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Conflits collectifs, c'est contagieux !
Publié dans Les ECO le 24 - 07 - 2012

C'est incontestablement l'une des plus grandes problématiques à laquelle fait face aujourd'hui l'économie marocaine. La hausse du nombre des conflits collectifs au travail s'est en effet inscrite dans une tendance exponentielle depuis 2010, ce qui ne manque pas d'engendrer à la fois des coûts pour l'économie nationale mais aussi pour les différentes couches sociales. C'est d'ailleurs là l'une des principales motivations qui a poussé le Conseil économique et social à plancher sur le sujet. D'emblée, on peut dire qu'il s'agit là d'un domaine où les chiffres ne sont pas des plus accessibles. «Nous avons pris contact avec le ministère chargé de la Fonction publique et de la modernisation de l'administration, mais malheureusement, il ne disposait pas de données chiffrées sur la problématique dans le secteur public», déplore Chakib Benmoussa, président du Conseil économique et social. Pour ce qui est des conflits collectifs dans le secteur privé, là encore les données se font rares. «La difficulté de se procurer des statistiques pose problème pour l'établissement d'un état des lieux et de là, pour mettre en place des solutions», insiste Abdessamad Merimi, syndicaliste et membre de la Commission permanente chargée des affaires, de la formation, de l'emploi et des politiques sectorielles au sein du CES.
Les conflits ont doublé en 2011
Quoiqu'il en soit, les seules données disponibles auprès du ministère de l'emploi font ressortir un constat des plus accablants. Le nombre de grèves enregistrées au Maroc a atteint 474 en 2011, soit en hausse de 97% comparativement à 2010. En tout, près de 350 établissements ont été touchés avec des pertes estimées à plus de 276 milles journées de travail. Qu'est ce qui explique donc cette montée en puissance des conflits sociaux ? Le Conseil économique et social a tenté de répondre à cette question dans son dernier rapport sur «la prévention contre les conflits sociaux». Ce dernier recense ainsi le non-respect de la législation du travail comme l'une des principales raisons à cette prolifération des conflits. Ce non-respect du droit social est induit par la faiblesse du corps d'inspection et la faible efficience du pouvoir judiciaire. Le CES considère également comme cause de la multiplication des conflits sociaux l'application non conforme de la législation dans certains secteurs. À ce titre, il suffit de citer les problématiques qui naissent aujourd'hui dans la sous-traitance et l'intérim, en raison justement de cette non-conformité (voir également www.lesechos.ma). Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la faible représentativité syndicale n'est pas pour arranger les choses. Selon le CES, il en découle en effet la violation des libertés syndicales, une faible représentation syndicale au niveau de l'entreprise et une balkanisation du paysage syndical. «Des pays comme la Belgique ont des taux de syndicalisation dont on peut être jaloux. Ils atteignent en effet 90%, parfois 100% dans certains secteurs», souligne Chakib Benmoussa. Par ailleurs, les équipe du CES mettent également l'accent sur l'adhésion insuffisante des entreprises à la négociation collective. Certes, plus de 16 secteurs de notre économie disposent aujourd'hui de conventions collectives faisant office d'un complément au code du travail. Cependant, force est de constater que les dispositions contenues dans ces conventions sont peu appliquées. De plus, on déplore que le recours aux protocoles d'accords pour résoudre les conflits se fasse dans la pratique sans développer un mécanisme de négociation. À cela, il faut ajouter la faiblesse de l'organisation collective au niveau territorial ainsi que le manque de qualification pour la négociation et la résolution des conflits. Dans le même contexte, le Conseil économique et social relève également une problématique au niveau du caractère formel de la représentativité. En d'autres termes, on déplore l'absence d'encadrement des délégués élus et la limite de leurs attributions qui restent finalement très réduites. de plus, l'absence d'information et de consultation au sujet de l'organisation du travail, les attributions limitées et les actions superficielles des comités d'entreprise, de sécurité et d'hygiène, n'arrangent pas les choses. L'analyse établie par le CES insiste en outre sur la non-efficience des procédures de règlement. À ce titre, le conseil juge que cette situation est le fruit de l'abstention des présidents des commissions de conciliation à activer les mécanismes de règlement amiable, la rigidité des procédures et des délais, l'insuffisance de qualification et de neutralité de certains acteurs, l'absence de certaines parties ou de délégation de personnes sans attribution et la non effectivité de l'arbitrage.
Le secteur public n'y échappe pas
C'est dire autant de causes qui expliquent une recrudescence réelle des conflits collectifs du travail. Ceci dit, la situation devient encore plus troublante lorsque l'on sait que le secteur public n'est pas non plus épargné par la problématique. À l'instar du privé, il fait preuve, lui aussi, d'un grand nombre de dysfonctionnements qui en font un terrain propice pour la multiplication des conflits collectifs. C'est d'ailleurs dans ce sens que le conseil économique et social s'est particulièrement intéressé au secteur public dans son analyse. À ce titre, il a pu relever qu'il existe aujourd'hui un vide juridique en matière de représentativité collective. Il faut dire que dans les établissements publics, il y a d'abord la problématique des attributions limitées et déconnectées de l'action collective des commissions paritaires et du conseil supérieur de la fonction publique. «L'articulation de la représentativité syndicale sur les résultats des élections aux commissions paritaires ne reflète pas la réalité de la représentation sectorielle et territoriale des syndicats», notent les membres de la commission. Ceci sans parler de l'absence des dispositions pour la reconnaissance de la section syndicale à l'échelle des administrations centrales et des délégations. On note également que dans certains cas, il existe même des pratiques divergentes concernant la présence syndicale dans les administrations qui n'échappent finalement pas à l'ingérence politique. Le CES relève par ailleurs des traitements improvisés, sans fondement juridique et sans continuité des différends au niveau régional et national. Parmi les causes des conflits collectifs et leur faible maîtrise dans le secteur, le CES recense l'existence de situations juridiques et de pratiques inéquitables dans l'administration. On déplore le dépassement du statut général de la fonction publique par des statuts particuliers et l'apparition de disparités de droit. Il existe par ailleurs une grande anarchie relevée dans le rapport du CES en matière de représentativité collective et dans les grèves.
Dixit...
Les conflits collectifs au travail sont un sujet compliqué qui prend toute son importance dans le contexte actuel. Aujourd'hui, les conflits collectifs engendrent des coûts à la fois pour l'économie et pour le citoyen. Il est certes naturel d'avoir des conflits, mais il est essentiel de trouver un moyen de les résoudre à l'amiable. Dans cette étude, la première du genre, nous avons essayé d'impliquer l'ensemble des parties prenantes (ndlr : syndicats, représentants, organismes publiques, secteur privé...). Nous avons constaté l'existence de consensus entre les membres de la commission, ce qui pourrait constituer une bonne base pour la mise en place d'une paix sociale.
Chakib Benmoussa, président du CES.
Dans l'élaboration des recommandations, nous avons surtout tenu compte d'un benchmark réalisé avec la Belgique et l'Espagne. Les membres de la commission en charge du rapport ont en effet pu s'enquérir de la situation dans ces deux pays où la gestion des conflits collectifs du travail dispose d'outils avancés.
Ali Ghennam, vice-président de la Commission permanente chargée des affaires, de la formation, de l'emploi et des politiques sectorielles, au sein du CES.
Un dialogue social en panne
Le dialogue social tel tel qu'il est conçu aujourd'hui manque d'efficacité. Il existe un chevauchement du dialogue social tripartite sur la négociation dans le secteur public et sur l'amélioration de la législation. Le CES relève une faible coordination entre les syndicats, ce qui handicape «la manifestation claire des intérêts antagonistes en vue de leur conciliation». Par ailleurs, la multiplicité des sujets ne permet pas d'approfondir les orientations principales. Plus globalement, l'absence d'un ordre du jour préalable, d'indicateurs partagés et de l'évaluation des sessions précédentes ne permet pas de faire le suivi, ni de pouvoir améliorer le dialogue social.


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