«Depuis le jour où nous avons commencé à utiliser l'huile d'argan comme huile de massage, la plupart des gens ne peuvent plus l'utiliser comme huile de cuisine. C'est devenu très cher», avait déclaré, il y a quelques années, un père de famille soussi. Pourtant, les avis sont réellement mitigés quand il s'agit de l'impact de la commercialisation à l'international de ce produit purement marocain. Il est vrai que le prix de l'huile d'argan a flambé sur le marché local, mais ceci n'annule pas ses innombrables avantages. Selon Zoubida Charrouf, professeur à la faculté des sciences de l'Université Mohammed V de Rabat et spécialiste de l'arganier, cette commercialisation, notamment via les coopératives féminines, a plusieurs avantages. «Il s'agit premièrement de l'accès direct à la commercialisation des produits, dont jouissent désormais les femmes des coopératives. Ceci engendre évidement des retombées économiques et sociales non négligeables et une meilleure structuration de la filière». Les régions où pousse l'arganier, plus au moins confinées dans le triangle constitué par les villes d'Agadir, Essaouira et Taroudant, ont pu bénéficier de ce développement à l'international, notamment en termes de notoriété, un atout indispensable au développement touristique de ces contrées. Ceci n'est pas le seul avantage, puisque la demande grandissante sur l'huile d'argan a également eu un impact sur le développement de la recherche sur l'arganier et sur son huile. Ce développement a même été derrière la création d'un label d'indication géographique. Pour structurer la filière, l'Association marocaine de l'indication géographique de l'huile d'argan (AMIGHA), a institué le label IGP (Indication géographique protégée). «Ce label collectif, sanctionné par une certification selon un cahier des charges établi par les producteurs, a pour objectif de promouvoir la filière et de mener une démarche collective de commercialisation, de communication et de promotion. Cette dernière profitera en premier lieu aux populations locales, tout en garantissant au consommateur une qualité capable de renforcer le positionnement de l'argan sur le marché mondial. Il nous permettra de lutter également contre toute usurpation commerciale du nom Argane», précise Mohamed Ouraiss, président de l'AMIGHA. Certes, l'ouverture de la filière sur les marchés mondiaux procure des devises. Si le Pr. Charrouf estime à 20 millions d'euros ce que rapporte l'huile d'argan en termes d'exportation, plusieurs opérateurs restent sceptiques. En effet, ceux-ci trouvent une énorme difficulté à quantifier le volume des exportations. Cela est dû à plusieurs éléments, à commencer par le fait qu'une grande partie des exportations est considérée par la douane comme huile végétale et, donc, non déclarée. De plus, selon Ouraiss, une grande quantité d'huile est «exportée» de manière informelle, utilisant comme moyen le transport routier. Cette quantité n'est également pas déclarée et donc non comptabilisée. Comme estimation, les producteurs parlent d'un volume déclaré de 400 tonnes en 2011, ce qui équivaut à 48 millions de DH. Ils s'accordent cependant sur le fait que la production devrait être très faible cette année, compte tenu de la grande vague de sécheresse qu'a connue le pays. Pour préciser, Ouraiss estime que la production d'huile d'argan connaîtra une baisse d'environ 30% par rapport à 2011. De plus, l'offre est actuellement très faible à cause de la multiplication des intermédiaires et due stockage de la matière première pour une utilisation postérieure. De l'autre côté, la demande à l'international ne cesse d'augmenter. Solidaire ? Dans les régions où pousse l'arganier, on compte environ 160 à 170 coopératives. Il existe cependant plusieurs coopératives et sociétés dans les régions où ne pousse pas cet arbre. En effet, certaines coopératives profitent du business de cette denrée pour recruter les touristes sensibles au commerce solidaire, et attirés par cette image véhiculée par la filière. Certaines sociétés de cosmétiques profitent également de l'image solidaire de l'huile d'argan, en optant pour une communication qui met en avant l'aspect «durable» de l'huile d'argan, sans que les ayants-droit puissent en bénéficier de manière directe. Structuration de la filière Malgré le processus de structuration en cours, l'informel gangrène toujours la filière, d'autant plus que plusieurs coopératives existantes peinent à survivre, ce qui représente, selon le Pr. Charrouf, «une urgence». En effet, les femmes des coopératives risquent d'être complètement dépossédées de leur travail à cause de la machine de concassage du fruit qui est actuellement sur le marché. «L'opération de concassage du fruit de l'argan s'est toujours déroulée de manière manuelle. Actuellement, plusieurs entreprises se sont dotées de machines à concasser et ne font plus appel aux femmes pour cette opération. Que vont-elles devenir ?», se demande Charrouf. De plus, la cueillette se fait parfois avant que le fruit ne soit complètement sec. Si la réglementation n'est pas respectée, cela risque d'avoir un impact négatif sur les arbres à long terme. D'un autre côté, le contrat-programme étatique prévoit la réhabilitation de 20.000 hectares par an, d'ici 2020. Cette réhabilitation comprend aussi la régénération et le reboisement de l'arganier, qui connaît cependant plusieurs exemples d'échecs lors de la plantation. Zoubida Charrouf,Professeure à la Faculté des sciences de l'Université Mohammed V de Rabat. «L'Etat marocain devrait encouragerla recherche» Les Echos quotidien : Quels sont les éléments qui ont transformé la filière de l'argan ces dernières années ? Zoubida Charrouf : On peut citer plusieurs éléments, à commencer par la mécanisation du processus d'extraction de l'huile d'argan et la structuration de la filière en coopératives de femmes. La recherche sur l'arganier et ses dérivés a suivi le développement de la filière de l'argan et a eu un impact non négligeable sur l'huile d'argan et son exploitation. Est-ce que l'augmentation des exportations de l'argan n'ont pas généré d'incidences négatives sur la filière ? Beaucoup de gens pensent que l'exportation de l'huile va entraîner une surexploitation de l'arganeraie, mais ce n'est pas mon avis. Avant ce boom, le Maroc perdait environ 600 ha par an. On le défrichait et on le remplaçait par des cultures intensives qui rapportaient plus d'argent. Les activités de reboisement étaient presque nulles. Depuis la valorisation de l'huile d'argan, nous assistons à une augmentation exponentielle des activités de reboisement. Entre 2000 et 2010, les surfaces reboisées ont été multipliées par cent (selon les sources du Haut commissariat aux eaux et fôrets et à la lutte contre la desertification, HCEFLD). Le gouvernement a un programme de reboisement de 20.000 ha par an entre 2012 et 2022. Ces données ne sont-elles pas en faveur d'une prise de conscience de l'intérêt de préserver cet arbre ? Il est connu dans le monde entier que l'on ne préserve une espèce que lorsqu'elle devient économiquement intéressante. Que faut-il encore faire pour protéger cette filière ? Je trouve que rien n'a été encore fait pour protéger la marque Argan. Le Maroc est presque dépossédé de l'usage de ce nom à l'international. Sur un autre registre, les produits de santé sont de plus en plus demandés mondialement. L'Etat marocain devrait encourager la recherche dans le domaine de la santé et du bien-être car l'arganier possède des potentialités innombrables.