C'est parti pour la réforme de la Justice version PJD ! Avec l'installation, mardi dernier, de la Haute instance du dialogue national sur la réforme de la Justice par le souverain, le gouvernement Benkirane entame, véritablement, la mise en œuvre de son approche à ce vaste chantier qui peine à décoller en dépit d'une série de mesures lancées depuis le discours royal du 20 août 2009. Très attendu sur le dossier, le gouvernement qui a fait de ce programme une de ses priorités majeures entend mettre les gros moyens pour garantir l'efficacité de sa mise en oeuvre. L'enjeu est de taille pour le ministre de la Justice Mustafa Ramid qui a fait de la question son cheval de bataille, comme en témoigne son engagement, dès sa prise de fonction, à accélérer le processus à travers une approche novatrice qui se veut fondée sur une approche participative. C'est du reste, ce qu'a tenu à rappeler le roi lors de son discours d'installation des membres de la nouvelle instance. Mohammed VI qui a souligné avoir veillé à ce que «ce dialogue s'instaure sous notre haut patronage» a insisté sur l'efficacité de «l'approche participative et inclusive» qui a démontré ses preuves à travers les expériences déjà menées «pour aborder les questions majeures et les grandes réformes». Une réorientation stratégique, donc, dans le processus de réforme de la justice qui soulève bien des interrogations au vu du timing, d'abord, de l'approche, ensuite, mais également de la composition et des attributions des membres de l'institution chargée de veiller à la réussite de cette concertation élargie entre tous les acteurs engagés dans la mise en œuvre de la réforme. Ces ingrédients réunis parviendront-ils, enfin, à donner l'impulsion nécessaire à ce qui peut, désormais, être considéré comme le défi majeur du Maroc ? Il va sans dire que le contexte politique actuel, les défis et enjeux majeurs du nouveau Maroc ainsi que l'ampleur des atteintes des citoyens marocains et partenaires extérieurs du Royaume plaident à asseoir une nouvelle dynamique. Cependant, ceci va-t-il garantir l'effet escompté ? En effet au-delà de l'adoption de toute une série de mesures annoncées en grandes pompes, comme cela a été fait depuis des années, le vrai impact du processus lancé se mesurera, indiscutablement, à l'aune de l'opinion que se feront les Marocains, qui n'attendent que des actes concrets pour y croire. Autant dire que cette fois, le gouvernement a comme une obligation de résultats. Une lourde responsabilité pour Benkirane dont les travaux de la Haute instance serviront de présages à l'efficacité attendue. Feuille de route L'élément nouveau dans cette approche voulue par le gouvernement est la mise en place de cette Haute instance annoncée par Ramid qui en a présenté, déjà, les grandes lignes lors de l'exposition du programme qu'il entend mener tout au long de son mandat gouvernemental dans le cadre de cette réforme. Il est vrai qu'avec les dispositions de la Constitution du 1er Juillet dernier, le processus avait besoin de plus qu'un réajustement mais d'un nouveau souffle. La Haute instance aura donc la lourde responsabilité de servir de plateforme de concertation, de dialogue et de synthèse de toutes les aspirations et attentes des citoyens et partenaires du pays à l'égard de cette réforme. Selon l'exposé fait en Conseil de gouvernement, le 5 avril dernier, le dialogue national se déroulera sur une période de 15 semaines. Trois mois donc pour un travail d'écoute et de recueils des doléances et propositions des différentes instances pour enfin élaborer un rapport de synthèse. Ce dernier servira de base à l'élaboration «d'une charte nationale, avec des objectifs clairs, des priorités, des programmes ainsi que des moyens de financement précis et des mécanismes de mise en œuvre et d'évaluation rigoureux», selon la feuille de route royale. Pour ce faire, des visites des juridictions dans 21 villes du Maroc sont programmées pour tâter la réalité des choses sur le terrain. Est également prévue, l'organisation d'ateliers et de rencontres avec différents organes, tant nationaux qu'internationaux, avec des juristes, experts et universitaires, afin de débattre des réels enjeux et ratisser le plus largement possible pour atteindre ce que le souverain a qualifié «d'expression concrète et optimale au projet de réforme de la justice». Selon le ministre Ramid, ces rencontres serviront à débattre «des questions liées à l'indépendance du pouvoir judiciaire, la mise à niveau des ressources humaines, les professions judiciaires, l'efficience judiciaire, la facilitation de l'accès à la justice, la modernisation de l'administration judiciaire et le renforcement des infrastructures des tribunaux». Enjeux prioritaires L'instance se révèle donc comme une institution consultative qui ne constitue qu'un maillon dans la chaîne de la nouvelle approche de la réforme de la justice. De son travail dépendra, cependant, la suite de la mise en œuvre du processus et à ce niveau parmi les multiples enjeux propres à l'effectivité d'une véritable justice dans toute société ou toute nation, deux défis majeurs sortent du lot et constituent l'essence même de la réforme. Il s'agit de la concrétisation d'un véritable Etat de droit au Maroc et l'amélioration du climat d'affaires, aspects qui convergent à assurer enfin la marche vers la construction d'un nouveau Maroc, démocratique et moderne. «Nous sommes, en effet, convaincus que la justice est le socle sur lequel repose l'Etat de droit et des institutions» a réaffirmé Mohamed VI avant d'ajouter que celle-ci est fondamentale «pour faire prévaloir la suprématie de la loi ainsi que pour inciter à l'investissement et stimuler le développement». Une feuille de route très claire qui cristallise, en substance, les réelles attentes de cette réforme et transcende, pour l'essentiel, les autres chantiers du nouveau Maroc. L'installation d'une instance consultative, appelée à superviser le dialogue pour une justice ouverte «sur son environnement interne et externe» apporte le cachet de «défi national et de travail collectif» au processus. Le choix des membres qui la composent révèle, à lui seul, l'étendue et la complexité de la tâche, à l'image du vaste chantier de la réforme de la justice qui se décline comme une longue entreprise dont les effets seront, pourtant, constatés dès les premiers actes posés... Timing et casting royal Si l'idée d'un dialogue national sur la réforme de la justice a été initiée dès 2009 par le souverain et reprise en bonne place par le programme du nouveau gouvernement, le timing et le casting de la sortie du souverain s'interprètent à plusieurs niveaux. Le timing, d'abord, qui intervient juste au lendemain de la sortie médiatique du Club des magistrats du Maroc. Ces derniers ont, en effet, lancé en début de semaine un véritable SOS appelant à l'indépendance de la justice et qui a été signé par près de 1.800 juges. Il va sans dire que la tentation de faire le lien est assez grande, sauf que l'initiative était déjà en cours. L'appel des juges, toutefois, est venu rappeler, si besoin était, que les résultats, tant au niveau des professionnels que des citoyens, reste assez préoccupant. Le casting, ensuite, confirme la volonté royale de faire de cette entreprise, une œuvre nationale. Bien sûr, la coalition gouvernementale aura tout loisir de tirer avantage de cette donne, mais en élargissant la composition de la haute instance qui se caractérise, en premier lieu, par la provenance assez diversifiée de ses membres, l'entreprise ne pourrait que ratisser large. Le message est que la réforme va au delà d'une initiative partisane, ce qui aura pour effet de mobiliser tous les acteurs autour du projet qui se veut national. Composée de 37 membres, dont 7 femmes, la haute instance dont le rôle se résume à celui d'expertise, aura à prendre en compte et à concilier toutes les positions. C'est une lourde tâche certes, mais à la hauteur du profil et de la qualité intrinsèque des membres de l'organe consultatif. Ce dernier regroupe en son sein les présidents des institutions constitutionnelles du secteur juridictionnel et judiciaire du royaume, les entités administratives, des experts et universitaires, en plus des représentants de la société civile et du monde des affaires. Les protagonistes se rejoignent au moins sur un aspect commun : leur compétence confirmée, soit par le rôle qu'ils jouent ou qu'ils ont eu à jouer, dans la maîtrise du labyrinthe complexe de la justice.