Travail acharné et créatif sans faille, David Foenkinos est partout. Tantôt au théâtre, tantôt au cinéma, il est l'auteur de nombreux romans qui ont marqué comme «La délicatesse», un de ses plus grands succès ou encore «Charlotte» qui a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en 2014 alors que son dernier ouvrage «Les deux sœurs» serait déjà en adaptation au cinéma. Retour sur une carrière hors du commun avec une des plus belles plumes de sa génération. Depuis «La délicatesse» que vous avez réalisé avec votre frère, tous vos films sont adaptés au cinéma. Pensez-vous cinéma lorsque vous écrivez ? Tous mes livres récents sont adaptables ou adaptés parce que j'écris des livres réalistes. Des producteurs cherchent toujours des histoires qui peuvent devenir des films. C'est vrai que j'ai un goût pour les histoires mais par contre, cette même histoire, je ne peux pas l'écrire pareille pour un livre ou pour un film. Par exemple, pour «Les deux sœurs», c'est très cinématographique, j'ai plusieurs propositions. Cela va devenir un film mais pour moi, il est vraiment écrit comme un roman. Même s'il y a beaucoup de scènes, j'ai beaucoup travaillé la psychologie des personnages. La complexité, les étapes de son éreintement. On ne peut pas avoir tout cela dans un film. De même quand j'ai fait «Jalouse», c'était pensé comme un film et non comme un roman. C'est très cinématographique la relation mère-fille. On voit tout de suite Karine Viard au bout du rouleau avec une fille magnifique en face d'elle mais il y a des surprises. «Le mystère Henri Pick», je ne l'imaginais pas en film. Le film est moins choral du coup... Oui ! C'est une vraie adaptation. Il est recentré sur l'enquête littéraire. Je suis même parfois surpris que cela devienne un film. «Deux sœurs», je le savais. Parce que c'est un huis clos et qu'il ne serait pas très cher à financer. À part «La délicatesse», vous n'avez réalisé aucun de vos écrits. Est-ce une volonté ou une fatalité ? C'est totalement une volonté. Les producteurs, à chaque fois qu'ils achetaient les droits de mes livres, me proposaient à mon frère et moi de le réaliser. On a décidé, après «La délicatesse» de ne pas le refaire. Ce roman était assez unique parce que je voulais continuer à vivre avec cette histoire. Continuer avec ces personnages. Ce qui n'est pas le cas avec les autres romans, quand je finis, j'ai envie de passer à autre chose mais je pense aussi que c'était plus judicieux pour notre travail de réalisateur de nous dissocier de mon travail littéraire. À juste titre ou pas. Pour «Jalouse», on aime ou on n'aime pas notre travail, on nous a jugé de façon plus sérieuse si j'ose dire. Quand on adapte un roman, il y a toujours ce côté produit dérivé. On passe trois ans à faire un film et il n'est pas jugé comme n'importe quel film. C'est pour cela qu'on a voulu se dissocier de tout cela... Quand vous êtes adapté, quel auteur êtes-vous sur un plateau ? Comme je suis aussi réalisateur, je ne suis pas du tout envahissant. Sur «Le mystère Henri Pick», je suis passé 1h en deux mois. Si on me pose des questions je suis là mais je n'éprouve pas le besoin d'être toujours présent. Même pour «Les souvenirs» adapté par Jean Paul Roove, je suis passé très peu. Avant de céder les droits, je discute beaucoup avec le réalisateur. Pour comprendre sa vision. Après il devient son film. S'il est bien tant mieux pour le livre, l'écrivain. S'il n'est pas bien, ce n'est pas très grave. J'ai le droit de dire non, de ne pas céder mes droits mais une fois cédés, je respecte. Vous avez un style à vous, tout en ayant pour fil conducteur le renouveau, la résurrection mais à chaque fois, en changeant de style dans l'écriture. Vous passez de la comédie dramatique au drame psychologique en vous essayant à la prose. Comment pensez-vous une histoire ? Vous avez raison dans le fait que dans tous mes livres, des thèmes reviennent tout le temps et je commence à m'en rendre compte maintenant. J'ai dis récemment que «Les deux sœurs» était la version noire de «La délicatesse». Au lieu de basculer dans la fantaisie, ça bascule vers l'effroi. Je suis habité par l'envie de ne pas refaire ce que j'ai fait. Ça me touche que les spectateurs me suivent même si je change d'univers. L'écriture reste le point commun. Je n'avais pas envie de refaire la même chose que «La délicatesse». Je voulais explorer quelque chose de nouveau. Un thriller psychologique par exemple où l'on suit l'effroi de cette femme. La forme est importante. Je voulais que ce soit écrit dans une firme de pulsions. J'adapte beaucoup la forme et l'écriture à ce que je raconte. Vous vous mettez facilement dans la peau d'une femme. Vous racontez la femme comme vous vous racontez vous... Je ne m'en rends pas forcément compte. Quand j'ai cette histoire, je vois une femme alors que la rupture amoureuse du côté masculin est très intéressante. J'aurai pu y aller. Il y avait le fait que ce qui m'intéressait le plus c'est ce rapport entre les deux sœurs et que finalement, l'une considère la vie de l'autre comme celle qu'elle aurait aimé avoir. Et comme j'ai un frère, je ne pouvais pas écrire sur deux frères de cette violence là. C'est l'histoire qui m'a propulsé dans cette réalité là pour m'éloigner de ma propre vie je pense. J'avais envie de parler de la rupture amoureuse d'une façon extrême. Que c'est insoutenable, que ta raison d'être n'existe plus. Je l'ai écrit du point de vue d'une femme. Certes le point de vue masculin aurait été intéressant aussi... On ne peut pas s'empêcher de faire le lien entre la relation mère-fille dans «Jalouse» et ce personnage de Karine Viard qui bascule dans cette folie... Oui, c'est vrai. Je fais souvent des choses différentes, j'aime ne pas reprendre les mêmes thèmes laids, des fois j'ai le sentiment que je n'en ai pas fini avec certaines choses. Travailler sur un thème et avoir le sentiment de ne pas avoir tout exploré, de ne pas être allé aux fonds des choses. On ne peut pas faire un film si on n'est pas obsédé par le sujet. On passe deux à trois ans à fabriquer un film. «Jalouse» a mis beaucoup de temps à s'écrire. On a beaucoup parlé avec Karine, de la jalousie, de souffrir d'aller mal mais que c'était plus difficile quand les gens sont heureux autour de toi. On vit dans un monde où les réseaux sociaux montrent le bonheur de l'autre, un monde où l'on devient malheureux du bonheur des autres quelque part. Plus j'y pense, plus je me dis que tout cela a contaminé mon nouveau livre. Même si c'est différent. Le livre est pensé en deux parties. Tout le début, on se demande pourquoi l'ouvrage s'appelle «Les deux sœurs»... J'aimais l'idée. Je voulais vraiment qu'il soit en deux parties. Je voulais cultiver l'idée de se demander pourquoi l'ouvrage s'appelle «Deux sœurs». J'adore cette idée. Quand j'ai fait «La délicatesse» par exemple, les producteurs ont dit que ce n'était pas possible de faire un film pareil parce que le héros arrive à la 45e minute. On avait Audrey Tautou qui accepte de faire le film, qui donne la réplique à François Damiens. Mais sur un film d'1h40, le personnage principal arrive tard. C'est vendu comme une comédie romantique. J'aime m'amuser avec les codes. J'aime cette liberté. L'éducation sentimentale de Flaubert est présente tout au long de l'ouvrage. Pourquoi le choix de Flaubert ? C'est d'abord un clin d'œil à ma propre vie puisque j'ai fait un mémoire sur Flaubert. Je trouvais que c'était intéressant que cela représente un roman du 19e siècle, il y a comme quelque chose de romanesque. Qui est difficilement adaptable à notre époque. Mathilde, le personnage principal est professeur et elle a tous les codes de quelque chose qui ne sert à rien, en tout cas qui la déconnecte de la réalité. Basiquement, ce qui me plaisait c'est de se dire qu'elle a tous les codes de la passion amoureuse dans la littérature mais qu'elle ne les a pas dans sa propre vie. Elle est perfusée à la lecture. Elle dit que tous les malheurs viennent de la littérature. Je ne peux pas dire ça en tant qu'écrivant dont l'écriture a changé la vie...(Rires). Je pense que la lecture pousse à la mélancolie, à la complexité de pas mal de choses. J'ai l'impression que cela nuit au personnage... Vous parlez de Flaubert mais lorsque l'on ferme le bouquin, on retient quelque chose de Shakespearien... Je l'ai dit dans la première phrase : il s'agit d'une tragédie. C'est assez théâtral. C'est un huit clos, étouffant. Il y a un côté fataliste. On a l'impression que tout est écrit d'avance. À mon avis, la rupture amoureuse est une question de fatalité. C'est ce qui est très compliqué à gérer. Beaucoup de situations difficiles dans la vie où on a le sentiment même si on est en souffrance d'avoir une marge de manœuvre. Cela peut arriver pour des maladies, l'état d'esprit compte où l'on se dit je vais me battre...ou des situations compliquées professionnelles, familiales. Quand quelqu'un te dit «Je ne t'aime plus» c'est une condamnation à mort du passé. C'est un condamnation à mort de ta vie amoureuse. Elle se bat contre une armée de fantômes. Elle n'arrive pas à avancer. Elle vit une véritable injustice. Quand il n'y a pas d'ennemi en face de toi, c'est difficile. Les gens qui sont aux premières loges de votre souffrance, deviennent à un moment pesants. Vous êtes un boulimique de travail, entre romans et scénarios, vous sortez des histoires pratiquement tous les ans. On a l'impression qu'écrire est facile pour vous... La boulimie du travail me sauve. J'ai un besoin constant d'occuper mon esprit. Je ne peux pas dire que j'écris vite parce que tout me paraît pénible. Pour moi, l'écriture n'est pas délimitée aux horaires de travail. Mon cerveau ne s'arrête jamais. J'ai l'impression que mon livre est déjà écrit avant même que je ne l'écrive. Je travaille beaucoup mais toujours avec le goût obsédant de créer des choses nouvelles. Je vais trop vite.