La Cour des comptes pointe le décalage entre les ambitions du programme «Villes sans bidonvilles » et la réalité. Les objectifs tant quantitatifs que qualitatifs n'ont pas été atteints. Plusieurs dysfonctionnements viennent d'être soulevés au sein de la Commission du contrôle des finances publiques. Des actions s'imposent au niveau de la gouvernance du programme, son financement et sa programmation. Lancé il y a plus de 15 ans, le programme «Villes sans bidonvilles», ou sous son acronyme usuel « VSB », piétine, comme le relèvent les conclusions du rapport de la Cour des comptes qui passe au crible le dossier de 2004 à fin 2018. Le document a été présenté, mardi, au sein de la Commission du contrôle des finances publiques à la Chambre des représentants, en présence du premier président de cette institution, Driss Jettou. Depuis toujours, le programme donne du fil à retordre aux pouvoirs publics. L'objectif initial d'éradiquer totalement les bidonvilles à l'horizon 2010 a dû être révisé à plusieurs reprises. Le nombre des ménages ciblés est passé de 270.000 au lancement du programme en 2004 à plus de 470.000, soit une augmentation de 77%. Sur les 85 villes et centres urbains, quelque 59 villes ont été déclarées sans bidonvilles. Les grandes villes n'ont pas encore atteint les objectifs escomptés. Des dysfonctionnements à la pelle Driss Jettou est on ne peut plus clair sur cette question : le Maroc a choisi de lutter contre l'habitat insalubre alors que d'autres pays ont opté pour la mise en place des logements pour faciliter l'emménagement des citoyens. «Tant que l'accès à un logement décent passe par la résidence dans un bidonville », le problème restera entier, comme le laisse entendre le premier président de la Cour des comptes. Il s'avère, en effet, nécessaire de réviser cette approche et de penser à des solutions innovantes pour résoudre la problématique de l'habitat insalubre, comme la location à des prix avantageux pour les populations cible. À cela s'ajoute une problématique de taille qui ralentit la mise en œuvre du programme «VSB», il s'agit de l'absence d'une vision intégrée pour accompagner les bénéficiaires tant sur le plan économique que social. Offrir un logement aux bénéficiaires ne doit pas être, selon la Cour des comptes, l'unique solution pour résoudre la problématique. Il faut penser à l'intégration économique des ménages sur les lieux de résidence (activités industrielles, commerciales...) et à l'équipement des nouvelles zones en infrastructures et services de base (enseignement, santé, transport...). Or, depuis le démarrage de ce programme, l'accompagnement socio-économique des ménages relogés ou recasés est le parent pauvre de presque toutes les opérations. Ce qui déteint négativement sur le déroulement du programme.Sur le volet de la gouvernance, la multiplicité des intervenants et la non définition avec clarté des responsabilités de chaque acteur sont en tête des dysfonctionnements qui émaillent le programme. Qui est vraiment responsable des opérations ? Le ministère de tutelle, les autorités locales, les collectivités territoriales ? Difficile d'appliquer le principe de la reddition des comptes dans le contexte actuel. Sur le plan central, la Cour des comptes pointe le gel de la commission ministérielle en charge du dossier et qui est présidée par le chef du gouvernement. Au niveau du financement, la Cour note que le programme manque d'efficacité. «La structuration financière est aléatoire» et doit être révisée d'autant plus qu'elle n'est pas appliquée de la même manière dans toutes les régions concernées. Tout dépend du pouvoir discrétionnaire des autorités. Quant au Fonds de solidarité habitat et intégration urbaine, il a été dévié de son objectif initial de résorber les bidonvilles pour financer d'autres programmes (habitat non réglementaire, politique de la ville...). En gros, le planning du financement qui est principalement basé sur la péréquation «a atteint ses limites». Au départ, les prévisions tablaient sur une enveloppe d'investissement de 17 MMDH jusqu'en 2010 dont 5 MMDH débloqués par l'Etat. En 2018, on a dépassé 28 MMDH d'investissement dont 7 MMDH de fonds publics débloqués au profit de 294.000 ménages bénéficiaires. La cour des comptes plaide pour un plan de financement réaliste. Il s'avère nécessaire de réviser aussi la gouvernance et l'approche adoptée depuis le lancement du programme. Il s'agit, entre autres, de revoir l'option du recasement des ménages cible en leur octroyant des lots de terrain. Cette opération est couteuse et devient de plus en plus compliquée en raison de la rareté du foncier public en milieu urbain. Les autorités ont dû, à plusieurs reprises, mobiliser le foncier à l'extérieur des villes et ont, ainsi, été confrontées au refus de certains ménages d'être relogés ou recasés en périphérie. La Cour des comptes préconise, à cet égard, l'épuration de l'assiette foncière. Plusieurs solutions sont à étudier, comme la construction en hauteur ( 10 étages et plus). Les magistrats de Driss Jettou recommandent aussi le respect des délais de réalisation, une meilleure coordination des programmes et l'adoption d'une approche intégrée du développement humain. Il faut également augmenter et diversifier l'offre en logement et renforcer le contrôle (utilisation des drones par exemple) pour limiter la propagation des bidonvilles. La balle dans le camp de l'Habitat Le gouvernement est appelé à prendre en considération les conclusions du rapport de la Cour des Comptes. Nouzha Bouchareb, ministre de l'Aménagement du territoire national, de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Politique de la ville sera interpellée par la Commission du contrôle des finances publiques sur ce dossier sur la base du rapport de la cour des comptes. La responsable gouvernementale, qui s'est déjà exprimée sur la question au sein de l'hémicycle, reconnait l'ampleur des contraintes dont la rareté du foncier, la problématique des familles composées, celle du financement, l'insolvabilité des ménages… Une révision du programme est en vue par le gouvernement qui travaille sur des pistes de réajustement. Le rapport de la Cour des comptes constituera une plateforme solide pour mettre fin aux différentes contraintes et pouvoir, enfin, atteindre les objectifs tracés de cet interminable programme. Jihane Gattioui