mieux que la culture RH, et pour beaucoup de DRH, c'est un dilemme compliqué. En effet, comment récompenser et rétribuer les meilleurs, lorsque les systèmes de primes sont indexés à des systèmes d'évaluation «égalitaires» et non discriminants? Face à cette situation, les nouveaux managers venus dans la fonction publique grâce au processus de mise à niveau, opèrent dans un cadre où leur marge de manœuvre est minime. Aussi sont-ils sont souvent obligés d'admettre le contournement des nouveaux outils d'évaluation préconisés dans le cadre de la modernisation. Selon les consultants de LMS, «ce qui semble manquer dans cette machine, c'est aussi un schéma directeur RH à long terme, autour duquel devraient se cristalliser les outils et dispositifs, qui seraient tous pensés de manière intégrée comme un véritable puzzle dont les pièces seraient bien placées». Mais cette vision RH saurait-elle être effective sans une révision du statut de la fonction publique? La difficulté actuelle d'instaurer une culture RH véritable résulte principalement des dispositions et textes légaux du système administratif. Sans cette option, l'implantation de la fonction RH risquerait de continuer à s'opérer à deux vitesses, ce qui par conséquent serait un frein non négligeable à l'atteinte des performances souhaitées. Qu'en est-il de l'image de l'administration dans tout cela ? Par S.S.M Les grandes lignes de la modernisation des ressources humaines de l'administration, tournent essentiellement autour de l'amélioration de la performance des cadres. Cependant, il y a une problématique sous-jacente qui n'est que rarement abordée. Il s'agit du travail sur l'attractivité de l'administration en tant qu'employeur et de l'image qu'elle véhicule auprès de ses usagers. Dans la mesure où la finalité de toutes ces réformes telle que formulée par l'entité en charge de la modernisation est de répondre aux besoins des citoyens, il est également nécessaire que la mise en place des outils RH soit accompagnée d'un marketing RH, appuyé notamment par la formation des agents subalternes. Car, aussi importantes que soient les avancées des reformes, l'appréciation que fait le citoyen quant à l'efficacité des services dépend largement de l'expérience qu'il aura vécu au guichet de l'administration. Bonne ou mauvaise, celle-ci conditionne l'image qu'il se fait des fonctionnaires de l'administration. Dans ce cadre, la mise en place du site web d'information du citoyen sur les services publics (service-public.ma) est une initiative louable. Encore faudrait-il, qu'au-delà du virtuel, le même état d'esprit soit vulgarisé et devienne la réalité des guichets. Même s'il modernise son management, le public ne peut pas être comparé au privé:Nawal Jaï, Consultant au Cabinet LMS ORH, spécialiste de la GRH dans l'administration publique L'administration publique, au Maroc, comme dans de nombreux autres pays, souffre souvent d'une réputation de système bureaucratique, caractérisé par sa lourdeur. Au niveau de ses ressources humaines, on lui attribue également une gestion rigide et linéaire où la méritocratie n'est pas de mise et où l'ancienneté l'emporte sur toute autre forme de qualités professionnelles. Si cette réputation a souvent été justifiée par le passé, force est de constater qu'aujourd'hui, nous rencontrons une nette prise de conscience de la nécessité de changement par tous nos clients (ministères et établissements publics en particulier). Ils nous consultent, non plus pour répondre à un phénomène de mode, mais bel et bien pour instaurer le changement et le faire porter par l'ensemble de leur capital humain. Mais, pour pouvoir valoriser ce changement, qui a été initié depuis quelques années déjà, il est important de ne pas s'inscrire dans une logique de comparaison public/privé. En effet, chacun a un mode de fonctionnement, une culture, des impératifs, des contraintes budgétaires particulières et des effectifs qu'il est difficile de comparer. Recadrage Le cabinet LMS qui est, depuis quelques années, l'un des principaux partenaires pour l'accompagnement d'une grande partie des établissements publics dans le changement de leur statut, est actuellement en train de réfléchir à de nouvelles formules, en collaboration avec les équipes internes des ministères. Objectif : aider à trouver des palliatifs aux contraintes légales et aux résistances rencontrées dans le déploiement de la politique RH. Il s'agit de faire encore preuve d'innovation pour introduire des systèmes permettant tout de même d'instaurer des changements culturels forts. Les outils d'évaluation axés autour de l'équité, de l'intéressement et du management par objectifs vont être repensés pour coller aux réalités et attentes des établissements publics.