Pour accompagner l'industrie marocaine du textile dans sa transition vers la circularité, IFC, à travers des initiatives innovantes, renforce son engagement. En collaboration avec les acteurs locaux, elle déploie des stratégies concrètes pour formaliser la collecte et la valorisation des déchets textiles post-industriels. Dans cette interview, Eleonore Ann Richardson, Program Manager à IFC, revient sur les axes de soutien d'IFC pour positionner le Maroc en leader de la circularité textile, explorant les investissements stratégiques et les modèles de gestion inspirés d'autres pays. Comment IFC envisage-t-elle d'accompagner le Maroc dans l'amélioration de la traçabilité et la formalisation de la collecte des déchets textiles post-industriels ? En 2022, IFC a initié une étude pour quantifier le gisement de chutes textiles en coton générées par l'industrie du textile et habillement dans la région de Tanger. Cette étude intitulée «Sourcing of post-industrial cotton textile waste in the Tangier area» a révélé le dynamisme de la région de Tanger portée par des industriels du secteur avides de diversification et de développement de nouvelles opportunités. Pour répondre à l'intérêt émanant de toute la chaîne de valeur suite à cette étude, IFC a lancé fin septembre 2023 le Textile Circularity Exchange, à Tanger. Ce mécanisme de collaboration multipartite est organisé sous forme d'ateliers de travail où les différents opérateurs issus de toute la chaîne de valeur collaborent au développement d'un écosystème de circularité industrielle pour les chutes textiles. Il regroupe les industriels du secteur, les donneurs d'ordre, les collecteurs et les recycleurs, ainsi que l'ensemble des institutionnels dont le MIC, l'AMITH, la CGEM et le CRI. Les réunions organisées par l'IFC autour du sujet de la gestion des chutes textiles ont permis une forte sensibilisation aux aspects de la circularité industrielle dans le secteur textile. En mars 2024, IFC a fait appel à l'Accelerating Circularity, un professionnel de l'implémentation de la circularité qui a fait ses preuves aux USA et en Europe et qui maîtrise la chaîne de valeur dans son intégralité pour coordonner le Textile Circularity Exchange et appuyer la mise en place de systèmes de marché pour le recyclage des chutes textile post-industrielles au Maroc. Accelerating Circularity a procédé au déploiement du projet en instaurant une logique de Working Group autour de 5 axes suivants. D'abord, le Steering Committee, qui valide les orientations stratégiques du projet, le Policy working Group, qui met en exergue l'ensemble des textes législatifs régissant la chaîne de la gestion des déchets au Maroc, le Data & Feedstock Working Group, qui fédère l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur pour éditer une cartographie de l'écosystème et initier une traçabilité des flux des chutes textiles. Ce groupe aura pour misssion d'implémenter les meilleures pratiques de gestion des chutes textiles et d'assurer une traçabilité le long de la chaîne de valeur, le Business Working Group, qui définit le business model optimum pour un écosystème de la circularité compétitif et le Pilot, qui intègre l'ensemble des opérateurs de la chaîne de valeur qui participent à l'expérience pilote pour valoriser 2.000 tonnes de chutes textiles coton à fin juin 2026. Quels types d'investissements internationaux (IDE) IFC voit-elle comme les plus stratégiques pour soutenir l'émergence d'un écosystème industriel circulaire au Maroc ? Aujourd'hui, avec un CA à l'export du Textile et habillement à 45 milliards de DH, le Maroc dispose d'un gisement de chutes textiles conséquent. L'Union européenne a initié sa nouvelle stratégie textile dans le cadre du «Green Deal», lequel va se déployer autour de plusieurs directives qui vont réglementer le secteur de l'industrie textile. On peut citer les cinq principales, EPR (Extended Producer Responsability), ESPR (Ecodesign Sustainable Product Regulation), (WSR : Waste Shipment Regulation), CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism). Toutes ces directives et règlementations vont transformer la cartographie du sourcing mondial au bénéfice du nearshoring. Le Maroc, de par son positionnement géographique, se retrouve dans le radar des marques présentes sur le marché européen, pour sécuriser et optimiser leur approvisionnement et nous voyons un nombre croissant d'investisseurs s'intéresser au Maroc, en particulier pour compléter la chaîne de valeur en amont. Nous espérons également que d'autres, tels que les collecteurs et les recycleurs, vont également s'intégrer à cette dynamique. Nous espérons que cette expérience pilote, menée par IFC pour la mise en œuvre de modèles de production circulaire dans le textile, va intéresser de futurs investisseurs en positionnant le Maroc comme un partenaire de qualité en termes de bonnes pratiques de traçabilité et de valorisation des chutes textiles. L'expérience d'IFC dans d'autres pays pourrait-elle servir de modèle pour le Maroc en matière de gestion des déchets textiles ? IFC a une solide expérience de la décarbonation du secteur du textile et de l'habillement à travers le monde. Qu'il s'agisse du programme PaCT d'IFC pour des textiles plus propres, d'interventions pour appuyer l'utilisation de matériaux à faible impact, ou encore de partenariats avec des marques telles que Levi's pour soutenir la décarbonation de leur chaîne d'approvisionnement, IFC met en œuvre un large éventail d'initiatives. Ce qui nous permet de nous appuyer sur une expérience acquise ces dix dernières années dans les plus grands pays producteurs textile pour élaborer notre programme et définir notre approche au Maroc. Nous pouvons également compter sur l'expertise du reste du Groupe Banque mondiale. Dans un contexte où le régime ATPA a permis d'accroître la compétitivité du secteur textile, comment IFC peut-elle aider à intégrer une dimension circulaire à cette réussite, notamment face à l'augmentation des déchets générés ? Quelles solutions législatives et technologiques pourraient être privilégiées pour optimiser cette dynamique circulaire ? Concernant le régime ATPA, il a été mis en place dans le but de renforcer la compétitivité et la réactivité du secteur. Les résultats sont probants, puisque les exportations du secteur ont dépassé, pour la première fois, les 4 milliards de dollars en 2022, atteignant 4,5 milliards de dollars en 2023 (source : Office des changes). En l'absence d'une industrie textile en amont, ce régime a permis aux opérateurs de bénéficier d'une flexibilité accrue dans les opérations d'importation des intrants, notamment grâce à Tanger Med, où les intrants sont dédouanés le jour même de leur arrivée. Cette dynamique a largement contribué à l'augmentation de la part de marché espagnole, qui représente aujourd'hui 60% des exportations dans le secteur de l'habillement. Cependant, ce développement a également engendré un flux significatif de chutes textiles sous le régime ATPA, un aspect que la réglementation douanière n'a pas pleinement pris en compte lors de l'élaboration des textes. Ces chutes textiles représentent aujourd'hui une ressource en matières premières riche et très convoitée. Le code de la réglementation douanière considère que les chutes textiles issues du régime ATPA sont sans valeur marchande et c'est à ce niveau qu'une évolution de la définition et une classification des chutes textiles est à considérer. Lors de la 2e réunion plénière du Textile Circularity Exchange, organisée le 8 octobre dernier à Tanger, la table ronde, intitulée «Circularité dans le textile : législation, normes et fiscalité des enjeux décisifs», a mis en exergue la nécessité d'actualiser la loi 28.00 et de déployer les décrets nécessaires pour pouvoir voir émerger un écosystème de collecte formel, transparent et traçable. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO