La sortie d'El Hassan Eddez, adjoint au directeur, chargé du pôle dette au Trésor n'est décidément pas passée inaperçue. Comme rapporté dans notre édition d'hier, Eddez a profité de sa présence à Abou Dhabi à l'occasion de la réunion du fonds monétaire arabe pour confirmer la volonté du Maroc de recourir à une nouvelle levée obligataire à l'international. Cela faisait en effet plusieurs mois que cette option était évoquée, notamment en vue du financement du déficit budgétaire, lequel est prévu à plus de 5% pour l'exercice en cours, mais sans qu'aucune réelle visibilité ne soit donnée quant à la période de concrétisation de l'opération. Aujourd'hui, on en sait un peu plus. Elle devrait intervenir entre septembre et octobre prochain, si l'on en croit la déclaration d'Eddez. «Pour l'heure, rien n'est encore décidé officiellement », relativise toutefois une source au sein du ministère des Finances. Le dollar, un choix de raison En tout cas, si levée il y a, elle sera pour un montant allant de 500 millions à un milliard de dollars. Au-delà du montant, c'est surtout la devise choisie pour cette levée qui retient l'attention. Pour la première fois, le Maroc opte pour un emprunt obligataire en dollars. «Le fait de lever des fonds en dollars est un choix pour élargir les cibles. On touche plus d'institutionnels en dollars qu'en euros», explique Salahedine Mezouar, ancien ministre des Finances. Selon lui, la cible de l'emprunt devient plus large avec le dollar, incluant des bailleurs de fonds importants notamment ceux des Etats-Unis et des pays du Golfe. Audelà de la cible de l'emprunt, il faut dire aussi que la situation actuelle du marché des devises semble conforter la position du dollar. Selon des cambistes internationaux, «l'euro est de plus en plus instable, avec la crise de la dette qui se perpétue en Europe et la situation de la Grèce, qui continue à influer sur la monnaie unique». Pas plus tard que mercredi dernier, l'euro atteignait même son plus bas niveau depuis juillet 2010, confirmant les craintes des analystes étrangers. Ces derniers plaident de plus en plus pour une tendance baissière de la monnaie européenne sur le long terme. Du coup, la constitution de réserves en dollars, dans un contexte où l'économie américaine se ressaisit petit à petit, devient un choix de raison. C'est là la deuxième explication de cette décision du gouvernement marocain de recourir cette fois-ci au dollar. Par ailleurs, l'autre message clé qu'il faut retenir de l'annonce faite par Eddez est qu'elle était faite justement dans un pays du Golfe. Rappelons à ce titre qu'en mars dernier, Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des finances, avait confié aux Echos quotidien que «parmi les pistes étudiés pour financer le déficit budgétaire, il y avait le recours aux partenaires du Golfe». L'annonce faite par l'adjoint au directeur du Trésor prend donc clairement l'air d'un appel aux investisseurs du Golfe. Des sources bien informées vont même au-delà. «Le retard accusé dans la mise sur le circuit d'adoption du projet de loi de finances 2012 s'expliquerait également par l'attente du gouvernement de la concrétisation d'un financement promis par des pays «amis» du Golfe. Finalement, il n'en a rien été et le projet de loi de finances n'a pas subi de modifications sensibles», nous confie-t-on. Le Maroc est donc clairement orienté vers ses partenaires arabes, dont le positionnement dans l'échiquier mondial des principaux bailleurs de fonds devient plus important jour après jour. Opportunisme ou nécessité ? Ce qui est sûr, c'est qu'il faut s'attendre à une importante souscription des pays arabes quand l'emprunt sera lancé. Pour convaincre, le Maroc est même prêt à aller jusqu'à user de la finance islamique, en recourant à une levée de fonds selon les dispositions de la chariâa. C'est du moins l'autre option envisagée et annoncée par le représentant du Trésor, à la rencontre du fonds monétaire arabe. Ceci dépendra toutefois de l'activation de la refonte de la loi bancaire marocaine en cours et qui devrait donner un cadre légal à l'utilisation des produits islamiques. Soulager le marché local En attendant, la décision constitue une lueur d'espoir pour le marché obligataire local, d'autant plus que le taux d'endettement du Maroc (52%) lui laisse de la marge. Le recours du Trésor aux marchés internationaux aura certainement un effet de soulagement du marché local, vu le rythme des levées qu'enchaîne le Trésor sur le marché des adjudications. Pas plus tard que mercredi dernier, le montant levé par l'Etat sur le marché domestique avait atteint 5,2 MMDH, un niveau des plus élevés, qui ramène le total des levées du mois de mai à 9,2 milliards de DH. «Les levées massives du Trésor ne manquent pas d'asphyxier les entreprises marocaines, qui ne trouvent plus de cash au niveau des banques», déplore Hammad Kessal, économiste. «Le manque de liquidité qui touche les investisseurs risque de pénaliser leur demande lors des séances adjudicataires, entraînant une pression supplémentaire sur le financement du Trésor», ajoute pour leur part les analystes de BMCE Capital Markets. Ces derniers prévoient également une volatilité sur le court et moyen termes, lors des prochaines semaines, en dépit des 2,4 MMDH que devrait empocher l'Etat suite au paiement des dividendes de Maroc Telecom, prévu le 31 mai courant. Par ailleurs, la levée du Trésor à l'international devrait également avoir un effet bénéfique sur les réserves du royaume. Rappelons que ceuxci ont accentué leur effritement ces derniers mois face à une balance commerciale plus déficitaire que jamais. Selon les dernières données disponibles auprès de BAM, le niveau des réserves du royaume ne couvre plus que 4 mois et 20 jours d'importation à fin avril. Injecter un milliard de dollars dans les réserves constituerait inéluctablement un soulagement pour le compte courant du Royaume. Salaheddine Mezouar, SG du RNI et ex-ministre des finances : «Il faudra convaincre de la solidité des fondamentaux de notre économie» Les Echos quotidien : Que pensez-vous de l'annonce d'une prochaine levée obligataire à l'international ? Salaheddine Mezouar : Il est clair que le Maroc doit trouver le moyen de financer son économie. À ce niveau, le gouvernement se retrouve obligé de faire un arbitrage entre le marché local et international. Le recours au marché interne a des limites dans le sens où il faut veiller à ce qu'il ne soit pas soumis à la pression dans le contexte actuel des liquidités. Lorsque nous avions initié l'emprunt international précédent, nous avions de la marge pour le faire et l'impact s'est fait ressentir à la fois sur les stocks des réserves en devises, mais aussi sur la détente des liquidités. Comment peut-on expliquer le choix du dollar comme devise pour cette levée ? Lancer un emprunt en dollars permet d'élargir la cible potentielle des souscripteurs. Plusieurs investisseurs auront en effet la possibilité de souscrire lorsque l'on lève des fonds en dollars. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est offrir aux institutionnels les moyens de bien apprécier le Maroc, afin de bénéficier des meilleurs taux. L'enjeu est à ce niveau là. Le contexte actuel est clairement favorable aux pays émergents. Maintenant, il faut donner aux marchés de la visibilité sur les fondamentaux économiques du Maroc et les convaincre de leur solidité, en argumentant sur le potentiel de l'économie marocaine. Le maintien de la notation du Maroc par les agences internationales pourrait également jouer son rôle, notamment pour ce qui est de l'évaluation du risque pays par les investisseurs. Faire cette annonce à Abou Dhabi n'est-il pas un signal que l'on envoie au pays du Golfe ? Cela peut être un message à ces pays, car finalement, c'est là où est l'argent aujourd'hui. Cependant, on pourrait également prétendre attirer les bailleurs de fonds américains, comme cela a été ressenti lors des différents road shows effectués