Alors que les économistes appellent à une réponse mondiale concertée aux répercussions du Covid-19, à travers le G20 ou le FMI, chaque pays est aujourd'hui aux prises avec ses propres démons. Certains choix économiques se sont avérés inefficaces tandis que d'autres ressortent comme la prochaine voie du salut. Le Maroc n'est pas épargné par cette nécessité de se remettre en question et de reconsidérer les politiques économiques à partir d'un ou de plusieurs angles différents. Le Coronavirus aura ainsi ouvert des perspectives inespérées et levé le voile sur la fragilité d'un grand nombre d'idées acquises. Une communauté économique, monétaire et politique comme l'UE y laissera des plumes tandis que les relations internationales seront chamboulées que ce soit économiquement ou politiquement. Au Maroc, la réflexion qui battait son plein sur le modèle de développement du pays en sortira avec du grain à moudre. En effet, l'on assiste à un changement de paradigme au Maroc comme dans le monde. Habituellement, en situation de récession, les gouvernements se réfugient dans la hausse des barrières douanières alors que le contraire peut être constaté sous la pression du Covid-19. C'est un choc violent qui bouleverse beaucoup de références du point de vue de la politique économique et des choix stratégiques en matière de développement ainsi que le rôle des acteurs. Plusieurs entrées permettent de saisir un tantinet l'étendue de l'onde de choc provoquée par la pandémie. Ceci dit, ce sont des questions qui avaient effectivement été abordées dans le modèle de développement qui tout en intervenant dans la continuité ne manquerait pas de regards disruptifs par rapport aux choix à prendre et aux virages à négocier. Le rôle de l'Etat dans la régulation de l'économie devient ainsi une question tout aussi cruciale que les principes de l'économie libérale mais en respectant certains dosages. Pour Larbi Jaidi, Senior fellow au Policy center for the new south, le Covid-19 a mis en relief la nature de la réaction dans une situation d'urgence, à savoir comment dans le court terme sortir de cette crise. Une réaction qui doit aussi s'articuler sur une vision à moyen et à long termes. Mais avant cela, la priorité c'est de garantir un niveau de vie décent aux populations en situation de précarité tout en accélérant le ciblage pour une meilleure efficacité. En même temps, explique Jaidi, il faut se préparer à une nouvelle façon de faire pour la création de la richesse et pour que les entreprises soient sauvées à travers le soutien financier ainsi que les choix de la politique budgétaire. «Le plus important est que cette crise ne se répercute pas sur le plan social et par un retour de manivelle sur l'entreprise elle-même», ajoute-t-il. La démarche post-crise Mais après l'urgence, il va falloir réfléchir sur les relations avec le reste du monde sans se replier sur soi. Dans ce sens, il faut se tourner vers les politiques agricoles et industrielles de manière à assurer un minimum d'autonomie. En effet, le débat sur la sécurité alimentaire revient avec la même intensité que l'importance d'une politique d'innovation dans le secteur industriel qui grâce au Coronavirus commence à prendre des couleurs. Pour sa part, Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI), a mis en exergue les insuffisances du système de santé, qui a montré ses limites en cette situation de crise sanitaire et qui à l'avenir doit être complètement revu. Idem pour le système de protection sociale : «ce n'est pas normal que quelqu'un qui travaille au jour le jour se trouve sans protection sociale contrairement à ceux inscrits à la CNSS ou qui dispose du Ramed». Un plan de sauvetage, mais après... Sur le plan économique, des mesures ont été prises par le gouvernement aussi bien pour stimuler la demande à travers les versements de la CNSS au profit des personnes en arrêt de travail que pour les entreprises. Le souci aujourd'hui est que le tissu économique du pays ne fasse pas faillite. C'est ce que Kerdoudi appelle un plan de sauvetage afin de préserver l'existant en aidant les entreprises grâce à des mesures comme le report des échéances, la suspension des charges sociales, le moratoire pour le remboursement des crédits contractés, le Damane Oxygène, etc. Mais qu'en serait-il du plan de relance pour sortir de la crise ? À ce propos, Kerdoudi préconise que l'Etat s'en charge directement mais là aussi, l'Etat n'a pas les moyens financiers, sans oublier que les indicateurs économiques risquent de s'aggraver. «Ce n'est pas grave car il s'agit d'une situation exceptionnelle où l'Etat doit investir davantage pour relancer la machine économique», répond le responsable. Si l'on prend l'exemple de la France, qui est le plus proche de nous, dans une déclaration du ministre français des Finances, il avait annoncé que le déficit public pourrait se situer bien au-delà de la norme européenne de 3%. Pour certains experts français, le déficit peut même aller jusqu'à 9% en 2020 et la dette dépasser les 150% du PIB pour alléger l'impact de la crise sur l'économie. Dans ce sens, les règles d'or de l'UE seront reléguées à l'arrière-plan pour sauver les meubles. Pas de mesures d'austérité Au Maroc, ce ne sera pas différent. Il va falloir encore des aides aux entreprises, au consommateur et maintenir un rythme décent d'investissement public. Pour Kerdoudi, ce n'est pas le moment d'annoncer des mesures d'austérité budgétaire. En effet, le chef degouvernement avait annoncé la suspension d'un certain nombre d'investissements avant de se rétracter en optant pour l'endettement extérieur. «Le Maroc a encore la capacité d'emprunter surtout dans un contexte où les taux à l'international sont aujourd'hui faibles», précise Kerdoudi. Une augmentation des impôts pourrait aussi être envisageable pour que l'Etat puisse avoir des ressources, mais pour notre interlocuteur, elle ne doit pas intervenir avant 2022 car pour Kerdoudi, cette crise est encore pire que celle de 2008 qui a pris plusieurs années avant que son impact ne se soit estompé. Réformes systémiques à l'international Quant aux rapports du Maroc avec le reste des pays du monde, il faut s'attendre à des chamboulements là-aussi. Lors d'une intervention, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, avait comparé la situation à celle qui a prévalu après la deuxième guerre mondiale et qui a donné naissance à l'ONU et au FMI. Il ne s'agit pas aujourd'hui d'une guerre classique mais elle ne manquera pas d'entraîner sur le plan international des réformes systémiques. Pour l'UE, le risque d'un éclatement est très présent si les pays membres ne mettent pas de côté les problèmes ayant surgi après le Covid-19 pour se mettre d'accord sur un plan commun.