Pour sauver le secteur du tourisme, il faut d'abord s'assurer que les touristes qui viennent au Maroc y passent plus de temps. C'est ainsi que l'on pourrait résumer les conclusions de l'étude commanditée par l'Association nationale des investisseurs touristiques (ANIT) au cabinet Burj Finance, pour faire un bilan à postériori de la vision 2010. Cette étude vient en effet mettre en exergue les acquis de la vision 2010, qui ont d'ailleurs longtemps été loués par les officiels marocains, mais également mettre à nu, avec des données chiffrées, les lacunes et les insuffisances de cette stratégie. D'emblée, «en termes d'offre, la Vision 2010 devait inverser la tendance, en accentuant l'offre balnéaire en défaveur de l'offre culturelle». Cependant, «ce qui a été concrètement fait, c'est le renforcement du mix produit déjà existant en mettant plus d'effort dans le culturel», déclare Salma Benaddou, Founder & Managing Partner chez Burj Finance. En effet, à fin 2010, la capacité balnéaire du royaume ne représentait que 31% des capacités globales du marché, contre plus de 69% pour le culturel, ce qui est complètement en contradiction avec les objectifs fixés dans le cadre de la vision et qui tablaient sur une capacité de 71% pour le balnéaire contre 29% pour le culturel. C'est dire que même si le Maroc a pu dépasser les objectifs fixés dans le cadre de la vision en termes de capacité, les réalisations différent largement des objectifs fixés. Conclusion : s'il y a une réalisation qu'a induit la vision 2010 et qui fait mal au secteur aujourd'hui, c'est bien le renforcement qu'a connu la capacité litière du royaume, sans que celle-ci ne soit corrélée aux besoins réels du marché. A fortiori, cette forte augmentation de la capacité litière ne fût pas forcément accompagnée d'une augmentation des nuitées au rythme fixé initialement. Ce dernier tablait sur un objectif de 50 millions de nuitées, alors qu'au final, les réalisations ne dépassent pas 18 millions. C'est le grand raté de la Vision 2010 et qui devra être corrigé dans la Vision 2020. Par simple effet mathématique, au lieu d'améliorer le taux d'occupation, le secteur a vu celui-ci fléchir de 52% au lancement de la vision à 40% actuellement, ce qui menace sérieusement sa rentabilité. «Une unité hôtelière ne peut être rentable qu'une fois que le taux d'occupation dépasse 60%», ajoute la consultante de Burj finance. Comment expliquer cette situation ? Au niveau de la capacité litière, l'étude de Burj Finance fait ressortir que le problème se situe, à un premier niveau, dans le Plan Azur. Constituant le principal échec de la stratégie touristique du royaume, ce plan a à lui seul, fortement pénalisé la vision 2010 en limitant sensiblement la part du balnéaire dans les projets créés. Ensuite, dans un deuxième niveau, c'est Marrakech, principale destination touristique marocaine qui a posé problème. La ville ocre a en effet été clairement victime de son succès, en attirant plus d'investissements touristiques qu'il n'en fallait. «Marrakech a tellement accru sa capacité, que si l'on injecte les 10.000 lits supplémentaires prévus pour 2012, il lui faudra attendre 2021 pour prétendre atteindre un taux d'occupation de 61%», ajoute-t-on auprès de Burj Finance. En effet, Marrakech a eu 2 fois plus de capacité que prévu. Et la majeure partie a été injectée sans planification ni anticipation sur la capacité du marché à les absorber. «Quand la première destination du pays est en difficulté, c'est la signature de tout le secteur qui en est dégradée», déplore Salma Benaddou. Partant, Marrakech a aujourd'hui plus que jamais besoin d'un pilotage strict des nouvelles capacités, afin de rattraper le retard, tout en misant sur les actions de promotion qui lui permettront d'augmenter la durée moyenne de séjour des touristes. À ce titre, une simulation effectuée par Burj Finance démontre qu'avec une durée moyenne de séjour d'une nuit supplémentaire, les réalisations du secteur auraient permis d'afficher un taux d'occupation de 57%. Mieux encore, avec deux nuits supplémentaires, le Maroc aurait affiché un taux d'occupation de 70%, ce qui aurait permis aux établissements hôteliers d'être suffisamment rentables. Dixit Les objectif de la vision 2010, nous les avons globalement atteints, mais pas de la manière prévue. Ce qui a vraiment fait défaut, c'est la gouvernance. En effet, les deux conditions nécessaires à la réussite du pilotage de la stratégie n'ont pas été disponibles, à savoir le pilote et les tableaux de bord. Pour le pilote, la haute autorité du tourisme n'a pas encore été créée. Pour les tableaux de bord, l'Observatoire du tourisme, chargé de fournir les statistiques, n'a été créé qu'en 2005. D'ailleurs, même quand il l'a été, les données produites n'ont pas couvert les éléments de coûts et de standards de performance. Les indicateurs suivis ne sont pas suffisants pour alimenter des tableaux de bord permettant de piloter la stratégie. Salma Benaddou, Founder & Managing Partner chez Burj Finance. D'abord, il faut souligner que la vision 2010 n'a pas connu que des échecs. Elle a eu le mérite de placer le secteur comme une priorité pour le pays. Sa contribution au PIB et à la création de l'emploi sont autant de points positifs qu'il faut retenir. Néanmoins, il y a eu certaines insuffisances, et pas que dans la gouvernance. On peut citer le financement, les ressources humaines ou encore le rôle de l'Office national du tourisme. Il y a donc un nombre de points qu'il faut aujourd'hui réajuster et qui ont d'ailleurs déjà fait l'objet de recommandations de la part de la FNT. Ali Ghennam, Président de la Fédération nationale du tourisme.