Sous l'impulsion du Roi Mohammed VI, la réforme du Code de la famille amorce une nouvelle ère pour le Maroc. Si certaines avancées sont saluées comme des pas décisifs vers l'égalité et la justice sociale, d'autres questions sensibles continuent de diviser, révélant les défis d'une modernisation en phase avec les aspirations d'une société en mutation. C'est dans l'enceinte solennelle du Palais royal à Casablanca que le Roi Mohammed VI a présidé une séance de travail cruciale pour l'avenir du Code de la famille, dit Moudawana. Cette rencontre s'inscrit dans une dynamique de réforme amorcée par le Souverain, visant à concilier tradition et modernité. L'instance chargée de cette révision a soumis un rapport contenant plus de 100 propositions d'amendement, marquant ainsi une étape importante dans la transformation du cadre juridique encadrant la famille marocaine. Cette réforme, qui a mobilisé le Conseil supérieur des oulémas et divers acteurs sociaux, suscite déjà des débats intenses sur ses orientations et ses implications. Un travail d'ijtihad et de compromis Lors de cette séance décisive, le Conseil supérieur des oulémas a donné son aval à plusieurs propositions ambitieuses portées par l'instance, témoignant d'une volonté d'adapter les textes à la réalité contemporaine tout en respectant l'esprit de la Charia. Parmi les avancées majeures, l'âge de mariage des jeunes filles fixé à 18 ans, la reconnaissance du travail de l'épouse au sein du foyer comme une contribution essentielle aux biens acquis durant le mariage rééquilibre les droits conjugaux en valorisant un rôle souvent invisible mais fondamental. L'octroi de la tutelle légale des enfants à la mère chargée de leur garde marque également une évolution importante, en renforçant le statut des mères dans les décisions qui concernent leurs enfants. D'autres mesures discutées marqueront inévitablement un tournant historique pour le Maroc. D'abord, l'exclusion du foyer conjugal de l'héritage, pensée pour protéger les enfants et les familles, apporte une réponse nouvelle à des situations souvent complexes. De même, l'obligation de la Nafaqa, dès la signature de l'acte de mariage, vient clarifier et renforcer les responsabilités financières dès le début de l'union, un signal fort en faveur des épouses. Enfin, une avancée majeure et emblématique consiste en la possibilité pour une mère divorcée de conserver la garde de ses enfants même après un remariage. Au-delà de ces mesures centrées sur les familles au Maroc, la réforme s'étend également aux Marocains résidant à l'étranger. Dans un esprit de pragmatisme, le Conseil a validé la possibilité pour ces derniers de conclure un acte de mariage sans la présence de deux témoins musulmans, si cette condition s'avère impossible à satisfaire. Cependant, malgré ces réformes audacieuses, trois questions sont restées à l'écart des débats, à savoir celles se rapportant au recours à l'expertise génétique pour établir la filiation paternelle, à l'abrogation de la règle du Taâsib et à la successibilité entre un musulman et un non-musulman. Ces trois questions très attendues par certains «sont relatives à des textes formels n'autorisant pas l'Ijtihad à leur sujet», affirme le Conseil des oulémas. Des réactions partagées Les premières réactions à ces propositions de réforme reflètent une diversité d'opinions et d'attentes. Si certaines avancées sont saluées pour leur portée transformative, d'autres aspects demeurent source de frustration et de déception, surtout parmi les figures engagées pour les droits des femmes et des enfants au Maroc. Pour Soumaya Naamane Guessous, sociologue et militante féministe, certains manquements sont particulièrement difficiles à accepter. «Je suis scandalisée parce que j'avais de grandes attentes par rapport à la réforme du Taâsib», confie-t-elle, visiblement affectée par ce qu'elle considère comme une occasion manquée. L'héritage par agnation ou Tâasib, cette règle qui accorde une priorité aux héritiers masculins dans les successions, est pour elle une aberration, d'autant plus qu'elle n'a aucun fondement dans le Coran. «Cette injustice persiste, et elle frappe durement les couples qui n'ont pas de descendants masculins. Elle va à l'encontre de la Constitution, des valeurs humaines et des conventions internationales ratifiées par le Maroc», dénonce-t-elle avec une amertume palpable. La sociologue insiste sur l'incohérence entre cette pratique et les engagements internationaux du Maroc, notamment en matière d'égalité des genres. Selon elle, maintenir cette règle dans le droit successoral marocain perpétue non seulement une injustice historique, mais envoie également un signal négatif. Une lacune majeure Sur un autre volet, Fatiha Chtatou, avocate et membre de la Fédération des ligues des droits des femmes, se concentre sur une question tout aussi cruciale, celle de la filiation. Pour elle, le rejet des tests ADN comme outil de preuve dans les affaires de filiation est une lacune majeure de cette réforme. «Ces enfants, tout comme leurs mères, subissent les conséquences d'un contexte social et juridique qui les stigmatise», explique-t-elle, en insistant sur le poids que cette situation fait peser sur les plus vulnérables. Elle appelle à un alignement des réformes juridiques sur les conventions internationales relatives aux droits de l'enfant, notamment en matière de reconnaissance et de protection. Selon l'avocate, les tests ADN ne sont pas seulement un outil scientifique, ils incarnent une chance de rendre justice aux enfants nés hors mariage et à leurs mères, souvent marginalisées et abandonnées dans des situations de grande précarité. «Adopter ces outils, c'est reconnaître que ces enfants méritent d'être protégés et intégrés pleinement dans la société, sans honte ni discrimination», ajoute-t-elle. Les voix critiques ne s'arrêtent pas là. D'autres militantes et juristes interrogent la portée réelle de cette réforme. Certes, certaines mesures comme la reconnaissance du travail des épouses dans le foyer ou l'octroi de la tutelle légale des enfants aux mères sont saluées comme des pas en avant. Mais pour beaucoup, ces avancées demeurent timides face à l'ampleur des défis que pose la société marocaine contemporaine. Pour Soumaya Naamane Guessous, il est impératif que cette réforme marque une rupture franche avec des pratiques discriminatoires qui n'ont plus leur place dans une société en quête d'égalité. «Si nous voulons vraiment parler de modernité, nous devons aller au bout du chemin. Les demi-mesures ne suffisent plus», affirme-t-elle. Ces débats, parfois passionnés, mettent en lumière l'urgence de poursuivre les efforts pour aligner le droit de la famille sur les réalités sociales et les aspirations des Marocains. Si la réforme actuelle ouvre des portes, elle semble également révéler des résistances profondes qui freinent une transformation plus audacieuse et plus juste. Vers une législation plus éclairée Cette révision marque ainsi une étape décisive, mais elle n'en reste qu'un début. Les discussions législatives qui s'annoncent devront répondre à plusieurs défis, d'abord maintenir un équilibre entre tradition et innovation, s'assurer l'inclusivité des nouvelles dispositions, et, surtout, garantir leur application effective. Ce dernier point est souvent le talon d'Achille des réformes ambitieuses, lorsque des résistances culturelles ou administratives freinent leur mise en œuvre. Le Roi Mohammed VI a rappelé l'importance de développer des textes clairs, cohérents et à l'abri des interprétations divergentes. Comme le souligne Fatiha Chtatou, «la réforme doit produire un Code familial cohérent, garantissant l'équilibre familial et l'égalité entre époux en termes de droits et de responsabilités». La phase législative de cette réforme devra donc s'appuyer sur les principes d'égalité, de justice et de solidarité, en cohérence avec les valeurs de l'islam et les engagements internationaux du Maroc, conclut-elle. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO