Un cadre réglementaire livré avant la fin de l'année, des candidats potentiels qui se sont déjà manifestés... et pourtant, il faudra encore attendre quelques années avant de voir la finance islamique prendre son envol au Maroc et plus globalement dans la région. C'est là la conclusion de l'agence de notation américaine Standards & Poors dans une note analytique sur le potentiel de la finance islamique dans la région. En effet, l'Agence conforte les dernières déclarations du gouverneur de la Banque centrale, qui estimait que le lancement de banques islamiques ne se ferait pas d'un seul coup et que les agréments à délivrer une fois la nouvelle loi bancaire adoptée, le seront probablement de manière progressive. Pour Abdellatif Jouahri, cela dépend principalement de la capacité du marché à absorber le lancement des nouvelles entités. Pour lui, c'est la préservation des équilibres du marché qui prime. «Nous ne sommes pas obligés d'octroyer tous les agréments au même moment. On verra combien le marché pourra supporter de banques islamiques et nous déciderons après du nombre d'agréments à octroyer», souligne Jouahri pour qui ceci pourrait se faire de la même manière que dans le cas des banques classiques. C'est exactement l'avis que partage aujourd'hui S&P qui cite dans sa note que «malgré des incitations fiscales pour développer le secteur et un terrain propice pour sa croissance, le développement de la banque islamique ne peut être que progressif sur les deux à trois prochaines années et cela jusqu'à ce que la pénétration du marché s'améliore significativement». Mieux encore, l'agence de notation va encore plus loin en citant quatre préalables majeurs pour réussir le développement de la banque islamique en Afrique du Nord. Le premier est la stabilité politique. En effet, les activités bancaires islamiques ont besoin d'un environnement politique plus stable pour se développer. Ceci est principalement dû au fait que les pays de la région, à l'instar du Maroc, doivent dans un premier temps apporter des modifications à leur cadre juridique et réglementaire afin de répondre aux exigences de cette industrie. Le Maroc, bénéficiant d'un meilleur climat politique a déjà entamé le processus en finalisant la nouvelle loi bancaire qui réserve tout un chapitre à la finance islamique. Le seul bémol, c'est que cette loi devra encore être accompagnée, selon Abdellatif Jouahri, par des textes et décrets d'application. L'enjeu est donc de faire en sorte que ces textes soient préparés dès que possible pour qu'ils entament leur circuit de validation aussitôt que la nouvelle loi bancaire sera adoptée. Or, des questions commencent à se poser dans le milieu des affaires sur l'impact que pourrait avoir un éventuel remaniement ministériel, promis par le nouveau secrétaire général de l'Istiqlal, notamment en raison des retards que cela pourrait avoir sur la concrétisation de ces nouveaux textes. Ceci prend en otage également le deuxième point-clé que Standards & Poors juge comme préalable nécessaire à la finance islamique. En effet, l'agence de notation considère qu'il est nécessaire que l'exploitation des banques islamiques soit clairement définie, au même titre que son cadre de supervision. «D'un point de vue réglementaire, les gouvernements doivent relever le défi et permettre de nouvelles entrées sur le marché ainsi que l'introduction de nouveaux produits, tout en maintenant la stabilité des systèmes bancaires», insiste S&P. La mise en place d'un secteur bancaire islamique solide exige en effet la définition et la mise en œuvre d'une réglementation solide pour guider une nouvelle industrie, qui se caractérise par l'innovation financière. «Ce nouveau cadre devra être testé à travers un cycle économique complet», ajoute la même source. Quid de la concurrence avec les banques classiques ? Sur un autre registre, l'introduction de la finance islamique devrait incontestablement chambouler la dominance des banques classiques. La dynamique concurrentielle du secteur bancaire devrait en effet être affectée par la présence de nouvelles entités sur le marché, chose qui n'est pas forcément bénéfique. «Substituer les activités bancaires classiques par celles des banques islamistes ne suffirait pas à apporter un bénéfice pour le système. L'ouverture de ce marché pourrait conduire à un appétit et un risque élevé pour les banques existantes», prévient S&P. La recrudescence de la concurrence sur le marché pourrait en effet amener certaines banques à prendre plus de risques pour éviter l'effritement de leurs parts de marché. De plus, varier l'accès à ce segment peut également créer, selon l'agence de notation, des distorsions sur le marché, en particulier dans la banque de détail où les clients sont censés être les plus sensibles aux questions religieuses. Pour éviter ce cas de figure, les banques classiques sont aujourd'hui plus que jamais amenées à prendre des initiatives de marketing solides pour attirer et fidéliser les clients. Une dynamique venue du Golfe Cela n'empêche, S&P reconnaît que le développement des activités bancaires islamiques pourrait, entre autres initiatives, atténuer certaines pressions financières. Cela pourrait par exemple contribuer au développement des activités et de l'intermédiation bancaires en général, et élargir l'accès au financement pour les entreprises et les Etats de la région. Pour ce faire, le Maroc et ses voisins pourraient bien capitaliser sur leurs relations avec les pays du Golfe. «Nous croyons que les régulateurs et les développeurs de produits devraient être en mesure de miser sur le développement de ce domaine dans d'autres parties du monde, notamment dans le Golfe et l'Asie du Sud-Est, ainsi que dans certains pays européens», relèvent les experts de l'agence de notation. Ces derniers ajoutent que l'expertise est disponible, ou pas difficile à acquérir. En supposant que les solutions importées sont agréées par les savants islamiques locaux, ceci devrait aider l'industrie bancaire islamique à devenir plus sophistiquée et intégrée globalement. Les banques du Golfe sur les starting-blocks Pour l'heure, on parle au sein de la Banque centrale de quatre groupes bancaires qui auraient déjà manifesté leur intérêt pour le secteur de la finance islamique. Même si aucune indication n'est donnée sur leur nom, des sources non officielles parlent de banques qataries et d'Arabie Saoudite. Cette tendance est confirmée par le constat relevé par Standards & Poors qui précise que de nombreuses banques basées dans le Golfe sont prêtes à diversifier leur présence géographique, loin de leurs économies dépendantes du pétrole, qui ont limité les perspectives de la banque de détail en raison de la taille étroite de leur marché domestique. «Nous pensons que cette tendance se concrétisera lorsque les conditions de marché iront en s'améliorant», ajoute-t-on auprès de S&P.