Les négociateurs de l'accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) auront du pain sur la planche ! C'est en tout cas ce dont attestent les résultats du premier round de négociation, qui s'est tenu du 22 au 26 avril dernier. L'accord qui entend faire suite à celui d'association signé en 2002 et dont le démantèlement est arrivé à échéance en mars 2012, compte passer à la vitesse supérieure, en s'attaquant cette fois aux barrières non tarifaires. «Ce qui est extrêmement vaste», commente Dirk Buda, chargé du dossier Maroc au sein du service européen d'action extérieure. Le premier round a en tout cas servi de cadrage des thèmes qui seront étudiés au sein des différents groupes de travail durant toute la période des négociations. «Ce premier rendez-vous est une sorte de pont entre les réunions exploratoires que nous avons menées durant ces derniers mois et le début des négociations effectives entre les deux parties dès le prochain round», explique Elaid Mahsoussi, secrétaire général du commerce extérieur au sein du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies. Les deux parties se sont ainsi organisées en une dizaine de groupes thématiques, avec à la tête de chaque groupe des représentants de chaque partie à l'accord. Ce premier round aurait ainsi servi à rapprocher les deux équipes sur l'étendue de l'accord et sa philosophie globale. «Nous avons surtout discuté des principes généraux et avons demandé certaines vérifications et éclaircissements sur certains points prochainement étudiés, pour qu'il y ait une même compréhension du dispositif», ajoute Mahsoussi, qui est également négociateur en chef de l'accord. Autrement dit, nous ne sommes pas encore arrivés à la négociation point par point des articles et les discussions ont surtout porté sur les différents chapitres à étudier. Les deux parties s'attendent en tout cas à des réponses sur leurs interrogations durant les prochaines semaines d' «inter-round». Les prochaines négociations devraient être tenues, si tout se passe bien, à fin juin. Barrières non tarifaires Pour un accord finalisé, il faudra bien évidemment s'armer de patience : «Ce sera un processus difficile et lent, qui nécessitera au moins deux ans de travail et je ne pense pas qu'il y aura des résultats rapides», tempère Dirk Buda. En tout cas, il semble que cet accord vise d'abord à assurer l'harmonisation et la convergence des normes, notamment les règles de propriété industrielle et commerciale, ainsi que les normes sanitaires et phytosanitaires. «Le volet tarifaire est derrière nous pour les produits industriels et il s'agit maintenant surtout d'autres domaines tels que la concurrence, les marchés publics et tous les autres domaines qui n'ont pas été cités dans l'accord d'association de 2002, où le volet fiscal avait prévalu», renchérit Mahsoussi. Certains opérateurs ne manqueront pas d'affirmer que ce sont ces barrières non tarifaires qui entravent aujourd'hui grand nombre des exportations. Théoriquement, l'Aleca pourrait aller encore plus loin, en s'attaquant à la libéralisation des échanges de services et de capitaux. «Il s'agit ici de questions longtemps discutées avec le Maroc entre 2009 et 2012, mais les négociations avaient piétiné et l'on ne constate pas aujourd'hui beaucoup de progrès», souligne l'expert européen. L'objectif in fine de cette ouverture est de permettre au Maroc de s'intégrer dans l'espace économique européen, sans pour autant prétendre à une adhésion qui reste impossible juridiquement. Il s'agit ici du dessein prévu par le plan d'action sur le statut avancé, dont la version 2013-2017 vient d'être présentée et qui entend couvrir en plus des aspects commerciaux, les questions de mobilité, d'intégration régionale (UMA) et de réformes politiques. Où est passée l'étude d'impact ? L'expérience des différents ALE signés par le Maroc jusqu'ici l'a prouvé, le pays s'est mal préparé à l'ouverture de ses frontières avec des partenaires développées comme l'Union européenne, les Etats-Unis ou la Turquie. Certains avaient même imputé la situation de la balance commerciale à ce manque de visibilité, renforcé par l'absence d'études d'impact sur les risques de déséquilibres macroéconomiques engendrés par une telle ouverture. Le Maroc ne semble en tout cas pas apprendre de ses erreurs. Ni le patronat, qui suit de très près ce sujet à travers sa commission d'exploitation des ALE, ni même les responsables du département du Commerce extérieur ne nous ont confirmé l'existence d'une telle étude pour le présent accord. Le seul document qui circule est celui de l'Union européenne qui ne reflète donc que le point de vue européen sur la question. Selon certains observateurs, cette réticence à lancer une étude d'impact se justifierait par la lenteur de la procédure qui s'ensuit et de l'urgence politique et diplomatique d'un accord. Pourtant, un tel document pourrait non seulement donner plus de visibilité, mais aussi plus d'arguments aux équipes de négociations marocaines. Q/R Michael Mann Porte-parole principal de Catherine Ashton, haute représentante de l'UE Les ECO : Quelle appréciation faites-vous de la situation politique et économique du Maroc ? Michael Mann : Nous avons suivi de près les réformes opérées par le Maroc, via la nouvelle constitution. Il est important d'assurer un vrai suivi de cette loi fondamentale, notamment via les lois organiques très attendues. Nous notons un progrès politique et social, mais il faut poursuivre le travail. La nouvelle politique de voisinage que nous préconisons est «le plus pour le plus politique». Autrement dit, plus un pays réforme, plus il pourra recevoir d'aide de notre part. C'est d'ailleurs le Maroc qui reçoit aujourd'hui le plus d'aides dans le cadre de nos partenaires : Entre 2011-2013, l'assistance de l'UE pour le Maroc s'est élevée à 580 millions d'euros, en plus des 80 millions d'euros d'aides dans le cadre du programme «Spring». Le programme d'assistance pour la prochaine période n'est pas encore adopté. Où en est le plan d'action 2013-2017 sur le statut avancé ? Nous avons un accord politique avec le Maroc sur un nouveau plan d'action qui va mettre en œuvre le statut avancé sur la période 2013-2017. Pour l'instant, nous faisons une application provisoire de cet accord car celui-ci doit être adopté formellement par les deux parties. Nous avons conclu les négociations concernant le nouveau plan d'action en novembre 2012 et nous avons fait une proposition au Maroc le 17 avril 2013. Nous espérons que ce sera validé en novembre prochain pendant le prochain Conseil d'association avec le Maroc. Le projet trace une feuille de route pour approfondir nos relations avec le royaume. Nous pensons notamment à l'alignement graduel du pays sur les normes et standards de l'Union européenne. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous avons mis en place un accord collectif concernant une déclaration conjointe sur la mobilité, qui devrait être signée en juin prochain. Le Maroc sera ainsi le premier pays de la région à en profiter. Il s'agira de lancer les négociations sur la réadmission et la facilitation des procédures de visas pour certaines catégories de personnes (NDLR : étudiants et hommes d'affaires). Nous avons lancé le dialogue sur cette question à Rabat le 13 octobre 2011 et nous avons finalisé les déclarations politiques le 1er et 2 mars derniers lors de la visite de Barroso.