La note souveraine est placée sous perspective négative, BMCE et Crédit du Maroc dégradés. La sortie du Trésor à l'international compromise. Les agences de notation évoquent le manque de liquidité. Bâle III pourrait aggraver la situation. Les actionnaires devront recapitaliser le secteur. Les agences de notation donnent de la visibilité et de la crédibilité à leurs clients, entreprises ou Etats, en normalisant la notion de risque entre différents pays. Ce paramètre est indispensable dans le contexte financier mondial actuel. Le revers de cette visibilité est que ces agences peuvent souffler le chaud et le froid sur le coût de financement de leurs clients. C'est ce que semble vivre le secteur financier du Royaume. Le 10 octobre, l'agence Standard & Poor's a placé la note souveraine du Maroc sous perspective négative malgré son maintien à «BBB-/A-3» pour la note long terme et «BBB/A-2» pour la note court terme. La perspective négative signifie que ladite note peut être revue à la baisse à tout moment par l'agence. Quelques jours plus tard, le 24 octobre, c'est au tour de Moody's de dégrader la note de BMCE qui passe de «Baa3/P-3» à «Ba1» et du Crédit du Maroc qui passe de «Baa2/P-3» à «Baa3/P-3». La première est passée, dans la classification de Moody's, en catégorie «Non-investment grade», soit le premier niveau de la catégorie spéculative. La deuxième, comme pour la note souveraine, se trouve à un cran de cette catégorie. Il faut dire que cette série de dégradations que certains banquiers qualifient d'acharnement, tombe mal. Le Maroc, qui affiche clairement son ambition de se financer à l'international et de pousser ses banques à faire de même, devra s'acquitter d'une prime de risque supplémentaire sur son emprunt si l'opération se fait dans les semaines à venir, ou alors attendre que les nuages se dissipent avant cette sortie, soit un report de l'emprunt pour 2013. Les raisons invoquées par les agences de notation sont d'ordre contextuel et qualitatif, mais également d'ordre intrinsèque aux agents économiques. La dégradation des finances publiques, le déficit budgétaire et la baisse des réserves en devises sont les principales raisons derrière la mise sous perspective négative de la note souveraine. Tandis que la montée rapide du coût du risque, le resserrement des conditions de financement et la fragilité de certains marchés ciblés (par BMCE) expliquent la dégradation de la note des 2 banques. En reprenant les critères cités par Moody's, toutes les banques marocaines évoluent dans un contexte de resserrement de liquidité et toutes ont enregistré une hausse du coût du risque durant le premier semestre 2012. Mais BMCE et Crédit du Maroc souffrent d'une faiblesse des fonds propres par rapport aux crédits engagés et d'une dépendance de plus en plus accrue aux financements externes, selon Moody's. Bâle III n'arrange pas le contexte de liquidité A fin 2011, le ratio de fonds propres de l'industrie bancaire marocaine était de 9,6% sur base consolidée et le ratio de solvabilité globale du secteur était de 11,7% sur la même base. Bank Al-Maghrib souhaite que ces ratios soient portés définitivement à 9% pour le ratio de fonds propres et 12% pour le ratio de solvabilité au plus tard à fin juin 2013 pour préparer le secteur au passage aux normes de Bâle III en terme de fonds propres. Autant dire que le secteur est en avance sur ces échéances. D'ailleurs, les augmentations de capital se sont accentuées en 2012. Les dernières en date ont été annoncées par BMCE (2 Mds de dirhams) et BMCI (750 MDH d'obligations subordonnées qui seront assimilées à des fonds propres). L'objectif de ces opérations est de renforcer les ratios de solvabilité de ces établissements. Outre les exigences en fonds propres, Bâle III comporte des contraintes fortes en matière de liquidité. Outre de nouvelles exigences de Bank Al-Maghrib relatives au coefficient maximum de division des risques, l'application des ratios de liquidités de court terme et de long terme pourrait entraîner un renchérissement des ressources et un durcissement des conditions de crédits, même entre établissements bancaires. Concernant le coefficient maximum de division des risques, BAM a relevé le taux de pondération des risques portés sur les établissements de crédit de 20 à 100% pour 2012 et le taux de pondération des risques portés sur les crédits documentaires de 4 à 50%, alors que le coefficient de pondération de risques est resté inchangé sur le portefeuille titres et les bons du Trésor. En d'autres termes, prêter à un autre établissement bancaire où à une entreprise exige plus de fonds propres que de détenir des actifs financiers (voir encadré). En Europe, ce procédé a conduit à une réorientation des activités des banques vers l'activité de marché au détriment de la distribution de crédit qui est supposée être le cœur de métier des établissements de crédit. En somme, l'activité de crédit réduit la rentabilité des fonds propres de la banque. A ce sujet, le gouverneur de BAM avait déclaré timidement lors d'une conférence de presse que «des banques marocaines se sont fait taper sur les doigts parce qu'elles avaient utilisé les avances à court terme pour acheter des bons de Trésor et encaisser le différentiel d'intérêt au détriment de la distribution de crédits». Bâle III aspire également à plus d'orthodoxie financière. Aujourd'hui, les banques du monde entier s'endettent à court terme pour prêter à long terme. Ce phénomène de transformation est la base de l'industrie bancaire. Désormais, les ratios de liquidité introduits par Bâle III obligeront les banques à détenir suffisamment d'actifs rapidement cessibles pour faire face à leurs dettes de court terme dont le remboursement est prévu pour les 30 prochains jours. En 2009, les actifs liquides couvraient 23% des dettes court terme des banques marocaines. En 2011, ce ratio est tombé à 16,1%. A notre connaissance, BAM n'a toujours pas fixé de limite à respecter pour ce ratio. Quoi qu'il en soit, obliger les banques à détenir ces actifs liquides accroîtra leur solvabilité, mais conduira à une baisse des crédits distribués dans des proportions qui restent à déterminer. Pour l'actionnaire, la rentabilité du secteur devrait baisser L'aggravation des créances en souffrance durant le premier semestre 2012 (www.financenews.press.ma), le coefficient de pondération des risques et les exigences de fonds propres nécessaires à l'adoption de Bâle III entraînent systématiquement une baisse des capitaux propres du secteur. Le moyen le plus rapide pour pallier ce problème est de mettre à contribution les actionnaires. Or, les banques et leurs actionnaires préfèrent l'endettement plutôt que les fonds propres pour financer leur activité. Selon un cabinet de conseil, «l'augmentation de capital coûte plus cher pour la banque parce que le dividende distribué n'est pas déductible fiscalement comme peut l'être l'intérêt de la dette. Aussi, le rendement exigé par les actionnaires est plus élevé que le taux de la dette, ce qui peut pousser les banques à prendre plus de risques pour rémunérer correctement leurs actionnaires». Du point de vue des actionnaires, surtout ceux de longue date, «effectuer des augmentations de capital à répétition provoque une dilution du dividende. Ils sont obligés de souscrire à chaque fois pour maintenir leur rendement (ROE) au même niveau», ajoute notre source. Par A. H. Impact du coefficient de pondération sur les exigences en fonds propres En partant d'une exigence de fonds propres de 8%, si la pondération du risque des bons de Trésor est de 1% et la pondération des prêts aux autres banques de 100%, pour chaque 100 dirhams de fonds, la banque peut détenir : 100 dirhams / 1% / 8% = 125.000 dirhams de bons de Trésor. 100 dirhams / 100% / 8% = 1.250 dirhams en prêts aux autres banques. Dans l'exemple ci-dessus, une banque qui veut maximiser la rentabilité de ses fonds propres a intérêt à détenir uniquement des bons du Trésor. Prêter aux autres banques exige plus de capitaux en réserve. Cet exemple reste théorique car BAM n'acceptera jamais une telle distribution d'actifs.