Après s'être imposé sur le marché mondial par le phosphate (40% de parts de marché), le Maroc ambitionne désormais de devenir une puissance mondiale de l'halieutique. Voici, donc, l'objectif dévoilé aux professionnels de la pêche par le ministère de tutelle à travers la stratégie Halieutis, dont les grandes lignes avaient été présentées en septembre dernier. Pour y arriver, une date est fixée: 2020. A cette échéance, le nouveau plan prévoit, entre autre points phares, de faire passer la contribution au PIB de l'ensemble du secteur (pêche, aquaculture, l'industrie de transformation) à 21,9%, (elle est aujourd'hui de 8,3%). Quant à la part du Maroc dans la compétition mondiale, elle passera de 3,3% à 5,4%. Cependant, cette stratégie, certainement beaucoup plus que les autres plans nationaux, s'exécutera dans un contexte où les opportunités sont aussi multiples que les menaces. D'abord, l'halieutique est, sans doute, un produit très stratégique pour l'avenir alimentaire du monde. Selon la FAO, la moyenne de consommation mondiale de poisson, aujourd'hui de 16,7 kilos par personne et par an, va atteindre 20 kilos d'ici 2030. Mais, il y'a également le changement climatique, dont les effets dévastateurs risqueront de mettre en danger la survie des espèces. De plus, le marché halieutique est fortement concurrentiel. Des gros calibres y opèrent parmi lesquels les pays de l'Amérique Latine (Pérou) et de l'Asie (Chine, Japon). Face à cela, le Maroc est-il en train de voir trop grand? Quel sera l'impact de cette nouvelle stratégie en matière de restructuration du secteur marocain de la pêche? Quels en sont ses facteurs clés de succès? Décryptage. Situation actuelle du secteur En faisant le diagnostic du secteur, les concepteurs du plan sont arrivés à ces constats. Le secteur a bénéficié d'investissements publics et privés importants ces dernières années (infrastructures portuaires, flotte de pêche, industrie de transformation...), et compte depuis longtemps parmi les priorités nationales. Mais, en dépit de cela, le potentiel halieutique demeure sous-exploité. Seules 60 des 500 espèces disponibles font l'objet de captures, la majorité étant de petites pélagiques. Les raisons? Elles sont d'abord structurelles, notent les concepteurs du plan. Celles-ci se traduisent par un niveau de pêche artisanale encore très élevé, qui atteint jusqu'à 39% du volume des captures dans certaines régions du Maroc, le sud notamment, ce qui, dans la foulée, accentue le poids de l'informel sur le secteur et limite la capacité de production nationale. A titre d'exemple, le Maroc produit 1 million de tonnes de poisson par an, ce qui le place loin derrière le Pérou (6,9 millions), le Chili (3,8) et la Norvège (2,5). Autres difficultés structurelles, la petitesse de la taille des acteurs de l'industrie, induisant une insuffisance de gestion des ressources et une chaîne logistique peu compétitive. A cela s'ajoute un dispositif réglementaire et sanitaire, pas encore au top, alors que les marchés internationaux deviennent de plus exigeants sur ce volet. À ce niveau, la stratégie Halieutis souligne d'ailleurs que le code du transport maritime de 1919, ainsi que le code de la pêche de 1973, aujourd'hui encore en vigueur, sont en déphasage par rapport à l'évolution du secteur. Il en est de même pour le cadre sanitaire, qui ne compte que 25 ingénieurs vétérinaires et 6 laboratoires, alors que les unités de transformation des produits de la pêche sont, elles, au nombre de 400. Opportunités Toutefois, malgré ses contraintes structurelles, le plan halieutique révèle que le Maroc dispose d'un certain nombre d'atouts importants, pouvant servir sa nouvelle ambition. Il s'agit, en premier lieu, du patrimoine halieutique immense dont dispose le pays (500 espèces différentes, encore très peu valorisées). Le secteur halieutique enregistre un taux de croissance annuelle de l'ordre de 5% depuis 2001, ce qui correspond à la performance moyenne de l'économie nationale. Outre cet aspect, le Maroc figure parmi les producteurs halieutiques les plus compétitifs dans l'exportation mondiale, et il est leader sur le segment des petits pélagiques dans plus de 100 pays. Ainsi, le secteur de la pêche réalise 70% de son chiffre d'affaires à l'export. Le marché national est aussi un créneau prometteur, car la consommation moyenne, aujourd'hui de 9,6 kilos, enregistre une croissance annuelle de l'ordre de 8%. Facteurs clés de succès Pour juguler les contraintes structurelles du secteur et valoriser ces atouts, plusieurs types d'actions sont envisagés. Il s'agit, en premier lieu, de mettre en place un concept de pêche responsable. Objectif: faire de l'halieutique un patrimoine naturel durable, ce qui nécessitera un contrôle plus accentué de toute la chaîne de l'industrie de la pêche et limitera, dans la foulée, la pêche informelle. Dans ce sens, le plan préconise que toutes les pêcheries à intérêt commercial soient aménagées sur la base de quotas. Ensuite, le challenge consistera à adapter et moderniser l'effort de pêche, pour garantir la traçabilité et améliorer la performance et la compétitivité de la production nationale. A ce niveau, le plan mise sur le développement d'une recherche halieutique de pointe, la mise en place d'un système d'information intégré et le renforcement de la coopération internationale en matière de recherche scientifique. La troisième action phare, quant à elle, repose sur la diversification du portefeuille produit en faisant de l'aquaculture un levier de croissance. Celle-ci devrait atteindre 11% de la capture totale en 2020. L'ensemble de ce package s'accompagne également du renforcement des organismes de suivi et d'appui au secteur, dont le rôle est de veiller à la bonne exécution de la stratégie. Une restructuration de fond en comble du secteur de la pêche est donc désormais en marche. Pourvu que les réalisations et le suivi soient bien assurés. Halieutis bis ? En analysant le contenu de la réflexion menée dans le cadre du plan Halieutis, on perçoit clairement la volonté des pouvoirs publics de faire du secteur de la pêche un des piliers de l'économie nationale. Les prévisions annoncées sont, tout au long du plan, calquées sur des données sectorielles actualisées et appuyées de benchmarking de cas de différents pays. Les actions envisagées sont, également, de grande portée. On est tenté ainsi de tirer son chapeau aux concepteurs du plan Halieutis. Mais il y a quelques bémols. Car, certains détails importants ne sont que peu ou pas abordés dans le cadre de cette stratégie. Par exemple, en envisageant de réduire de moitié (-15%) le poids de l'informel sur le secteur, Halieutis ne propose explicitement aucune alternative de reconversion ou de recadrage de ceux qui y opèrent. Que deviendront les pêcheurs artisanaux (14.225 barques au total) dont une grande partie vit de la pêche informelle? Il aurait sans doute été plus indiqué à ce niveau-là de prévoir, comme pour l'agriculture, un système d'agrégation pouvant inciter l'ensemble des acteurs à s'engager dans une optique de synergie globale, de sorte que les petites unités soit redynamisées et les unités informelles recadrées et ramenées au circuit formel. Il en est de même de la situation des marins, dont l'implication est la garantie fondamentale de la réussite d'Halieutis, mais dont la stratégie n'explique pas les mesures à envisager pour améliorer leurs conditions de vie et de travail toujours précaires. En occultant ces points, somme toutes cruciaux pour le secteur, le plan Halieutis semble donner la priorité à la sécurisation de l'amont de l'activité, à savoir la valorisation des ressources et la compétitivité de la production nationale. Devrait-on déjà s'attendre à un éventuel Halieutis bis ? Hassan Sentissi, Président de la FENIP Le plan Halieutis, c'est la meilleure des choses qui puisse arriver à la filière de la transformation. Car au niveau du secteur de la pêche, nous avons trois problèmes très sérieux qui, je l'espère, vont être résolus à travers cette stratégie. Il s'agit des problèmes d'approvisionnement (en quantité et en qualité), de régularité et de traçabilité. La stratégie Halieutis va ainsi faciliter l'accès à la ressource, ce qui reste une grande difficulté. Nous allons aussi voir dans le cadre de cette politique, une stratégie de prix concertée et bien étudiée, car les prix seront désormais indexés. Cela devrait également enclencher la disparition progressive de la pêche informelle et permettre au secteur de gagner en qualité et de créer davantage d'emplois. Ces efforts concertés nous mettrons à l'abri des aléas et de la conjoncture mondiale, tels les fluctuations du prix du gasoil, et permettront au Maroc d'élever le niveau de qualité et de compétitivité de sa production. * Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la pêche Abderrahim Yazidi, Secrétaire Général du Syndicat des officiers et marins de la pêche hautière Pour nous, la vraie urgence, c'est l'hémorragie dont souffre le secteur de la pêche, à cause de la facilité de commercialisation des produits de pêche illégale. Celle-ci entre dans le circuit légal, parce que capable d'obtenir des documents fictifs au niveau de l'Office national de la pêche, ce qui met à l'agonie les pêcheries poulpière, crevettière et pélagique, notamment au nord de Boujdour et à Nador, du fait de la surexploitation dont elles sont victimes. D'ailleurs, il aura fallu la réaction des pays européens qui ont réclamé la traçabilité des produits de la pêche, et ce de la capture à la commercialisation, pour qu'on commence à débattre de cette question au Maroc. La deuxième urgence, ce sont les conditions de vie des marins qui sont encore très précaires, du fait de l'irrégularité de l'activité. En plus de cela, il y a des textes de loi existants et qui ne sont toujours pas appliqués. C'est le cas, notamment, des mesures concernant la mise en place du plan d'aménagement de la pêcherie poulpière et pélagique. Telles sont, pour nous, des situations qui nécessitent des actions d'urgence. Mais la stratégie halieutique n'aborde pas véritablement ces questions et cela nous déçoit. Au niveau du syndicat, nous craignons donc que tout cela ne soit qu'un effet d'annonce. L'aquaculture, production de l'avenir L'aquaculture est le moteur développement l'activité mondiale de la pêche. Certains pays, comme la Chine (58% de parts de marché mondiale), excellent particulièrement dans la production aquacole. Mais le Maroc est à la traïne sur ce créneau. Le plan Halieutis en fait désormais le défi clé à relever. La production marocaine, aujourd'hui insignifiante, devrait dépasser les 200.000 tonnes d'ici 2020, soit 11% de la capture globale. Pour ce faire, l'accent sera mis sur le développement de l'élevage de poissons, des coquilles, des crustacés et des algues marines.