Officiellement, le Maroc n'a pas encore répondu à l'invitation des autorités tunisiennes par rapport à l'instauration de la liberté de circulation, de résidence, de travail, d'investissement et de droit de vote aux élections municipales pour les citoyens maghrébins, sans obligation d'octroi d'autorisations préalables auprès de l'administration. Les autorités intérimaires tunisiennes ont en effet décidé de l'entrée en vigueur de cette mesure depuis le 1er juillet, invitant leurs homologues des autres pays du Maghreb à faire de même. Pour le moment, seule l'Algérie a répondu par la négative, invoquant des questions d'ordre sécuritaire et le caractère prématuré de la démarche. Dans l'attente de la réponse du Gouvernement, les opérateurs privés marocains ne cachent pourtant pas leur satisfaction, tout en reconnaissant le caractère «infiniment politique à ce stade et qui requiert une étude approfondie», selon les mots de Younès Zrikem, président de la commission Exploitation des accords de libre échange et des relations internationales bilatérales à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Au sein du patronnat marocain, l'heure est à l'affût des opportunités d'investissements que recèle cette mesure. Pour Zakia Sekkat, présidente du Conseil d'affaires maroco-tunisien, il s'agit même d'un retour des choses à la normale, puisque les deux pays sont membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et en sont, par ailleurs, liés par plusieurs accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux, notamment celui de libre-échange ou l'accord d'Agadir. Ces accords contiennent, en effet, des dispositions claires qui rejoignent pour la plupart les mesures que viennent de réactiver les autorités tunisiennes, notamment en matière de liberté d'investissement et de traitement national. C'est du reste ce qu'avait souligné le gouvernement tunisien à travers son secrétaire d'Etat aux Affaires maghrébines, arabes et africaines, Abdallah Triki, qui a justifié la décision de son pays par l'obligation «de respecter les conventions internationales et les engagements pris par les gouvernements précédents». Par le passé, a fait remarquer Zakia Sekkat, «seul le Maroc a tenu à respecter ses engagements, alors que nous cessons d'appeler nos voisins à faire de même». Un juste retour à l'ordre, donc qui s'appui sur les faits, comme il a été relevé lors des dernières consultations de haut niveau entre le Maroc et la Tunisie, qui ont signé une convention d'établissement dès 1963. Opportunités économiques Pour les investisseurs marocains, c'est principalement les perspectives de dénicher de nouveaux relais de croissance qui constituent le principal motif de satisfaction. Même si les modalités de mise en œuvre de cette mesure ne sont pas encore déterminées, la décision des autorités tunisiennes est de nature à insuffler une nouvelle dynamique aux échanges commerciaux entre les deux pays, en attendant l'instauration effective d'un véritable marché maghrébin. La Tunisie vient en effet d'envoyer «un signal positif» dans cette optique, fait remarquer l'économiste Hicham El Moussaoui, qui tient toutefois à relativiser la portée de cette décision. «En dépit de son caractère politique, il ne s'agit point d'une décision complètement désintéressée», tempère El Moussaoui qui s'appuie sur les difficultés actuelles rencontrées par l'économie tunisienne, qui continue à pâtir doublement des répercussions du Printemps arabe et de la crise économique internationale et qui l'oblige à rechercher d'autres relais de croissance. Surtout que le Maroc et la Tunisie sont deux pays concurrents sur certains marchés et au niveau de plusieurs secteurs, comme le textile ou le tourisme. «Un aspect à prendre en compte», reconnaît Zakia Sekkat, mais qui n'occulte en rien les opportunités de développement sur un «marché à notre portée». «Tout pays qui essaie d'attirer des IDE profite quelque part de cette ouverture, comme c'est le cas du Maroc qui s'est également ouvert à d'autres pays», souligne la PDG d'Oxyplast Maroc, avant d'ajouter que «quand vous signez des accords, c'est en parfaite connaissance de cause». Ce que confirme Zrikem, qui juge cependant prématurement, l'impact de cette mesure tant qu'une étude n'a pas été entreprise. «Au delà des opportunités économiques, ce qui est important c'est la construction d'un véritable marché maghrébin surtout qu'avant, il n y'avait pas vraiment de difficultés pour investir en Tunisie, comme en témoigne la présence de plusieurs entreprises marocaines sur ce marché. Mais comme tous les investisseurs nous avons besoin de plus de visibilité». Le signal envoyé par la Tunisie en prélude au prochain sommet de l'UMA constitue, de ce fait, une initiative positive que personne ne peut remettre en cause, au vu des nombreuses études qui ont fait cas de l'impact du non-Maghreb pour les pays de la région, la plus en retard en la matière au monde, selon plusieurs institutions internationales. En attendant la réaction officielle qui ne saurait tarder, il y a des signes qui ne trompent pas, comme la multiplication des rencontres destinées à intensifier les échanges entre les deux pays. De quoi laisser supposer que le Maroc et la Tunisie, sont sur le point de constituer le nouvel axe de l'intégration maghrébine. À l'image du rôle qu'avait joué l'axe Paris-Berlin pour l'Union européenne. Point de vue Zakia Sekkat, Présidente du Conseil d'affaires Maroc-Tunisie à la CGEM. La Tunisie est depuis longtemps une économie ouverte, puisqu'étant membre de l'OMC, elle est liée au Maroc par plusieurs accords bilatéraux. Il est vrai que par rapport aux critères actuels relatifs à l'investissement et à la libre circulation des biens et des personnes, il y a eu dans le passé un certain protectionnisme, même si les relations entre nos deux pays ont toujours été assez particulières. Notons à ce niveau que dans le cadre des concertations régulières entre le Maroc et la Tunisie, le royaume a de tout temps appliqué à la lettre les engagements auxquels il a souscrit, que ce soit dans le cadre de l'OMC ou des accords bilatéraux. De ce fait, nous n'avons cessé de solliciter la réciprocité de la part de nos voisins Tunisiens, sans avoir véritablement de réponse. Cependant avec l'arrivée des nouvelles autorités, nous avons senti une forte volonté de faire respecter ces engagements vis-à-vis du Maroc. C'est ce que, d'ailleurs, nous avait promis le chef de gouvernement Tunisien, qui était récemment au Maroc pour la Commission mixte maroco-tunisienne et avec lequel je me suis longuement entretenue. De ce fait pour le Maroc, la décision de la Tunisie n'est que le respect des obligations déjà prises. Maintenant, il s'agit d'aller de l'avant en profitant de cette nouvelle opportunité, tout en sachant que les Marocains n'auront pas de cadeau là-bas. Nous devons y participer à la hauteur de nos avoirs et de nos compétences, en essayant de profiter au mieux de nos ressources, car tout pays qui signe des accords le fait en toute connaissance de cause, et le Maroc dispose de beaucoup d'accords en ce sens. Lire aussi : Open Tunisie, ce qu'en dit Hicham El Moussaoui