Le tourisme marocain n'est pas sinistré, mais il risque de l'être. La crise plane sur le secteur depuis 2010 et les perspectives s'annoncent difficiles. C'est, en gros, le constat établi par l'ANIT -l'Association nationale des investisseurs touristiques-, qui a invité la presse, jeudi après midi à Casablanca, pour partager son analyse du secteur. Moins sombre mais plutôt fort contrasté, le bilan dressé par l'ANIT n'enlève rien à l'optimisme. Pourtant, tous les indicateurs touristiques épousent une tendance contrariée, en ces temps de crise chez nos principaux marchés émetteurs, en l'occurrence français. On notera un repli de 8% des arrivées des touristes étrangers, au premier trimestre et une baisse sensible des nuitées, ce qui ramène le taux d'occupation aux alentours de 39% au lieu de 60 %, seuil au-dessus duquel les hôteliers ne peuvent point couvrir leurs charges contraintes. Mais, le nerf de la guerre, selon l'ANIT, ce sont les flux d'investissements touristiques qui sont, sinon en stagnation, du moins en panne depuis 2010. La question est de savoir si le niveau d'investissement enregistré au cours de la première décennie, dans le cadre de la Vision 2010, était à la hauteur des enjeux économiques et sociaux du secteur. L'analyse faite par l'ANIT, si elle permet de saisir la faible rentabilité de l'investissement touristique, elle met en avant surtout l'effet de ciseaux entre la capacité litière (en hausse continue) et les nuitées (en baisse tendancielle pratiquement depuis 2007). En effet, les nuitées réalisées (18 millions en 2010 et 17 millions en 2011) sont, d'après l'ANIT, largement en-dessous des objectifs projetés aux alentours de 50 millions. Le taux d'occupation est ainsi tombé à 40% en 2011 contre 52% en 2000, soit une durée de moyenne de séjour de 3,4 en 2010 au lieu de 6,5 projetée dans la Vision 2010. Cet écart (entre les capacités et les nuitées) résulte, de «la course effrénée à la capacité insuffisamment pilotée et mal coordonnée», font remarquer les analystes de l'ANIT. Autre faiblesse relevée par l'ANIT, dans son évaluation de la Vision 2010, c'est le retard important au niveau du Plan Azur. Aujourd'hui, en termes de capacités créées, le balnéaire ne représente que 31%, alors que le culturel (Marrakech, Rabat, Fès…) s'accapare 69%, totalement à l'inverse de ce qui était projeté auparavant. Victime de son succès, Marrakech, première destination, dispose de deux fois plus de capacités que prévu. « Beaucoup d'investissement ont été réalisés à Marrakech sans planification ni anticipation ». Mais, quand la 1ère destination du pays est en difficulté, c'est la signature de tout le secteur qui se trouve dégradée », fait remarquer l'ANIT. Dans le balnéaire, l'agonie des projets annoncés, notamment à Taghazout et à Saâïdia, ne pouvait que compromettre la situation financière des différents partenaires, et du coup, c'est la signature « Tourisme » qui s'en trouve fortement pénalisée auprès des bailleurs de fonds. La sortie, sans doute inopinée de l'ANIT, en ces temps de morosité, ne pouvait assouvir la curiosité de la presse, particulièrement en ce qui concerne la nature des investisseurs et des flux de capitaux liés à la stratégie des grands opérateurs. Rien non plus sur la contribution fiscale du secteur dans les recettes de l'Etat. Mais, elle a cependant le mérite de mettre le doigt sur les défaillances de la gouvernance de ce secteur combien sensible et stratégique, en même temps, pour l'économie nationale. « Ce qui a principalement fait défaut à la mise en œuvre de la Vision 2010, c'est le manque de pilote et des tableaux de bords. Jusqu'ici, la Haute Autorité du Tourisme tarde à voir le jour. De plus, les statistiques fournies par l'Observatoire du tourisme ne couvrent pas, d'après l'ANIT, les éléments de coûts et de standards de performance, tels que préconisés par la Vision 2010. De cet état des lieux, l'ANIT a tenté de tirer quelques leçons pour la Vision 2020. Elle insiste sur l'urgence de la mise en place de la haute autorité du Tourisme et la création des Agences de développement touristique, avant la fin de l'année 2012. Elle propose aussi de redimensionner les capacités additionnelles planifiées pour 2020, par région et territoire touristiques. L'ANIT recommande surtout la finalisation en priorité des projets du Plan Azur, et le gel, dans un premier temps, des autres projets annoncés et non démarrés. En tout, pas moins de 10 recommandations ont été faites par l'ANIT, liées à la promotion et au renforcement du rôle de l'ONMT et de ses moyens d'intervention, en termes de communication institutionnelle, marketing et distribution. Reconstruire l'image du Maroc est aussi une priorité, en ces temps de « Printemps arabe », mais aussi clarifier le rôle, les moyens et le mode d'intervention du Fonds de développement touristique et du Fonds Wessal capital, pour mieux accompagner la finalisation des stations Azur. Au chapitre des investissements, l'ANIT se soucie davantage des flux de capitaux étrangers et souhaite crédibiliser et attitrer de nouveaux investisseurs. Elle souhaite aussi que de nouvelles formules de financement soient mise en place (y compris sous formes de fonds de placement collectifs) en vue de maintenir et développer les investissements. Ce dernier point, pour qu'il puisse se développer, a besoin d'incitations fiscales fort intéressantes voire exceptionnelle, pour s'assurer des flux de financement continus et gratuits, à même de rencontrer la demande sociale et contribuer, par la même, à l'aménagement du territoire.