Serge Yanic Nana, Administrateur directeur général BMCE Capital Cameroun Les Echos quotidien : D'après votre connaissance du système bancaire camerounais, quels sont les secteurs d'activité les plus friands de financements aujourd'hui ? Serge Yanic Nana : Vous avez l'énergie, le transport d'énergie et les lignes à haute tension, les mines, les infrastructures de base, les ports et le ferroviaire, les ressources de type pétrole et gaz, bien entendu, le BTP et les activités de construction. Il y a aussi l'immobilier qui émerge, avec toutes les activités et les dérivés du secteur. Vous affirmez à la fois qu'au Cameroun, le secteur public est actif en matière d'investissements et de lancement de projets, et que les banques sont excédentaires sans qu'elles trouvent de projets à financer. À quoi est due cette anomalie ? Il faut savoir que le système bancaire a été totalement restructuré dans les années 1990 en Afrique centrale. Avant cette période, les banques avaient des politiques de crédit très laxistes. Elles sont tombées par la suite en faillite. Elles ont dû par conséquent resserrer énormément leurs politiques de crédit le temps de restructurer le système pour l'assainir complètement. En face, tous les gouvernements des pays de la région faisaient face à des plans d'ajustement structurel. Des régimes de fait importants dans lesquels les Etats ne pouvaient investir pendant 15 à 20 ans. Cette situation a eu des implications sur le secteur privé, parce que l'Etat ne pouvait pas beaucoup dépenser. Ce qui fait qu'il n'y avait pas d'acteurs économiques locaux, il y en a eu peu qui se sont développés par le marché, en utilisant l'argent des banques pour investir. Face à cette situation, quelle a été la réaction des banques de la région ? Nous sommes passés jusqu'en 2000-2005 à une situation où les Etats ont pris leurs responsabilités, et ont lancé des initiatives générant des investissements très importants. Les Etats se sont remis donc avec des finances publiques totalement assainies; le système bancaire également. Il y a, depuis, un meilleur contrôle des taux bancaires. Les banques ont amassé un paquet d'argent et en face, il n'y avait plus d'opérateurs économiques. Aujourd'hui, ceux qui bénéficient le plus de cet argent sont les investisseurs économiques étrangers. Les opérateurs locaux commencent depuis peu à intégrer le système, mais la situation de surliquidité est toujours réelle. Elle est aussi réelle à cause principalement des cours mondiaux du pétrole. Avec la Guinée équatoriale, le Congo et le Tchad, nous avons une Banque centrale commune. Tous ces pays ont des ressources pétrolières. La Banque centrale a donc demandé à ce que les revenus de ces ressources soient rapatriés, ce qui a intensifié cette situation de surliquidité. Et aujourd'hui ? Il y a maintenant toute une politique de crédit dirigée vers les projets d'investissement. Tous ces projets attendent des opérateurs avec de l'expérience, capables de prendre et réussir des projets bancables. Les taux se sont affaissés, bien entendu. Nous sommes passés de taux de 15-16% à des niveaux de taux autour de 7-8%. Certaines grandes entreprises, dans le ciment par exemple, ou les Télécoms ici au Cameroun, empruntent aujourd'hui à 4% ou 5%. Ce qui est très peu. Au Gabon, votre homologue de l'UGB, Rédouane Bennis, regrettait un déficit manifeste d'esprit entrepreneurial des jeunes gabonais. Qu'en est-il au Cameroun ? Absolument, mais au Gabon, c'est beaucoup plus prononcé qu'ici. Au Cameroun, il y a un tissu industriel réel. C'est même le seul pays de la région CEMAC qui a un système de production local fort. Au Gabon, ce n'est pas le cas, parce qu'il dispose historiquement d'une production pétrolière très élevée. C'est un pays qui produit 400.000 barils depuis 30 ans, pour un million d'habitants au total. Le pays n'a rien développé autour de l'exploitation de ses ressources pétrolières. Au Cameroun, les ressources pétrolières ont été gérées différemment. La commande publique a plus été axée sur la gestion des ressources internes en réalité. Le Cameroun a choisi de développer ses PME, l'industrie locale et l'agriculture. C'est le seul pays agricole de la région, et ses produits se retrouvent jusqu'au Soudan ou vers le Sud. Cette problématique de l'entrepreneuriat est finalement moins importante au Cameroun en raison de l'existence d'un tissu économique réel. Au niveau de BMCE Capital Cameroun, vous financez davantage les grands projets ou les PME ? À notre niveau, au Cameroun, nous sommes réellement dans les grands projets. Par «grands projets», nous entendons les financements qui vont de 10 millions d'euros à quelques milliards de dollars. En interne, et le cas échéant en opérant des arrangements de financements dans la sous-région, au Congo en finançant les projets immobiliers d'envergure par exemple. Dans le conseil également, en matière de ressources naturelles, où nous sommes très impliqués dans les mines. Nous sommes pratiquement la seule banque d'affaires sur des opérations portant sur les mines. Vous affirmez que BMCE Capital est présente au Cameroun depuis 2008, et qu'elle est aujourd'hui leader sur son marché. Expliquez-vous cette croissance rapide par le fait qu'il n'y ait pas de véritables concurrents sur le marché ou simplement parce que vous êtes nettement meilleurs que les autres ? Je vais tout de même apporter un bémol. Il y a la banque d'affaires Ecobank qui est devant nous, même si nous ne sommes pas en compétition sur les mêmes opérations, mais ils le sont parce qu'ils font des opérations de financement et d'intermédiation, et ont en plus un réseau bancaire en Afrique centrale qui est le plus important de la région. Cela fait qu'ils ont des opérations de banque en plus. Nous arrivons en seconde position en termes de chiffres, mais nous sommes impliqués sur d'autres types de transactions, comme les produits structurés sur les centrales de production, les ressources naturelles, l'immobilier, etc., sur lesquelles Ecobank ne se positionne pas. Nous nous positionnons en fait sur des opérations plus complexes.