Tout les rend complémentaires, mais à la fois, pourtant, très éloignés. Cette contradiction est une énième fois prouvée : «Le monde des affaires Maroco-espagnol vit de manière constante sous le signe des paradoxes. Il est à la fois éclairé par un intérêt exponentiel des entreprises espagnoles pour le Maroc mais aussi traversé par un ensemble de doutes, d'hésitations et de méconnaissances». Ce diagnostic provient en effet d'une étude qualitative menée en interne par le cabinet de relations insitutionnelles et d'intelligence économique Public affairs and services (PAS) auprès d'une quinzaine de grands décideurs économiques espagnols et marocains, et tombe dans un timing qui semble en rehausser la pertinence de plusieurs crans. Ce timing correspond en effet, pour Mariano Rajoy, le chef de gouvernement espagnol, à la préparation d'une importante offensive commerciale sur le marché marocain. Ce sera en marge du Sommet économique qui devrait se tenir entre les deux économies voisines, la semaine prochaine. En pleine tourmente économique conjoncturelle, l'offre espagnole est en quête d'une bouée de sauvetage et du marché exutoire. Le document en question passe ainsi, de fait, au scan les évolutions des perceptions entretenues, d'une rive à l'autre, par les investisseurs et le monde des affaires, de façon plus globale, et les surprises ne font pas défaut, loin des idées préconçues. Les premières conclusions du document révèlent en effet que «les investisseurs espagnols auraient une appréciation erronée ou peu développée du poids économique du Maroc dans ses relations avec l'Espagne». Le royaume est pourtant deuxième dans la liste des premiers partenaires économiques de l'Espagne (Hors-UE), après les Etats-Unis. Cette réalité semble en tout cas passer inaperçue aux yeux des hommes d'affaires espagnols, et laisse apparaître, contre toute attente, un grand déficit de communication entre les patronats des deux rives. Proximité illusoire Ce blocage pourrait pourtant être surmonté, selon les auteurs de l'étude, par «la multiplication des rencontres de haut niveau et des réseaux économiques et institutionnels». Une position qui rejoint celle d'Anwar Zibaoui, opérateur économique et actuel secrétaire général de l'association des Chambres de commerce méditerranéennes. Pour ce dernier, les opportunités d'affaires ont en effet toujours été sous-estimées et méconnues entre les deux rives. «Mais un nouveau scénario est en train de changer les choses : la crise économique et les changements de gouvernements qui se sont opérés quasi simultanément de part et d'autre», poursuit l'homme d'affaires, convaincu que le contexte actuel est propice à un «nouvel élan» de relance dans les relations économiques et commerciales entre l'Espagne et le Maroc. Le responsable nous tient toutefois un discours optimiste sur les évolutions de ces relations, en dépit de la crise prévalente. Un discours qui ne serait certes pas loin de celui des représentants de la diplomatie économique espagnole à Rabat, dont les réactions sur cette étude ne nous étaient pas encore parvenues, hier, à l'heure où nous mettions sous presse. Restrictions L'autre grande perception recueillie auprès des businessmen ibériques révèle que le marché local serait de fait «trop restreint» pour certains grands groupes espagnols. Celle-ci est d'ailleurs vue comme l'une des principales raisons qui auraient poussé certains grands groupes ibériques à mettre la clé sous le paillasson, selon les auteurs de l'étude. De plus, les entreprises espagnoles nourriraient en effet une fausse idée sur le mode d'implantation des entreprises étrangères au Maroc, selon la même source. Ce n'est pas tout. Le document interne de PAS révèle aussi, sur le volet stratégique, que les grands groupes espagnols ont également échoué dans leurs méthodes de transfert technologique, à défaut d'une culture de «pédagogie exécutive». «La majorité des Espagnols qui s'implantent au Maroc négligent le côté stratégique et tactique de leur implantation», commente-t-on dans le document en question. «Ces entreprises arrivent au royaume avec une très mince connaissance de l'environnement économique et institutionnel, voire le négligent», font savoir les auteurs de l'étude. Pour ces derniers, cela explique le fait qu'elles se retrouvent souvent impliquées dans des problèmes juridiques ou administratifs. Par ailleurs, l‘étude soulève aussi un défaut de diversité des destinations régionales des investissements espagnols au Maroc, partant du fait que les régions espagnoles limitent leur prospection d'affaires aux grands centres économiques de Casablanca et Tanger. Cette situation réduirait en effet considérablement les potentialités économiques exploitables entre les deux économies, et s'avérerait insuffisante pour effacer les «a priori» qui existent au niveau des autres régions marocaines auprès des investisseurs espagnols. Le chantier ne fait que s'ouvrir... Point de vue Hatim Benjelloun, Managing director de Public Affairs & Services. Nous avons constaté qu'un certain nombre d'éléments a conduit les espagnols à s'éloigner du Maroc pendant quelques années. J'en citerai principalement deux. D'abord, les entreprises espagnoles ont toujours gardé à l'esprit que le marché marocain est sous l'emprise des Français, ce qui réduisait leur potentiel d'affaires. En second lieu, notons aussi le fait que les processus administratifs marocains sont perçus comme complexes et rigides, calqués sur le modèle français, contrairement à la culture espagnole ou sud-américaine des affaires, plus coopérative. Néanmoins, dans le cadre de nos activités, nous avons aussi relevé deux points d'ancrage qui ont permis à des investisseurs espagnols de venir s'imposer dans certains secteurs sur le marché local. Il existe des similitudes au niveau des stratégies concurrentielles, ce qui permet d'anticiper et de mieux comprendre les rouages des marchés marocains. De plus, beaucoup d'hommes d'affaires marocains sont hispanophones. Cette particularité, dans un pays francophone, crée rapidement des liens de confiance et favorise ainsi des partenariats fructueux. Il est essentiel également de se soustraire de cet à priori, qui consiste à croire que la crise pousse les entreprises espagnoles vers la porte de sortie.