Dixième rencontre au sommet entre le Maroc et l'Espagne, 1re sous l'ère de deux chefs de gouvernement nouvellement élus, 1re sous deux alternances politiques de taille, 1re sous l'actuelle situation de crise du voisin ibérique et, enfin, 1re concrétisation d'une volonté royale à «l'émergence de nouvelles conditions économiques»...La rencontre de haut niveau d'aujourd'hui entre le Maroc et le voisin espagnol réussirait sans grand mal à se glisser dans le livre Guinness des records 2012. Cette coïncidence de symbolismes lui confère en effet une signification plus que stratégique. Mieux, cette rencontre s'apparente même à la pose de la première pierre d'une «reconstruction» totale des relations économiques, en particulier, entre les deux pays. Cette relance est d'autant plus fortement désirée, de part et d'autre du détroit que l'Espagne est en mauvaise passe économique et déblaie, à tout hasard, de nouveaux terrains de croissance à ses entreprises privées pour se remettre en selle. La preuve par les chiffres : Mariano Rajoy, le Chef de gouvernement espagnol, atterrira à Rabat avec une imposante délégation de plusieurs dizaines d'hommes d'affaires de son pays. Si la plupart de ces investisseurs sont là pour redonner du souffle à une présence économique déjà affirmée, la partie restante en est encore à la prospection de nouvelles opportunités. Relance Du côté du royaume, en dépit de la perte de vitesse de ses exportations vers ce pays et son impact produit sur certains secteurs comme le textile, dus à la baisse de la demande espagnole, le voisin ibérique demeure et restera un partenaire économique de choix, notamment dans l'attrait des investissements étrangers. «L'Espagne est le second fournisseur, le deuxième client, et le deuxième investisseur au Maroc, toujours derrière la France. Nous nous référons principalement à l'investissement cumulé au cours des 5 ou 10 dernières années, car l'Espagne est en passe d'être dépassée sur ce créneau par la nouvelle tendance des grandes opérations ponctuelles menées au Maroc par le Koweït et les Emirats Arabes Unis», commente Andrés Martínez Fernández, responsable du département "investissements" du bureau économique et commercial de l'Ambassade d'Espagne à Rabat. Il faut savoir que plus de 500 entreprises espagnoles, de tailles diverses, opèrent actuellement sur le marché marocain à travers des filiales de droit marocain. Plusieurs autres milliers y opèrent également à travers des projets ponctuels, sans nécessité de créations de filiales. Sur les échanges commerciaux, chaque année, quelque 20.000 entreprises espagnoles opèrent des exportations. Deal patronal Ce sont autant d'acquis à maintenir, mais également et surtout à développer dans un contexte économique peu favorable. Les patronats des deux pays se retrouveront donc aujourd'hui autour de la table pour discuter des futures voies de relance. Parmi celles-ci figurent de nouveaux créneaux d'investissement comme les énergies renouvelables, et les business de l'eau et de l'environnement, sur lesquels les Espagnols sont déjà bien implantés et ambitionnent de se renforcer. Ces secteurs seront également au menu des échanges bilatéraux, au niveau institutionnel, qui seront tenus en marge de ce sommet. Une rencontre est en particulier prévue entre Fouad Douiri, le ministre de l'Energie, des mines de l'eau et de l'environnement et son homologue espagnol, Manuel Soria Lopez. Ce dernier défendra, à coup sûr, l'offre espagnole dans la mise en œuvre des prochaines étapes et projets de la nouvelle stratégie énergétique, axée principalement sur le développement du secteur des énergies renouvelables. «La présence espagnole dans ces secteurs est très significative, notamment dans les projets lancés par l'Etat marocain. Cette présence est également très diversifiée, aussi bien en termes de secteurs investis que de tailles des structures», apprécie le chef du département des investissements du bureau économique et commercial de l'Ambassade d'Espagne à Rabat. Quoi qu'il en soit, les attentes de cette 10e rencontre de haut niveau entre les deux pays sont importantes. L'Espagne compte bien saisir la main tendue par le roi Mohammed VI, dans son discours de la dernière fête du trône, arguant pour un engagement renouvelé à «favoriser l'émergence de nouvelles conditions économiques propices à la création de richesses conjointes», entre les deux pays. Juan López Dóriga, Directeur de l'Agence espagnole de coopération internationale pour le développement AECID. «Le Maroc est un pays stratégique pour l'Espagne» Les Echos quotidien : Dans quel contexte se tient aujourd'hui la réunion de haut niveau entre le Maroc et l'Espagne ? Juan López Dóriga : Cette réunion est une confirmation du rapprochement maroco-espagnol. De surcroît, la rencontre est une opportunité pour mettre à jour les accords et conventions qui lient les deux gouvernements. L'Espagne et le Maroc donneront un nouvel élan à leur coopération, à travers la signature d'une série de traités, sur lesquels nous nous sommes penchés durant les cinq dernières années. Dans la partie réservée à la coopération et au développement, le nouveau traité définit les instruments et les structures pour mener notre travail sur le terrain et apporte particulièrement une reconnaissance des efforts menés par les ONG qui œuvrent sous notre houlette. La seconde convention est relative au domaine de l'éducation, à partir de l'enseignement primaire et jusqu'à l'université. De même, nous avons décidé d'intégrer, dans ce nouveau traité, deux conventions bilatérales déjà en vigueur et ayant trait aux domaines de la recherche scientifique et de la culture. Lesdites conventions ont été signées respectivement en 1979 et 1980 et il était temps qu'elles soient actualisées. Cette batterie de traités et de conventions constitueroa ce qui sera appelé désormais, l'Accord stratégique. Il s'agit d'un cadre de coopération plus avancé que l'Espagne signe avec les pays considérés comme prioritaires, ce qui s'applique parfaitement au cas du Maroc. Au-delà des discours des politiques sur la bonne entente maroco-espagnole, quels sont sur le terrain, les indicateurs de cette bonne relation ? La continuité de nos projets est la meilleure preuve de la bonne santé des relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne. J'insiste particulièrement sur le fait que le travail effectué par l'AECID est centré sur le soutien et l'accompagnement des politiques publiques tracées par les gouvernements des pays récepteurs de l'aide. Cela implique l'existence d'un dialogue politique ouvert et franc entre les deux partenaires. Et si cet échange est absent, la coopération peut se révéler infructueuse. Dans le cas du Maroc, cette communication a toujours été fluide et le Maroc peut compter sur le soutien et l'appui de son partenaire et voisin. Avez-vous procédé à une étude pour mesurer l'impact de vos actions sur la population réceptrice ? Il est vrai qu'il ne s'agit pas de financer des projets, mais il demeure primordial d'en évaluer l'impact. Dans l'histoire de la coopération espagnole, la solidarité était la première motivation de notre travail et de fait, le facteur humain est notre grande priorité. Je peux vous assurer que nous sommes satisfaits du travail accompli au Maroc. Néanmoins, nous sommes conscients qu'il est important de donner la priorité aux projets relatifs au développement durable. C'est ainsi que nous continuerons à mener des projets dans le domaine de l'éducation et de la santé, tout en mettant en place des outils capables d'améliorer le tissu économique. Quel sera l'impact de la dépression économique que traverse l'Espagne sur sa coopération au Maroc ? La crise économique nous contraint à avoir des budgets plus ou moins austères. Toutefois, le Maroc est un pays stratégique pour l'Espagne et prioritaire pour l'agence. En dépit de la situation économique et du recul des financements, nous continuerons notre travail entamé. Les budgets ne seront pas à la hauteur de nos espérances, mais cela ne sera pas un handicap pour mener à bien nos missions. Des échanges à plusieurs vitesses Dans une conjoncture économique de plus en plus virulente chez le deuxième plus important client du royaume, les exportations marocaines vers l'Espagne ont modestement progressé au terme des cinq premiers mois de l'année, soit de +3%. En valeur, selon les dernières actualisations disponibles auprès de l'Office des changes, ces exportations ont de fait cumulé une valeur de 13,5 milliards d'Euros au terme du mois de mai dernier. Il faut savoir que cette variation, même conquérant juste une partie de l'année en cours, se situe pour le moment en dessous de la moyenne de croissance des exportations du royaume vers le pays ibérique. Cette moyenne est en effet estimée à près de 7% sur la période 2008-2011. Néanmoins, le poids de la destination Espagne, dans le total des exportations du royaume est en régression sur la même période étudiée. La part des exportations marocaines destinées à ce marché dans le commerce extérieur du royaume est en effet estimée à 18% sur la même période concernée et semble avoir été légèrement affectée par la baisse de la demande espagnole adressée au royaume. La dynamique semble pourtant bien meilleure dans le sens inverse des échanges. En valeur, les importations du royaume en provenance d'Espagne ont atteint quelque 18 milliards d'Euros à fin mai dernier. Cela correspond en effet à une variation annuelle estimée à 16,3%.