Le Maroc peine à valoriser pleinement les flux financiers massifs de sa diaspora, majoritairement orientés vers des acquisitions immobilières ou des transferts familiaux. C'est le constat d'une étude approfondie menée par l'Observatoire du travail gouvernemental (OTRAGO). Avec 115,3 milliards de dirhams injectés dans l'économie en 2023 et une prévision de 120 milliards pour 2024, la diaspora marocaine s'impose comme un pilier incontournable de l'économie nationale. Ces flux, équivalant à 7% du PIB, jouent un rôle clé dans la stabilité du dirham et le renforcement des réserves en devises. Pourtant, derrières ces chiffres, une autre réalité prévaut, celle d'un Maroc qui peine à transformer cette manne en levier de développement durable. En effet, moins de 10% de ces fonds sont orientés vers des investissements productifs, tandis que la majeure partie finance des acquisitions immobilières ou des transferts familiaux. À titre de comparaison, le Nigeria consacre près de 45% des flux de sa diaspora à des projets économiques structurants. Pourquoi le Maroc peine-t-il à transformer cette manne en levier de développement durable ? Potentiel inexploité C'est la question à laquelle s'attelle l'Observatoire du travail gouvernemental (OTRAGO) dans sa dernière livraison intitulée «Un pilier national pour renforcer le développement durable et un lien civilisationnel entre le Maroc et le monde». Paradoxalement, si la diaspora manifeste un attachement indéfectible à son pays d'origine, son potentiel reste largement inexploité. Les politiques publiques peinent à proposer des cadres clairs et incitatifs pour orienter ces fonds vers des secteurs à forte valeur ajoutée, selon les auteurs du rapport. L'économie pourrait pourtant bénéficier d'une mobilisation mieux ciblée de ces ressources. À commencer par la simplification de la bureaucratie administrative, souvent perçue comme décourageante. Afin de faire passer les transferts financiers de la diaspora d'une logique de consommation à une dynamique de transformation, au service du développement du pays, l'OTRAGO a fourni dans son rapport une série de recommandations concrètes. «Pour mobiliser pleinement le potentiel économique des MRE, le Maroc doit revoir ses mécanismes d'intégration et transformer son approche», propose l'analyse. Il ne suffit plus de compter sur les seuls transferts financiers, aussi massifs soient-ils. Il est désormais impératif d'établir une vision stratégique qui inscrirait les investissements de la diaspora dans une dynamique structurante. L'identification des secteurs prioritaires, comme les énergies renouvelables ou l'industrie manufacturière, apparaît comme une condition sine qua non pour orienter ces flux vers des projets à forte valeur ajoutée. Dans cette optique, la création d'une banque de projets dédiés offrirait un cadre clair et accessible, à même d'encourager des investissements diversifiés et de combler les déséquilibres actuels. Pour accompagner cet élan, le développement de mécanismes de financement innovants s'avère pour le coup indispensable. «L'expérience du fonds MDM Invest, largement sous-exploité depuis sa création, souligne l'urgence d'une réforme en profondeur pour le rendre plus opérationnel». En parallèle, des plateformes numériques, permettant la réalisation de démarches administratives à distance, pourraient lever certains des obstacles les plus dissuasifs. Les membres de la diaspora doivent pouvoir s'engager sans être contraints par des procédures complexes ou des allers-retours incessants entre leur pays d'accueil et leur pays d'origine. Cette stratégie ne saurait être complète sans une présence accrue du Maroc auprès de sa diaspora. L'ouverture de bureaux dédiés dans les grandes concentrations de Marocains à l'étranger renforcerait le lien direct entre ces derniers et le tissu économique national. Ces représentations joueraient un rôle d'accompagnement essentiel, offrant conseils et orientation tout en incarnant la volonté du Royaume d'inclure activement ses citoyens du monde. Reconnaissance politique Au-delà de l'investissement, la diaspora exige aussi une reconnaissance politique plus substantielle. L'intégration des Marocains de l'étranger dans les institutions nationales de gouvernance, ou encore la garantie de leur droit de vote, traduirait un geste fort et nécessaire pour consolider leur sentiment d'appartenance. Ces mesures pourraient également permettre une représentation plus équilibrée des intérêts de cette communauté, souvent perçue comme marginalisée dans les débats publics. L'amélioration de l'accueil réservé aux MRE lors de leurs retours annuels constitue un autre levier stratégique. Une flotte maritime nationale compétitive et des infrastructures portuaires modernisées viendraient alléger les contraintes logistiques et financières pesant sur les familles. La simplification des procédures douanières, trop souvent synonyme de lenteurs et de frustration, renforcerait également l'expérience globale. En matière culturelle et sportive, les efforts restent largement à intensifier. Les centres culturels marocains à l'étranger sont insuffisants, et les programmes linguistiques ou sportifs manquent de continuité. Soutenir la diplomatie culturelle tout en créant des clubs sportifs pour la diaspora pourrait contribuer à préserver l'identité nationale et à rapprocher les jeunes générations de leurs racines. Les ambitions affichées pour la diaspora ne pourront toutefois se réaliser sans une lutte acharnée contre la bureaucratie et la corruption. La digitalisation totale des procédures administratives, couplée à des mécanismes de transparence robustes, est indispensable pour restaurer la confiance. En plaçant sa diaspora au cœur d'une stratégie claire et ambitieuse, le Maroc a l'opportunité de transformer un potentiel dispersé en une force motrice, capable de redéfinir son avenir économique et son rayonnement sur la scène internationale. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO