L'agence de notation internationale Standard & Poor's a jeté un pavé dans la marre en revoyant à la baisse sa notation sur les perspectives de l'économie marocaine de stable à négative (comme annoncé dans l'édition du 12 octobre 2012 des «Echos quotidien»). En effet, même si S&P n'a pas dégradé la note souveraine du royaume, elle agite tout de même le spectre d'une dégradation éventuelle dans les semaines voire les mois à venir. Si cette dégradation se concrétise et que le royaume perdait son «Investment Grade», ce serait un vrai coup dur pour les officiels marocains qui ne cessaient de se targuer de ce fameux sésame, décroché fin 2009, pendant leurs road shows. Toutefois, force est de constater qu'une telle dégradation ne serait pas une surprise au vu du contexte économique actuel. Cette baisse de notation a même été anticipée par nombre d'analystes de la place. «La dégradation de la notation est prévisible depuis la fin du premier trimestre car un simple arbitrage économique était suffisant pour anticiper une telle dégradation», argue le trader Saad Meziati. En effet, les notations de presque tous les partenaires européens ont été révisées à la baisse au vu du ralentissement de l'économie de la zone euro. Aussi, ces facteurs ne pouvaient manquer d'impacter le Maroc sur le moyen terme, eu égard à la dépendance de son économie marocaine vis-à-vis de ses partenaires européens. Aujourd'hui que la menace d'une dégradation se précise, nous ne pouvons nous empêcher de poser la question sur l'étendue de son impact. Pour Saad Meziati «une telle dégradation de la note souveraine de notre pays, en pleine tempête, constituerait un évènement majeur qui pourrait avoir un impact important sur les budgets de l'Etat dans les années à venir». Plus encore, une telle dégradation de la note de la dette de l'Etat marocain confèrerait à cette dette un caractère spéculatif. Pour être encore plus précis, la perte de cette note aura des effets néfastes sur les charges annuelles de la dette marocaine, ce qui ne manquera pas d'affecter de manière importante les prochains budgets de l'Etat. Prime de risque Mais là où le bat blesse réellement c'est qu'une dégradation officielle de cette note constituerait, a fortiori, une étape décisive vers un mouvement de réajustement à la hausse du risque marocain et principalement de la prime réclamée par les investisseurs pour acheter de la dette, laquelle deviendrait alors élevée. A l'heure où le Maroc a d'ores et déjà annoncé sa prochaine levée de fonds à l'international, le risque d'une dégradation constitue indéniablement un mauvais signal. «L'incidence d'une perte de l'Investment grade est donc loin d'être négligeable. Elle serait probablement durable et nous pourrions donc mettre plusieurs années à en retrouver le niveau», surenchérit le spécialiste des marchés financiers. Cela se traduirait immédiatement par des implications négatives sur les conditions de financement et des difficultés accrues pour accéder au marché. Par ailleurs, le gouvernement s'apprête à affronter une hausse du coût des importations dans un contexte où les marges sont laminées par la hausse des prix des matières premières, essentiellement du prix du pétrole. Saad Meziati voit aussi se profiler une hausse probable du dollar qui risque d'impacter aussi la facture des importations. Dans ce cas, ladite hausse serait double, car elle engloberait à la fois celle du dollar et celle du taux d'intérêt. Rappelons que cette notation évalue cinq aspects de la situation économique d'un pays, tout d'abord son profil politique et économique, qui se fonde sur deux sous-notes ainsi que sur le profil de flexibilité et de performance, lequel dépend de trois sous-notes (extérieure, fiscale et monétaire)... «La dégradation de la notation souveraine provoque un effet de signal négatif qui renseigne sur une dégradation du cadre macro-économique national en général, et comme les partenaires étrangers tiennent compte de cette notation dans l'évaluation du risque pays, cela impactera bien évidemment les mouvements d'investissement et de crédit à destination de notre pays», prévient pour sa part Otmane Gair, professeur en sciences économiques et gestion à l'Université Hassan II de Mohammédia. «En cas de dégradation de la note marocaine, l'impact de la dégradation de la notation souveraine sur les variables économiques dépendra de l'ampleur de cette même dégradation et des mesures prises, immédiatement, pour donner un signal positif propre à atténuer l'effet d'annonce. Néanmoins, et de manière générale, la dégradation de la notation réduit la confiance dans l'économie du pays en question et par voie de conséquence, dans le cas marocain, cela pourrait entrainer un renchérissement du crédit à l'étranger et une éventuelle baisse des IDE», estime l'universitaire. Rétablir la confiance Pour l'instant, nous n'en sommes pas encore là et la note souveraine du Maroc n'a pas encore été revue à la baisse par S&P. Il s'agit donc pour le moment de mesurer l'impact de la perspective négative de cette agence sur le Maroc. Si le gouvernement n'arrive pas à donner des signes satisfaisants de réforme, la dégradation de la note sera imminente. Une seule voie s'impose, celle d'investir dans la confiance à travers une politique économique et monétaire stricte, qui rétablisse les équilibres macro-économiques et améliore le climat des affaires. Pour rappel, l'agence de notation Moody's place déjà le Maroc en tant qu'émetteur spéculatif, une deuxième dégradation par S&P sera une condition suffisante pour classer le Maroc en tant que tel. «Malheureusement, ce scénario reste le plus probable», estime Imad El Ahdi, analyste financier. L'expérience a bien montré que c'est l'agence Moody's qui est le précurseur en matière de notation. «Elle annonce souvent le ton de l'évolution, S&P suit», explique-t-il avant d'affirler qu'en cas de confirmation, «les deux notations défavorables classeront irrémédiablement le Maroc dans ladite catégorie, abstraction faite de la notation positive de Fitch Ratings», d'après l'analyste. Du reste, le nombre de places que le pays va céder reste à déterminer. Cela pourrait, de plus, entrainer une tension sur le rendement obligataire marocain. En effet, considéré comme étant plus risqué, les investisseurs exigeront une prime de risque supplémentaire pour compenser leur prise de risque. «Aussi, l'influence sur l'environnement économique pourrait se faire ressentir par un effet d'entrainement, principalement sur le secteur bancaire», anticipe Imad El Ahdi. La notation souveraine impacte directement les rendements exigés par les prêteurs de fonds aux banques nationales puisqu'en pratique, la notion du risque pays ou souverain est incorporée dans le calcul des prêteurs internationaux. En outre, l'effet sur la rentabilité espérée par les investisseurs étrangers augmentera car les modèles d'évaluation de cette rentabilité incluent à l'unanimité le rendement de l'actif sans risque, consistant en obligations publiques et en une prime de risque. Dans ce sens, «l'augmentation des rendements exigés sur les obligations marocaines de la rentabilité «sans risque» entraîneront une augmentation de la rentabilité totale exigée par les investisseurs», ajoute l'analyste. Cependant, l'effet d'une telle dégradation reste à nuancer au vu d'un caractère propre à la structure de la dette marocaine. En effet, les investisseurs nationaux restent les principaux bailleurs des fonds du Maroc, avec des conditions d'emprunt alignées sur celles des emprunteurs étrangers. De surcroît, les fonds étrangers proviennent, pour la plupart, d'institutions internationales, à l'image de l'Union européenne et du FMI, sous forme de prêts de développement et de dons internationaux, ces derniers acceptent d'octroyer les prêts après étude de dossier et non selon le niveau de notation. Aussi, «si toute dégradation de la note souveraine marocaine aura un effet négatif sur les finances publiques et les équilibres macro et micro-économiques, la gravité d'un tel scénario reste à pondérer, vue la spécificité de la structure de financement nationale», conclut El Ahdi. lll