TikTok a tenté lundi de convaincre un tribunal fédéral américain de l'inconstitutionnalité de la loi obligeant son propriétaire chinois à la céder, face à des juges circonspects. Depuis que cette loi a été votée par le Congrès américain en avril, le sort du réseau social, accusé de permettre aux autorités chinoises de collecter indûment des données sur des utilisateurs américains, est devenu un enjeu majeur du débat politique. D'après la législation américaine, si ByteDance, maison-mère de TikTok, n'a pas vendu sa célèbre application d'ici le 19 janvier 2025, celle-ci sera interdite sur le territoire américain. ByteDance a déclaré qu'elle n'avait pas l'intention de se séparer de sa précieuse plateforme. Le recours en justice est donc sa seule option pour survivre aux Etats-Unis. Les juges sceptiques «Cette loi est sans précédent», a déclaré, en ouverture, l'avocat de TikTok, Andrew Pincus. «Pour la première fois, le Congrès a expressément visé un organe américain», a-t-il ajouté, en référence à TikTok USA, filiale du groupe aux Etats-Unis. Ce dernier argument n'a pas semblé convaincre les magistrats, qui ont rappelé que le groupe avait un actionnaire majoritaire chinois et évoqué une jurisprudence abondante pour des groupements ou organisations interdits par le passé. Les juges du district de Columbia ont aussi interrogé le représentant du gouvernement sur la possibilité que l'interdiction de la plateforme enfreigne le premier amendement à la Constitution américaine, qui garantit la liberté d'expression. Daniel Tenny a répondu que TikTok étant contrôlé par une entreprise chinoise, la protection de la liberté d'expression telle que définie par le droit américain ne pouvait lui être appliquée. «Après avoir écouté les présentations liminaires, je suis convaincu que ce dossier va finir devant la Cour suprême», a commenté Sarah Kreps, de l'université de Cornell. «Les juges ont eu l'air sceptiques vis-à-vis des arguments de TikTok», a-t-elle observé, «mais ils ont aussi soulevé des questions importantes sur le premier amendement et l'influence étrangère (…) auxquelles on n'a pas apporté de réponses claires.» Espionnage ? TikTok affirme que la loi ferait taire les voix de 170 millions d'Américains. «Il ne fait aucun doute que la loi entraînera la fermeture de TikTok d'ici le 19 janvier 2025», indique le recours de l'entreprise, «réduisant au silence ceux qui utilisent la plateforme pour communiquer d'une manière qui ne peut être reproduite ailleurs». TikTok a également fait valoir que même si la cession était possible, l'application «serait toujours réduite à une coquille vide, dépourvue de la technologie innovante qui adapte le contenu à chaque utilisateur». Le gouvernement américain rétorque que la loi porte sur des questions de sécurité nationale et non sur la liberté d'expression et que ByteDance ne peut se prévaloir des droits protégés par la Constitution. Les Etats-Unis estiment que ByteDance peut se conformer – et se conforme – aux demandes du gouvernement chinois pour obtenir des données sur les utilisateurs américains. Les autorités affirment aussi que le groupe acquiesce à des pressions pour censurer ou promouvoir certains contenus sur la plateforme. TikTok nie ces accusations. Thème de campagne Les décrets de 2020 de l'ancien président Donald Trump pour interdire TikTok ont été bloqués par un juge fédéral, qui avait évoqué des raisons probablement exagérées et une violation potentielle du droit à la liberté d'expression. Depuis, le milliardaire républicain, très remonté contre Meta (Facebook, Instagram) et les autres grandes plateformes qui l'ont temporairement banni pour incitation à la violence après l'assaut du Capitole en 2021, a changé d'avis. «Pour tous ceux qui veulent sauver TikTok en Amérique, votez pour Trump», a-t-il déclaré dans une vidéo publiée la semaine dernière. La candidate démocrate Kamala Harris est présente sur TikTok et a adopté les réseaux sociaux comme moyen de communication avec les jeunes électeurs. La nouvelle loi signée par Joe Biden a été conçue pour surmonter les obstacles juridiques mais certains experts pensent que la Cour suprême des Etats-Unis aura du mal à considérer que les inquiétudes au sujet de la sécurité nationale l'emportent sur la protection de la liberté d'expression. Sami Nemli avec Agence / Les Inspirations ECO