les carnets de ahmed bachir L'Elysée vient de lancer l'opération de sauvetage du débat sur l'identité nationale entamé il y a deux mois et dont les péripéties – vote suisse contre les minarets, proposition de loi sur la burqa - ont brouillé et dévié la réflexion sur la «fierté d'être Français», une expression très chère au président Sarkozy qui, loin de ressouder son camp, a plongé, par le biais de ce débat, de nombreux députés UMP dans l'embarras, au point de déserter l'Assemblée nationale et de bouder le ministre de l'Immigration, Eric Besson. Le Front national, lui, se frotte les mains. L'apaisement Il s'agit donc pour l'Elysée d'ouvrir l'acte II de ce débat en fixant une ligne d'apaisement. Sarkozy a d'ailleurs fait savoir à son ministre de l'Identité nationale qu'il devait désormais poser le débat de façon plus pédagogique. Il voulait ainsi rassurer ses députés UMP, mais surtout répondre aux inquiétudes du Marocain Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui avait déploré les «dérapages» survenus notamment dans le débat sur le port du voile intégral. Ces dérapages peuvent «contribuer à un sentiment d'incompréhension et d'inquiétude chez les musulmans de France», avait-il mis en garde à l'issue de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Le CFCM s'est par ailleurs engagé, lors de son audition devant la mission d'information sur le port du niqab, à œuvrer «pour faire reculer cette pratique» sur le territoire français, tout en émettant des «réserves» sur la nécessité de légiférer. Primauté à l'émotion Contesté par l'opposition qui y voit un «instrument de division nationale», ce débat désignant l'immigré ou le musulman comme «fauteur d'une dénaturation» de l'identité française, pour reprendre les termes du député communiste François Asensi, divise la droite elle-même en deux courants, l'un dirigé par l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin qui évoque un débat «piégé», absurde et autoritaire, et dénonce «une tentation récurrente du pouvoir actuel de donner la primauté à l'émotion, au spectacle, sur la réalité de la politique», et l'autre par les Centristes qui y voient une résurgence de l'idéologie de l'extrême droite et refusent de présenter l'immigration comme une menace pour la France. Déplorant une «opération électoraliste plutôt qu'un débat sérieux», la classe politique, dans sa majorité, ne cache pas sa crainte de voir ce débat dérailler vers des prises de position discriminatoires, voire racistes. Une pétition baptisée «Nous ne débattrons pas» a recueilli jusqu'à lundi 4 décembre, 55.000 signatures parmi des personnalités de gauche comme de droite. Pour le ministre de l'Immigration et de l'identité nationale, ce débat, qui se poursuivra pendant toute l'année 2010, est un «rendez-vous de réflexion humaniste», alors que le groupe socialiste y voit un «instrument de division des Français». N'écartant pas des visées électoralistes (les régionales de mars 2010), les socialistes, et avec eux, plusieurs militants des droits de l'homme, le considèrent comme un appel d'air «dangereux» pour le Front national. Une France xénophobe Pour nombre d'entre eux, être Français c'est d'abord assumer l'héritage d'une nation métissée qui se veut indivisible, d'une République qui accueille, éduque, rassemble, sans distinction de race, d'origine, de couleur, de religion... Et du coup, ce débat, qui désigne (sans le dire) l'émigré musulman comme source principale de tous les maux de la France, se trouve politiquement dangereux. Il court le risque de s'envenimer un peu plus chaque jour et de se transformer en boomerang contre celui qui l'a lancé. Il nuit à la droite plus qu'il ne lui profite, tellement il montre une France sceptique, xénophobe et de plus en plus mal à l'aise avec ses 5 millions de musulmans. Popularité au plus bas Une telle situation invite Sarkozy et son gouvernement à revoir ce concept d'identité nationale dans le sens d'une suppression pure et simple de ce débat qui pourrait éventuellement corriger sa cote d'approbation qui est à son plus bas niveau (39%) depuis l'élection présidentielle de 2007, selon le dernier sondage IFOP. À la question «Approuvez-vous ou désapprouvez-vous l'action de Nicolas Sarkozy comme président de la République?», 39% approuvent, soit autant qu'en novembre, mais 61% désapprouvent (+1). Ce taux est maximal chez les 25-34 ans (74%), les ouvriers (73%), les diplômés du supérieur (70%) et les sans-diplômes (68%). Politiquement, il est presque aussi élevé chez les sympathisants du Front national (79%) que chez ceux du Parti socialiste (84%) et de l'extrême gauche (80%). Dans le détail, tous les traits d'image du président se détériorent, sauf celui ayant trait à sa capacité à réformer le pays (+1 à 53%). La baisse la plus nette s'observe sur la question de l'immigration et de l'Identité nationale. juste pour dire que... Objet de vives critiques dès son lancement en novembre 2009, le débat sur l'identité nationale a divisé la classe politique et les Associations françaises des droits de l'homme. Lancé le 02 novembre 2009 à l'instigation du ministre français de l'Immigration et de l'identité nationale, Eric Besson, il ne cesse de provoquer l'ire de l'opposition ainsi que celle de nombreux intellectuels français qui ont demandé, notamment à travers la pétition (Nous ne débattrons pas) ou celle de SOS Racisme (Arrêtez ce débat), l'arrêt d'une initiative dont ils craignent qu'elle ne stigmatise les musulmans français. Soucieux de répondre aux critiques, Eric Besson a décidé de contre-attaquer en dressant, lundi dernier, lors d'une conférence de presse, un premier bilan des réunions organisées à travers toute la France. Il a réaffirmé la volonté de son ministère et de son gouvernement de poursuivre le projet malgré les polémiques, qualifiant son initiative d'immense succès populaire qui dépasse les prévisions. L'opposition a immédiatement réagi à son bilan. Pour la porte-parole des Verts, Djamila Sonzogni, le ministre de l'Immigration «nous baratine. Contrairement à ce qu'a dit M. Besson, ces réunions sont axées essentiellement sur les questions de la burqa et de la religion musulmane», a-t-elle mis en garde, dénonçant des rassemblements de «personnes âgées et de militants de l'UMP».