Elles sont nombreuses, les entreprises qui se sont trouvées contraintes de mettre la clé sous le paillasson car leurs principaux clients n'ont pas honoré leurs réglements dans les délais. Des années durant, les opérateurs montaient au créneau pour alerter sur la nécessité de raffermir les fondements juridiques régissant les délais de paiement. Délais qui, on le sait, se rallongaient notamment lorsqu'il s'agissait de prestations ou de services réalisés au profit de l'Etat. Aujourd'hui, le gouvernement s'apprête à boucler un cadeau de taille au profit des opérateurs économiques, en mettant en place le décret d'application de la loi sur les délais de paiement. Le texte est prêt, son adoption étant attendue en juillet prochain, il devrait être traité incessamment dans le cadre du Conseil de gouvernement. Une fois adopté, ce décret permettra donc de répondre à l'une des doléances les plus importantes. Certes, la loi promulguée en 2011 est venue mettre en place les principes de base des règlements entre clients et fournisseurs. cependant, le plus important n'est pas tant la mise en place de cette loi que les avantages qu'elle offre au quotidien des entreprises. Le taux directeur Il faut savoir que la loi en question instaure, officiellement, le délai de paiement «obligatoire» à 60 jours, pouvant être rallongé à 90 jours, sous réserve d'un accord préalable «des deux parties» au contrat. Dans les deux cas, et comme d'usage dans la pratique du droit commercial, le délai précité commence à courir dès réception des marchandises ou de fin d'exécution de la prestation «vendue». À défaut de respect du délai de 60 jours - ou même de 90 jours- la loi prévoit «des pénalités de retard exigibles sans formalités en cas de retard de paiement», est-il indiqué dans le fond du décret d'application, qui constitue l'apport majeur en termes de nouveautés, à la loi en vigueur jusqu'ici. Taux directeur en référence En effet, à aucun moment, la loi sur les délais de paiement ne prévoyait les modalités de calcul de cette pénalité, ce qui compliquait sa mise en œuvre. La loi se contentait en effet de renvoyer à «un texte d'application», devant fixer le taux de la pénalité de retard exigible, en cas de non règlement dans les délais. Aujourd'hui, c'est chose faite. Selon le document distribué aux membres du gouvernement, il sera désormais question d'une pénalité basée sur un taux calculé par indexation au taux directeur de la Banque centrale, majoré d'une marge que devrait fixer conjointement le ministère de l'Economie et des finances et celui de l'Industrie du commerce et des nouvelles technologies. «Un des objectifs de ce décret est de permettre aux entreprises de réclamer les pénalités de retard, afin de réduire fortement les délais de paiement et de compenser les intérêts bancaires supportés par les fournisseurs», explique-t-on auprès du ministère de l'Industrie et du commerce. Cependant, force est de constater que ce mode de calcul ne devrait pas faire l'unanimité auprès des PME. Cette pénalité indexée sur le taux directeur ne pourra compenser les intérêts bancaires qu'engendrerait un retard de paiement pour une PME. Pour ce faire, il faudrait en effet que la marge fixée par les autorités de tutelle soit supérieure au taux de référence lui-même car, si l'on se fie aux dernières données disponibles auprès de la Banque centrale, les taux appliqués par les banques sur les crédits de trésorerie ont atteint durant le premier trimestre 2012, une moyenne de 6,56%, alors que le taux directeur a été rabaissé à 3%. C'est dire l'importance de cet écart entre la pénalité imposée sur les délais de paiement et le coût que cela peut engendrer pour une entreprise. Publication des dettes fournisseurs En tout cas, cela ne réduit en rien l'importance de la promulgation de ce texte, qui devrait incontestablement constituer un premier pas dans la résolution d'une des plus importantes problématiques à laquelle sont confrontées les PME. En plus de fixer la pénalité, le nouveau décret vient en effet imposer aux sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par des commissaires aux comptes, la publication, dans leurs rapports de gestion, de la décomposition, à la clôture des deux derniers exercices, du solde des dettes à l'égard des fournisseurs par date d'échéance. En d'autres termes, désormais, il faudrait que les PME mentionnent dans leurs publications financières le détail des opérations avec leurs fournisseurs, en précisant les dates qui serviront de base pour le calcul des délais de paiement. «Ces informations publiées dans le rapport de gestion permettent aux commissaires aux comptes de vérifier le respect de la réglementation par lesdites sociétés», ajoute-t-on auprès du ministère de l'Industrie et du commerce. Il faut souligner que cela fait surtout suite au plan d'action décliné pour l'amélioration du climat des affaires, sur lequel s'est engagé le gouvernement. En effet, à elles seules, ces mesures sur les délais de paiement devraient constituer un sérieux point marqué par le royaume dans sa course à l'amélioration de son classement dans le Doing Business. «Le législateur marocain sera appelé à réduire le délai de 60 jours pour être en conformité avec ce qui se pratique en France ou chez d'autres pays partenaires», prévoit même un avocat au Barreau de Casablanca. Cette réduction, si elle est concrétisée, ne manquera pas en effet de se traduire par une plus grande efficacité pour les entreprises et un meilleur attrait des investissements directs étrangers. En attendant, il reste à activer la mise en place du décret et sa publication au bulletin officiel. Point de vue Abdelaziz Alazrak, Président de l'antenne régionale Grand Casablanca et d'Amal Entreprises. Le recouvrement est clairement un problème qui freine la croissance au Maroc. En 2011, nous avons eu la loi réglementant les délais de paiement, mais malheureusement en l'absence des décrets d'application, la loi n'a pas apporté grand chose. Avec ces décrets, je crois que nous allons avoir une croissance plus importante. Aujourd'hui, au Maroc, les délais sont de 120 ou 130 jours en moyenne. Dans certains secteurs comme l'agriculture, cela peut même atteindre 180 jours. Le textile, la confection, le BTP... sont des secteurs où le délai de paiement atteint 150 jours. En d'autres termes, tous les bénéfices que font les entreprises de ces secteurs doivent être réinjectés en fond de roulement. De ce fait, l'entreprise ne peut plus investir pour faire avancer l'entreprise. Avec le recouvrement à 60 jours, on répond à cette problématique et les PME disposeront de fonds à investir et diminueront leur dépendance aux crédits bancaires, et qui dit investissement dit croissance. L'implémentation des stratégies par secteur et la promotion de ces secteurs ne peut porter ses fruits tant que nous n'avons pas réglé le problème du recouvrement. Il faut savoir que même l'Etat aura à gagner en accélérant la mise en œuvre de cette loi. Lorsque l'on demande aux PME de payer leurs taxes et impôts à temps, il faudrait en contrepartie que ces entreprises puissent recevoir leur dû à temps, en les protégeant des abus dans les paiements. Il faut savoir que la quasi-majorité des entreprises qui ne paie pas ses taxes à temps, ce n'est pas pour des raisons de fraudes ou de magouilles, mais c'est qu'elles n'ont pas de quoi payer, puisque tout leur argent est en circulation chez les clients. Hemmad Kessal, Economiste et patron de PME. Publier le décret, c'est bien, mais encore faut-il veiller à y intégrer deux principes de base. Le premier concerne le recours de la PME. En cas de refus de paiement dans les délais impartis par la loi, quelles sont les voix de recours que peut avoir la PME ? Si pour faire valoir son droit, elle doit recourir à la justice, il est clair que cela va lui coûter encore plus cher que sa créance elle-même, sans oublier la longueur des procédures judiciaires. N'a-t-on pas pensé à l'arbitrage ? Par ailleurs, cela ne met pas un terme au rapport de force qui pénalise les PME. Avec le retard accusé par la loi de finances par exemple, les délais de paiement dans certains secteurs ont même atteint 6 à 7 mois. Quelle est dans ce cas cette petite entreprise qui osera recouvrer sa créance auprès de l'Etat !? Le deuxième principe concerne, lui, le taux des pénalités. L'indexer sur le taux directeur de Bank Al-Maghrib n'est pas la bonne solution. Ce qu'il faut, c'est l'indexer sur le taux maximum que facturent les banques sur les crédits de trésorerie et les facilités de caisse. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut préserver les intérêts de la PME.