Acteur et écrivain À l'heure où le racisme est loin d'être éradiqué et où des mouvements comme «Black lives matter» subsistent, la lutte contre ce fléau reste d'une triste actualité. S'il est une figure de proue, qui s'est fait connaître dans le combat contre ce phénomène abject, c'est bien Saïd Taghmaoui, un acteur qu'on ne présente plus. La star d'origine marocaine, bankable s'il en est, et qui s'est exportée avec bonheur outre-Atlantique, était à Casablanca, à l'Acting Institute, pour animer une master classe. Taghmaoui, qui tient la vedette dans plus de 40 films, nous a accordé un entretien pour nous parler de son livre «De la haine à Hollywood», l'occasion aussi de prodiguer quelques précieux conseils, sans jamais plastronner, à cette nouvelle génération d'acteurs, promise à un bel avenir. Quel est, pour vous, la différence entre être acteur et écrire un livre ? Dans quel rôle vous sentez-vous le plus à l'aise ? Il n'y a pas vraiment de rôle où je me sens plus à l'aise. En fait, c'est assez complémentaire. Il y a de très grands acteurs qui sont incapables d'écrire un livre et de grands écrivains qui ne peuvent pas jouer la comédie. Il se trouve simplement que moi, j'aime profondément la littérature pour ce qu'elle m'a apporté dans la vie en tant qu'artiste et en tant qu'être humain. J'arrive à un moment donné de ma vie, à un virage, une certaine maturité, et ce livre a été comme une évidence. Une espèce d'autobiographie, plus proche de la psychanalyse que du livre sur la cuisine marocaine. Donc, ça a mis un peu plus de temps et je l'ai écrit seul comme un grand ! Mon livre, «De la Haine à Hollywood», a eu un très beau succès en librairie. Il s'agit de mon histoire personnelle, et à travers la mienne, de celle de l'immigration, de la ségrégation, du racisme et de toutes ces choses qui restent, hélas, d'actualité. Justement, le racisme, c'est un combat que vous menez depuis des années.Est-ce que vous n'en avez pas assez de vous battre pour des choses qui ne devraient plus exister en 2022 ? Non ! On ne se lassera jamais de répéter que la dignité, l'honneur, la loyauté et toutes ces valeurs formidables sont essentielles à notre monde. Je pense que tant que certains considèrent qu'un enfant blanc vaut dix enfants noirs ou dix petits arabes, on ne doit pas s'arrêtera de répéter cela, et j'espère qu'on persistera à le faire. Je pense que l'inégalité et l'injustice, dans ce monde, représentent quelque chose de complexe. On nous parle de grands principes sur le papier… Mais, la théorie est très loin de la pratique ! C'est donc notre devoir, et celui de tous les artistes, de continuer à le marteler et de nous battre contre le racisme. Vous êtes au summum de votre carrière et pourtant, il y a un rôle qui vous colle à la peau, celui de «La Haine». Est-ce que cela ne vous dérange pas ? Et quelle est votre plus grande satisfaction ? Je ne pense pas que ce rôle me colle particulièrement à la peau. D'ailleurs, mon prochain film s'appelle «Tin Soldier» avec Robert De Niro et Jamie Foxx. C'est un film sur la guerre. Avant cela, j'ai tourné dans «The Forgiven», avec Jessica Chastain. Ceci dit, je ne peux pas obliger les gens à rester bloqués sur ce rôle. Moi, je sais où j'en suis et pour aller même plus loin, je pourrais dire que je suis l'acteur des gens… en fonction des films qu'ils ont vu! Certaines personnes n'ont pas vu «La Haine», mais ils ont assisté à la projection de «Wonder woman». Ceux là me perçoivent comme «l'Acteur» de ce film. D'autres, qui n'ont vu que «John Wick», sont convaincus que je suis «l'Acteur» de ce film-là… Donc, en fonction des êtres que je croise et du rapport qu'ils ont avec ma filmographie, moi «j'appuie sur le bouton» et ça ne me dérange absolument pas. Ma réalité, c'est que j'ai tourné dans une quarantaine de films après «La haine». Il n'en reste pas moins que celui-ci est un classique absolu, un film culte à travers le monde. Aussi, je ne saurais éprouver de la honte par rapport à un film qui m'a fait naître et m'a beaucoup apporté. D'ailleurs, j'ai participé à l'écriture de son scénario et c'est donc pour moi un honneur d'en parler. J'espère même qu'on en parlera jusqu'à la fin de ma vie ! Que pensez-vous de l'acting au Maroc ? Vous avez dit qu'il fallait travailler dans la vie pour y arriver. Mais est-ce qu'il ne faut pas aussi un petit coup de pouce ? Je pense qu'il faut se contenter de travailler et laisser Dieu nous aider. Tout est question d'humilité ! Il faut prendre le temps, être patient, savoir accepter… Il faut aussi faire plus dans la spiritualité et moins dans la comptabilité permanente. Tout ne s'explique pas avec des mots. Il faut apprendre à faire preuve d'humilité, continuer à travailler, rester poli et courtois en toutes circonstances et aussi assumer ses obligations. Il faut également s'interdire de tricher, «prendre son ticket» et faire la queue comme tout le monde. Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ECO