Le ramadan a été un premier test passé avec brio par le Maroc et principalement le PJD. Il s'en est fallu de peu pour que l'exception marocaine en prenne un coup après les multiples inquiétudes nées depuis l'arrivée du parti islamiste au gouvernement. Beaucoup attendaient de voir la manière avec laquelle le parti du chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, allait s'y prendre pour gérer les risques de confrontations sociales qui, depuis quelques années, sont devenus un des faits divers les plus prisés au mois de ramadan. Il s'agit des initiatives répétées de ce qui est désormais appelé le phénomène des «déjeuneurs du Maroc». Cette année aussi le mois sacré a été rythmé par des actions du genre. Le mouvement qui s'est le plus illustré sur la toile, «Masayminch'», a eu l'effet médiatique escompté sur l'opinion, en dépit de la mise en garde sévère adressée par le gouvernement aux déjeuneurs. «Le gouvernement n'hésitera pas à mettre en œuvre les dispositions de la loi», avait annoncé le ministre porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi. Pour le royaume qui s'est construit au fil du temps une image de terre de tolérance et d'ouverture, les choses ont été circonscrites, comme assez souvent, dans le cadre du débat médiatique, ce qui illustre une fois de plus le caractère assez spécifique de l'expérience marocaine dans la gestion de la chose religieuse. «L'islam marocain est généralement perçu comme vivant, ouvert et tolérant, encore empreint des valeurs traditionnelles mais capable d'intégrer les valeurs de la démocratie,des droits humains et des libertés», soulignait, en ce sens et à juste titre, le Réseau d'information et de documentation pour le développement solidaire (RITIMO) dans une récente publication sur la place et le rôle de la religion au Maroc. Au lendemain de l'arrivée au pouvoir du PJD, les inquiétudes sur un bouleversement de cette spécificité marocaine ont refait surface surtout après des déclarations isolées de certains responsables du PJD comme celle de Mustafa Ramid, ministre de la Justice et des libertés, sur le tourisme à Marrakech ou la proposition de loi des parlementaires du parti sur l'interdiction de la publicité sur l'alcool ou les jeux, qui ont été perçues comme les prémices d'une tentative de restriction des libertés individuelles. Cet épisode qui a été vite oublié a rappelé les positions sur lesquelles campait jadis le parti de la lampe, remettant au goût du jour les questions des acquis en matière de droits de l'homme, notamment des libertés publiques. S'il y a un mérite à mettre à l'actif du gouvernement actuel, c'est d'ailleurs d'avoir su gérer, jusque-là, ce sujet sensible surtout qu'il y avait matière avec certaines revendications de la société civile sur la liberté sexuelle, l'avortement ou le mariage des mineurs. Aujourd'hui que les débats se poursuivent toujours et en dépit d'une réglementation trop inadaptée, le sujet se pose avec acuité surtout qu'il met en exergue la jeunesse au cœur de la problématique en filigrane du débat entre modernité et conservatisme, un équilibre que le Maroc a su maintenir jusque-là avec brio. À la croisée des chemins C'est un fait maintenant établi sur la base des nombreuses études en la matière, que la jeunesse marocaine reste attachée à sa religion. Selon la dernière étude du HCP sur la jeunesse marocaine, 24,1% des jeunes marocains considèrent la religion comme un élément fondamental dans leur vie. Il est vrai que les jeunes sont moins marqués, religieusement, que leurs ainés surtout en matière de pratique, mais celle-ci constitue avec la famille et dans une large proportion l'une des premières références. Selon le Pew Reshearch Center, la proportion des jeunes (de 18 à 35 ans) qui considèrent la religion comme un élément important de leur vie est de 88% contre 91% pour l'ancienne génération, c'est à dire chez les 35 ans et plus. Si ces données sont de nature à présager une islamisation de plus en plus marquée chez les jeunes qui pourrait engendrer des germes de radicalisation sur le terrain, la réalité des faits est toute autre. Les jeunes marocains restent assez tolérants à l'image de la société marocaine, laquelle malgré le conservatisme parfois ambiant se démarque par son caractère pacifique. Au Maroc, ils sont 54% des jeunes à considérer que le message islamique est ouvert à plusieurs interprétations contre 35% qui optent pour une lecture à sens unique, selon l'étude de Pew Reshearch Center. Cela constitue un gage d'ouverture et de modération qui colle au Maroc puisque de manière générale, la moyenne globale des pays musulmans est, actuellement de 32 contre 39%. Ce qui n'occulte point les risques de radicalisme, comme le souligne le RITIMO. «Parallèlement à ce visage modéré de l'islam marocain, se développe depuis une trentaine d'années un islam politiquement contestataire, plus intransigeant et radical», relevant le fait que «sous l'influence de courants venus du Moyen-Orient, salafisme et wahhabisme, l'islamisme se répand à la fois dans les milieux instruits et dans les milieux populaires». Les efforts des autorités marocaines et de la société civile ont permis jusque-là au royaume de maintenir l'équilibre, faisant du pays un exemple en matière de tolérance et de dialogues religieux. Dans un monde en pleines mutations et une société musulmane en proie à plusieurs démons, sur fond de guerre civilisationnelle, il s'agit là d'un précieux acquis sur lequel il faudra capitaliser. Les débats, actuellement en cours qui ne souffrent plus d'aucun tabou, participent à la construction de ce «modèle authentique marocain» que rappelle le roi Mohamed VI dans chacun de ses messages à la nation. «Chez les jeunes, ce référentiel religieux, islamique, peut s'interpréter aussi beaucoup plus sous les aspects d'une réaffirmation identitaire», souligne un chercheur en islam politique. Cette spécificité marocaine n'a pas échappé à l'opinion internationale comme en témoigne cette conclusion d'un journaliste, employé d'un important groupe médiatique britannique. «La société marocaine semble tiraillée entre les idées conservatrices et libérales, entre les influences de l'Orient et l'Occident», note-t-il s'appuyant sur le débat qui a fait suite à l'appel lancé par l'Association marocaine des droits humains (AMDH) pour la légalisation des relations sexuelles hors mariage. Cependant, relève-t-il, «le fait que pour la première fois, la question soit débattue indique que de vieux tabous commencent à tomber». Pour Abdeslam Belhaj, cela constitue un puissant atout pour le Maroc. «Depuis les trois dernières décennies, l'essor de l'islam mondialisé offre au Maroc des opportunités politiques à l'échelle mondiale. Ceci est observable au niveau du rôle joué par le pays dans le cadre de la diplomatie islamique (OCI, ISESCO...) ou au niveau de son positionnement dans l'islam européen», a-t-il conclu. Islam moderne Concilier islam et démocratie ou tradition et modernité, au delà des débats, c'est ce pourquoi le Maroc est en train de mener une véritable expérience ces dernières années. Ce qui s'est d'ailleurs confirmé avec les dernières élections législatives et l'exercice du pouvoir par un gouvernement islamiste. La question religieuse a été vite dépassée et n'a point constitué un obstacle à l'adoption de la nouvelle Constitution, la place de la religion dans le champ politique ayant presque fait l'unanimité ou tout au moins fait l'objet d'un consensus entre tous les acteurs nationaux. Ce qui n'est point le cas sous d'autres cieux. En Tunisie, par exemple, cette question continue d'entraver l'élaboration de la nouvelle Constitution par l'assemblée nationale constituante et sous le sillage de l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennhada, le sujet est devenu une problématique nationale mettant aux prises Salafistes et progressistes. Même cas en Egypte ou en Lybie où la question n'a toujours pas été explicitée. Il est vrai que sur le plan politique, cela a de tout temps constitué une constance de la nation. C'est en ce sens que dès sa prise de fonction, le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a vite évacué la question sur laquelle il sait son parti très attendu. Au forum de Davos, sa première véritable sortie internationale, Benkirane a rassuré sur plusieurs sujets à l'aune desquels sont appréhendés la nature ou les velléités des nouveaux dirigeants «post-printemps arabe». Sur l'alcool, le voile ou le ramadan, par exemple, le secrétaire général du PJD a été clair en affirmant qu'ils relèvent de «la sphère privée de l'individu» que le PJD n'a nulle intention de restreindre tant que cela «n'affectera la société». Dans son programme, le PJD a promis même de renforcer «les libertés publiques», ce qu'il a concrétisé par un premier pas en consacrant tout un département à cette question. Les prochains débats sur la réforme de la justice où la réforme de certaines dispositions du code pénal sont attendus, des réformes sur lesquelles tablent les organisations de la société civile et qui permettront sans aucun doute de confirmer la sincérité du gouvernement.