En dépit de la carotte fiscale pour le logement dédié à la classe moyenne, les promoteurs immobiliers continuent de tourner le dos à ce segment. En effet, depuis l'entrée en vigueur des mesures incitatives prévues dans le cadre de la loi de finances 2013, aucun opérateur privé n'a franchi le pas. À en croire les professionnels, ce ne sera pas pour demain. «Nous avons attiré l'attention du gouvernement lors de l'élaboration de la loi de finances sur le caractère irréaliste et irréalisable de la formule proposée. Pour les opérateurs, se lancer dans ce produit, surtout dans la conjoncture actuelle, revient à naviguer à vue», indique Youssef Iben Mansour, président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI). Les promoteurs immobiliers retiennent plusieurs griefs contre l'approche adoptée pour lancer ce produit : «L'Etat a refusé de dupliquer les avantages accordés au logement social , alors que le produit destiné à la classe moyenne n'est pas le même et les charges y afférentes sont beaucoup plus élevées. L'investissement est important, alors que les marges sont très réduites. Bref, le jeu n'en vaut pas la chandelle», renchérit ce promoteur casablancais. D'où le statu quo actuel, en attendant que les protagonistes changent de position. Tirs groupés Lors de la négociation du projet de loi de finances 2013, promoteurs immobiliers et gouvernement n'étaient pas sur la même longueur d'ondes. Et pour cause, les professionnels décriaient les marges trop réduites de la formule du gouvernement. L'offre de ce dernier se résume comme suit : une superficie couverte comprise entre 80 et 120 m2 , avec un mètre carré vendu à 6.000 DH, le prix de vente devant varier entre 480.000 et 720.000 DH TTC. «Tout le monde convient que ces niveaux de prix sont inexistants sur le marché. En clair, ces chiffres correspondent à ceux du logement social, avec des exigences de qualité bien supérieures et des superficies plus importantes», explique le promoteur casablancais. Visiblement, les promoteurs ont bien fait leurs calculs : selon le dispositif proposé par l'Etat, les futurs logements «intermédiaires» devraient être commercialisés au même prix que le logement social, soit à 5.000 DH hors taxe (6 000 DH TTC) avec, qui plus est, moins d'avantages fiscaux. En effet, dans le cadre du dispositif du logement social, l'Etat prend en charge la TVA de 20% sur le prix de vente. À 250.000 DH, le logement revient donc à 5.000 DH le m2 hors taxe. De plus, le promoteur est exonéré de l'IS ou de l'IR. Or, pour ce qui est des avantages pour le logement de la classe moyenne, aucune exonération n'est prévue, sauf une proposition de suppression des droits d'enregistrement au profit des acquéreurs. «C'est une question de bon sens : qu'est-ce qui ferait qu'un promoteur immobilier, qui reste un investisseur, aille s'aventurer dans ce programme alors que les marges bénéficiaires sont beaucoup plus intéressantes dans les autres segments», se demande le président de la FNPI. Du côté du ministère de tutelle, l'on avance d'autres arguments : «Dans la conjoncture présente, il est difficile pour l'Etat de concéder d'autres avantages fiscaux aux promoteurs immobiliers. Déjà, ils bénéficient de plusieurs exonérations fiscales et leur marge de bénéfice est importante dans le cadre du programme du logement social. Ils peuvent bien faire un petit effort et se contenter de gagner un peu moins d'argent que d'habitude», tonne ce cadre du ministère de l'Habitat. Le département de Nabil Benabdellah compte donc sur le holding Al Omrane, le seul à se lancer jusqu'à présent, pour stimuler le programme dédié à la classe moyenne. Cavalier seul Face à la réticence des opérateurs privés, l'aménageur-développeur étatique est venu à la rescousse. Le holding, dirigé par Badr Kanouni, a en effet lancé cinq projets immobiliers dédiés à la classe moyenne pour l'équivalent de 1.200 à 1.500 logements. L'entreprise ne s'aventure pas en terre inconnue : 22% de ses logements (appartements, villas et lots) sont en effet dédiés à la classe moyenne. Néanmoins, le holding semble y aller sans grande conviction. Lors d'une table ronde organisée la semaine dernière à l'ESCAE et ayant connu la participation de plusieurs organismes publics et privés, le patron d'Al Omrane n'a pas affiché un grand enthousiasme en parlant de la rentabilité de ce segment : «Il est évident que la formule actuelle du logement dédié à la classe moyenne est moins rentable que les autres segments. Les projets ne se feront pas à perte, mais les marges sont assez réduites», a-t-il déclaré. Cette affirmation apporte de l'eau au moulin des promoteurs immobiliers privés, qui n'ont pas arrêté de critiquer le package proposé pour propulser le produit dédié à la classe moyenne. «Avec les soi-disant avantages contenus sans la loi de finances pour promouvoir le logement destiné à la classe moyenne, il est difficile pour un promoteur immobilier de tirer son épingle du jeu...», assène Youssef Iben Mansour. Petite précision : selon les orientations stratégiques de la déclaration gouvernementale, Al Omrane se concentrera, à terme, sur les programmes à faible valeur immobilière (140.000 DH). En d'autres termes, il ne faut pas compter sur lui pour être le «parrain» du logement pour la classe moyenne. Mais passons...une autre question a été soulevée toute aussi intéressante. Les projets prévus Al Omrane seront situés à Agadir, Nador, Tamesna et Oujda. Rareté du foncier oblige, les grandes agglomérations, Casablanca et Rabat notamment, ne sont pas inscrites dans le tableau de bord du holding public. Or, la classe moyenne visée par ce programme (personnes ayant un revenu mensuel net ne dépassant pas les 20.000 DH) est majoritairement installé dans l'axe Casablanca-Rabat. Un paradoxe qui remet en question tout le montage de ce programme. Cherche terrains ! Ce n'est pas un secret, depuis des années déjà, la question du foncier donne du fil à retordre aux promoteurs immobiliers. À les en croire, même si le package proposé par l'Etat est revu à la hausse, il ne faut pas s'attendre à voir des projets dédiés à la classe moyenne dans les grandes villes. «Le calcul est simple : pour être dans les normes, le coût du foncier ne doit pas dépasser 30% du prix de revient, soit un maximum de 1.800 DH le m2, ce qui est pratiquement impossible dans l'axe Casablanca-Rabat», explique un promoteur immobilier. Parmi les pistes qui ont été évoquées pour trouver une issue à cette question épineuse, le foncier public. En clair, donner accès aux promoteurs souhaitant se lancer dans ce type de logement à des conditions avantageuses. Cette piste a été toutefois abandonnée rapidement, car le plus gros pavé foncier de l'Etat est situé dans les centres urbains de petite ou moyenne taille, alors que l'essentiel de la demande est concentré dans les grandes villes. Autant d'embûches qui parsèment le chemin de ce programme. Finalement a-t-il été lancé dans la précipitation ? Du côté du ministère de l'Habitat, l'on promet de faire des efforts pour rectifier le tir : «des prescriptions plus engagées sont en préparation dans le cahier des charges spécifique aux logements destinés à la classe moyenne», avait déclaré Nabil Benabdellah aux Inspiration Eco. Les promoteurs immobiliers, eux, ne cachent pas qu'il aurait été plus judicieux de reporter ce programme au moins jusqu'à l'année prochaine. «Plusieurs incertitudes planent sur le secteur actuellement et plusieurs facteurs, notamment le renchérissement des matériaux de construction et la mévente dans certaines villes, brouillent la visibilité», indique ce promoteur immobilier. En tout cas, tout ajustement du dispositif doit attendre la prochaine loi de finances ! Fiscalité. Mauvaises surprises La loi de finances 2013 a apporté de mauvaises nouvelles pour les propriétaires de terrains comme pour les promoteurs immobiliers. Des mesures contenues dans le texte de loi qui donnent des sueurs froides aux deux protagonistes. La première a en effet décrété le relèvement du taux de l'impôt sur les profits fonciers de terrains possédés depuis 5 ans et plus de 50% puisqu'elle passe de 20% à 30%. La seconde, quant à elle, concerne la révision du mode de détermination du prix d'acquisition à considérer en cas de cession de terrains hérités. Jusqu'à il y a peu, les cédants de ce type d'actifs avaient la possibilité de faire considérer la valeur de marché au moment de l'héritage comme prix d'acquisition. Mais à présent, le prix d'acquisition doit correspondre au prix d'achat déboursé par le propriétaire décédé, ou à la valeur vénale de l'époque si ce dernier a lui-même hérité le terrain. Cela augmente nécessairement la plus-value à retenir, ce qui induit une plus forte imposition. Résultat : «les transactions de vente et d'achats de terrains sont pratiquement à l'arrêt, car un propriétaire n'a pas intérêt à vendre dans ces conditions. Déjà une taxe de 20% était considérée comme élevé, avec son relèvement à 30% les choses se corsent davantage», déplore le président de la FNPI. Q/R Youssef Iben Mansour Président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) Les ECO : À ce jour, aucun opérateur privé n'a lancé de projets dédiés à la classe moyenne, en dépit des incitations fiscales prévues par la loi de finances. Cela équivaut-il à un rejet de cette formule ? Youssef Iben Mansour : Lors de l'élaboration de la loi de finances 2013, nous avons expressément dit à nos interlocuteurs au gouvernement que le dispositif fiscal incitatif pour le produit de logement dédié à la classe moyenne n'est pas réaliste. Notre position n'a pas changé. Avec les charges inhérentes à ce segment et la cherté du foncier, il est impossible de livrer un produit à un prix de vente de 6.000 DH TTC le mètre carré. La raison pour laquelle ce produit ne connaît pas d'engouement. C'est vraiment dommage, car au vu de la forte demande et du potentiel de ce segment, le lancement en bonne et due forme de ce produit aurait donné un coup de fouet à l'activité et faire sortir le secteur de sa morosité. Quelles sont les pistes de solution pour partir sur de bonnes bases et lancer l'offre classe moyenne ? Nous sommes ouverts sur toutes les propositions. À mon avis, la question est simple : pourquoi un promoteur irait-t-il contracter une convention avec l'Etat pour vendre à un prix de 6.000 DH le mètre carré, alors que le prix du marché dépasse 10.000 DH ? Le package proposé par l'Etat n'est pas intéressant. Il faut revoir les conditions de ce produit, afin d'avoir une offre produit permettant d'assurer une certaine marge aux promoteurs. La question du foncier se pose avec acuité. Des villes comme Casablanca et Rabat, où les terrains se font rares, paraissent exclues d'office de cette offre... Pas forcément. Trouver les terrains est une affaire des promoteurs, et avec l'aide des pouvoirs publics, ce handicap peut être surmonté. Maintenant, pour assurer une offre adéquate avec des prix «corrects», il faut faire dans le volume, c'est-à-dire construire de grands projets pour assurer une marge bénéficiaire respectable et garder les prix à un niveau accessible.