La récente mobilisation de la société civile en faveur des migrants clandestins, «victimes de sévères violations de leurs droits, d'abus et de sévices», selon l'Association marocaine des droits humains (AMDH) a fini par payer. Le Maroc est sur le point d'entamer un large processus de protection des droits des personnes en situation irrégulière au Maroc, avec l'appui de plusieurs partenaires techniques et financiers internationaux. La nécessité de ce projet est à trouver dans la dernière Constitution, qui contient toute une série de dispositions relatives au respect des droits humains dans leurs plus larges acceptions, ainsi qu'en un contexte actuel marqué par une augmentation sensible du nombre des migrants en situation irrégulière au Maroc, ce qui a engendré de nouveaux défis urgents pour le pays. C'est dans ce cadre que le Conseil de la communauté à l'étranger (CCME) a organisé, hier à Rabat, un séminaire qui a réuni des dizaines d'experts, nationaux et internationaux, autour de la question des enjeux liés à la question migratoire. L'objectif de la rencontre était de «dresser un état des lieux de la situation, de sensibiliser les acteurs concernés et de partager les expériences sur les différents enjeux auxquels les migrants irréguliers doivent faire face pour pouvoir accéder à un statut légal, à des conditions justes et équitables, aux soins de santé et à l'éducation». Un travail colossal au vu de l'étendue de la tâche et en l'absence d'une véritable politique migratoire, qui prenne en compte les défis actuels liés au phénomène migratoire. «La société civile a fait un travail remarquable à ce sujet, surtout ces derniers temps avec les événements qu'ont connus plusieurs villes du pays, mais cela ne suffit pas» nous confie une source au CCME avant d'ajouter «qu'il s'agit à présent d'institutionnaliser cette prise en charge à travers un cadre juridique conforme aux dispositions de la nouvelle Constitution marocaine». Il faut dire que la donne a changé pour le Maroc avec l'élargissement de la problématique et des enjeux. C'est d'ailleurs l'un des constats sur lesquels ont convergé tous les avis des spécialistes de la question, et qui ont été confirmés par une étude dont les résultats préliminaires ont été présentés au séminaire de Rabat. Le Maroc est passé, pendant la dernière décennie, d'une terre d'émigration à un pays de transit puis d'immigration. «Cette nouvelle donne que connaissent d'autres pays du sud, nécessite une réflexion sereine sur les politiques migratoires du pays, un changement dans ses structures d'accueil, et doit s'inscrire dans le chantier des réformes en matière de droits humains, conformément à la nouvelle Constitution» a souligné un haut responsable au CCME. Terre de résidence Le Maroc est donc devenu une terre de résidence pour plusieurs milliers de clandestins qui à défaut de pouvoir passer de l'autre côté de la Méditerranée s'installent durablement au Maroc. Ce qui les fait passer du statut de «migrant clandestin» à celui de «migrant en situation irrégulière». Cet aspect n'a pas encore été pris en compte au niveau des politiques migratoires du pays et en l'absence de cadre juridique y afférant, la prise en charge du phénomène se fait de façon approximative. Selon les résultats de l'enquête intitulée «au-delà de l'irrégularité, la migration subsaharienne irrégulière au Maroc», la réalité des conditions de vie au Maroc pour ces migrants est «très éloignée de la réalité». Entre une tolérance relative des autorités, assez souvent des autorités sécuritaires, au niveau de certaines villes de l'intérieur comme Rabat ou Casa et les refoulements ou expulsions, parfois musclées, au niveau des villes frontalières comme à Oujda, le traitement que subissent les migrants en situation irrégulière laisse à désirer. Pour ceux qui s'installent de façon provisoire ou relativement longue, la situation est aussi des plus désespérantes. Des difficultés liées à l'accès au marché du travail, aux soins ou même à l'éducation, de même que celles liées à l'intégration socioculturelle, les contraintes sont légion, et ils sont de plus en plus nombreux à choisir de rester au Maroc, fondant parfois des familles et désirant travailler pour le pays, en effet, selon les auteurs de l'enquête, «la moitié des migrants interrogés se disent tentés de rester au Maroc si une régularisation intervenait». Stratégies concertées «L'emploi et la régularisation sont considérés comme des questions prioritaires par les migrants alors que les parties concernées ne placent pas directement ces questions comme étant prioritaires» ; relève l'étude, tout en mettant en exergue également «le sentiment largement répandu parmi les migrants qu'ils font l'objet de discriminations au Maroc». Ce qui les pousse à se cantonner dans de petites communautés et à avoir très peu à communiquer avec les populations autochtones, loin des centres sociaux et de prise en charge du problème. Des faits récents rapportés par la presse nationale, dont des cas de violences physiques à l'endroit de ces migrants, illustrent à juste titre ces conclusions. Le mois passé, la question a d'ailleurs pris une telle ampleur qu'elle a atteint les institutions du pays via une discussion au Parlement. L'absence de sensibilisation et d'informations tant au sein des migrants sur leurs droits, ainsi que de la part des autorités et des populations locales paraît donc comme un des préalables nécessaires à «une vision concertée sur les mécanismes et les stratégies à adopter, en vue d'apporter plus de clairvoyance à l'égard de la situation des migrants au Maroc». C'est un virage dans la politique migratoire marocaine et un enjeu majeur pour le royaume, à l'heure où sa politique de coopération en faveur du développement en direction des pays subsahariens connait de réelles opportunités. Driss Yazami au four et au moulin À l'heure où la nouvelle Constitution marocaine commémorait son premier anniversaire et que les réponses aux interrogations sur ce qui a vraiment changé depuis, font polémique, il est nécessaire de relever le travail entamé par certaines institutions dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de la Constitution du 1er juillet . Il s'agit du Conseil national des droits humains (CNDH) et du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME). Ces deux institutions constitutionnelles se sont fait remarquer par leurs nombreuses contributions au débat public, sur des questions importantes du pays et la mise en œuvre des dispositions de la Constitution en matière de droits de l'homme et des MRE. Et s'il y a un élément commun à ces deux institutions, c'est évidemment leur président, Driss Yazami, qui chapeaute le CNDH et le CCME. Qu'il s'agisse de l'élaboration des lois organiques, des propositions ou projets de loi ou de certaines questions économiques stratégiques, Yazami est sur tous les fronts avec comme seul idéal: «la mise en œuvre des lois relatives aux droits humains prévues», selon un de ses proches. Une Constitution à laquelle il a participé à la rédaction, puisqu'il était membre de la Commission consultative de réforme de la Constitution. Membre, également, du Conseil économique et social (CES), après un an de mise en œuvre, Driss Yazami peut se targuer d'avoir mené à la tête des institutions qu'il préside, un véritable travail decréflexion, dont le gouvernement pourra s'inspirer pour l'élaboration des lois organiques, toujours en attente pour leur majorité. Il y a moins d'une semaine, le CNDH s'était déjà penché sur la question de la parité.