Le secteur bancaire national a connu plusieurs chamboulements ces derniers temps. Plusieurs nouvelles mesures ont été mises en place par le régulateur pour dépasser la crise sanitaire dans les meilleures conditions. Fabrice Armand, associé au sein du cabinet DLA Paper, explique la situation actuelle du secteur. Quel est l'impact du Covid-19 sur l'activité bancaire marocaine ? L'impact sur les banques est peu ou prou le même que sur les grandes sociétés de services comme les assurances, par exemple. L'activité a significativement ralenti mais ne s'est pas interrompue. Nous avons par exemple clos un certain nombre de dossiers le mois dernier, incluant un financement d'acquisition d'une société liée au monde pharmaceutique en pleine crise. Les banques marocaines jouent le jeu. L'action conjointe du ministère de l'Economie, de Bank Al-Maghrib (BAM), du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et du Comité de veille économique (CVE) permet aux banques d'être toujours présentes auprès de leurs partenaires et clients. C'est très rassurant. La vitesse avec laquelle les banques ont répondu présent est remarquable, alors qu'on pouvait entendre ici et là que les banques n'étaient pas toujours réactives ou proactives. Il faut croire que la situation a été jugée suffisamment sensible pour l'industrie bancaire mondiale et pas seulement marocaine, que les banques ont fait preuve d'une rapidité d'adaptation que l'on rencontre plutôt dans les plus petites structures. En cela, on peut leur dire «chapeau bas, mesdames et messieurs les banquiers». Dans quelle mesure cette crise impacte-t-elle la relation entre la banque centrale et les banques commerciales ? Il faudrait d'abord le demander aux intéressées! Mais il ne fait aucun doute que BAM, en sa qualité d'autorité de contrôle et de supervision, veille sur ses membres, en particulier les banques commerciales qui sont le relais de l'action bancaire auprès de chacun de nous. La relation entre BAM et les banques n'est jamais plus forte que lors des crises. Et cette relation passe inévitablement par des mesures incitatives, au premier rang desquelles figure la baisse du taux directeur de BAM de 25 points de base pour le ramener à 2%. C'est un classique en cas de crise, et les banques centrales l'avaient amplement utilisé lors de la dernière crise en 2007-2010. Le message est clair: il faut inciter les clients à emprunter. La deuxième mesure notable prise par BAM est l'augmentation de la capacité de financement des banques: cette mesure annoncée le 29 mars dernier n'est pas anecdotique car BAM a multiplié par trois cette capacité! Autre mesure prise pour soutenir les liquidités bancaires, BAM a aussi mis en place une nouvelle ligne de refinancement des banques par appel d'offres à un taux concessionnel de 1,25% et l'allongement de la durée des pensions livrées. On peut s'attendre à d'autres mesures ponctuelles prises au fil de l'eau car, comme en matière de santé publique, nous naviguons tous à vue face à une situation inédite. Parmi ces mesures pourraient figurer en bonne place celles du GPBM, à l'instar de l'assouplissement des règles prudentielles, ou une réduction de la réserve monétaire. Quelle est votre lecture des mesures prises par les banques marocaines pour aider les entreprises à rester actives ? Les mesures prises par les banques marocaines sont d'un pragmatisme qui force le respect. Tout d'abord, il ne faut pas oublier qu'il s'agissait de maintenir la visibilité du secteur bancaire en maintenant ouvertes les agences malgré l'enjeu humain lié au confinement. Ensuite -et surtout- les banques ont joué le jeu en accompagnant la décision du CVE concernant les salariés et le report des échéances de leurs crédits. Il y a aussi le mécanisme de garantie «Damane Oxygène» qui, comme son nom l'indique, constitue un véritable ballon d'oxygène pour les TPE, PME et plus récemment les entreprises du secteur immobilier. Il faut reconnaître que les banques jouent à l'unisson avec BAM et les autorités, et ce n'est pas rien au regard de la réglementation internationale écrasante. Quelles facilités devraient mettre les banques à la disposition des entreprises en vue de l'après-crise ? Avec ou sans Covid-19, il est temps pour les banques marocaines d'entrer pleinement dans les marchés de capitaux et d'utiliser ces outils pour leur clientèle. Certains répondront naïvement que les marchés de capitaux marocains existent: la Bourse de Casablanca cote des actions de grands groupes marocains, certes, mais regardons les volumes! On peut mieux faire dans un Etat de 45 millions de sujets. L'erreur qui n'est pas propre au Maroc est historique: le développement des marchés de capitaux a toujours été pensé par les banques d'affaires internationales et leurs cabinets d'avocats génétiquement tournés vers le haut de bilan. Depuis la crise financière, le secteur actions n'a jamais réellement retrouvé sa vigueur. Le marché actions est sûrement lié au XXe siècle et le restera. Or, les marchés de capitaux, ce ne sont pas que les actions: ce sont les titres de créances, les obligations, moins privatives de liberté pour les dirigeants. L'avenir des marchés de capitaux en Afrique passe par la dette, et le Maroc doit s'approprier cette chance historique grâce à son positionnement géographique, sa stabilité politique et son ADN dans le négoce. Je ne vous cache pas que j'y travaille activement. Imaginez si nos PME pouvaient avoir accès, grâce à leurs banquiers, aux investisseurs internationaux pour se financer, sans que la détention de leur capital en soit impactée ?