C'est ce week-end que se joue la première manche de l'élection présidentielle française. Dix candidats en lice, deux finalistes et un heureux élu. Contexte de crise oblige, les tabous sont levés, à telle enseigne que Sarkozy revient sur l'indépendance de la BCE et Hollande, en social-démocrate, fait de la finance son «ennemi numéro un». Une présidentielle ouverte sur tous les sujets ? Pas tant que cela. L'Afrique, et notamment le Maghreb, sont les deux grands absents des débats électoraux, alors que l'actualité internationale, hormis l'historique conflit israélo-palestinien, est tout particulièrement du côté sud de la rive méditerranéenne. Sur fond de campagne «franco-française», l'Afrique semble avoir choisi ses champions, Hollande pour en finir, par défaut, avec Sarkozy, Mélenchon pour la convergence des points de vue, notamment sur l'émancipation politique et économique du continent vis-à-vis du diktat et du cynisme occidental. Au Maroc, les pronostics vont bon train. Exit Aubry et DSK, le candidat Hollande fait figure, non pas de challenger, mais de grand inconnu, tant sur ses positions, que sur les questions internationales. Si la position de son pays restera inchangée sur le dossier du Sahara, la connivence de certains de ses proches et ses récentes visites en Algérie, soulèvent quelques interrogations sur ses réelles motivations pour l'équilibre régional du Maghreb. Quel que soit le candidat élu le dimanche 6 mai, ce dernier sait pertinemment que son pays a perdu son auréole de grande puissance diplomatique et économique mondiale en Europe, en faveur de l'Allemagne et au niveau international, au profit des nouveaux pays émergents, de l'Inde et du Brésil, en passant par la Chine et la Turquie. Une nouvelle reconfiguration géopolitique et géoéconomique est en construction. Un système néocapitaliste à bout de souffle, la fin de l'Etat-Providence qui se profile, la France qui se désindustrialise, avec son lot de conséquences économiques et sociales. De ce fait, contrairement aux élections précédentes, la présidentielle française de 2012 est, cette fois-ci, foncièrement «franco-française». Pour sortir de la crise, austérité (la droite) ou relance par la croissance (la gauche) ? Un choix cornélien qui sera rapidement fixé au lendemain de l'élection du président de la République française, avec le lancement, par Eurex, d'un nouveau contrat à terme, «un futur» dans le jargon des financiers, qui en permettant aux investisseurs de prémunir contre la variation des taux d'intérêt sur les obligations d'Etat, laisse la porte ouverte à toutes les spéculations sur la dette française. C'est là que réside, pour nombre d'observateurs et d'économistes français et internationaux, l'enjeu de l'après-présidentielle. Pris ainsi à la gorge, le futur président français va indubitablement être dans l'obligation de relancer la machine, avec pour nouveau terrain de jeu l'Afrique. Mais que préparent les quatre favoris de l'élection sur ce dossier important ? Pour Marine Le Pen, l'Afrique est le moindre de ses soucis. Fidèle à l'adage de son père, «J'aime les Africains, mais chez eux», l'intérêt de l'héritière du Front national pour le continent africain s'arrête précisément aux frontières de ces dernières. Extrême pour extrême, Jean-Luc Mélenchon, probable troisième homme de cette présidentielle, semble avoir été le seul à avoir un programme et des positions tranchées à l'égard de l'Afrique. Mais tout comme certaines de ses propositions pour la France, ses déclarations d'intention pour l'Afrique ne constituent pas un plan d'action réaliste et d'envergure pour l'avenir. Reste alors les deux favoris, Hollande et Sarkozy. Sarkozy, le pragmatique, a réinscrit la France dans la dynamique des enjeux africains, prenant position au cas par cas et au gré des intérêts stratégiques et économiques de la France et des grands groupes. La Côte-d'Ivoire et le Gabon en sont peut-être bien les illustrations les plus significatives. Le Maroc a des atouts de taille Reste alors le grand favori, le challenger, François Hollande. Face à lui, autant l'Afrique que le Maroc sont partagés, entre le représentant d'une gauche humaniste porteuse d'espoir pour l'émancipation du continent, et le représentant d'une nation qui agit davantage par raison d'Etat. Si pour le continent africain, la personne du président s'efface des enjeux diplomatiques et des «constantes historiques», comme les qualifie le politologue Mohamed Darif, pour le Maroc, les dossiers chauds mis sur la table des négociations internationales, l'obligent à s'intéresser davantage à cet «inconnu». Inconnu, parce que le candidat socialiste n'a que peu d'attaches avec la classe politique marocaine; parce qu'Hollande a visité deux fois l'Algérie depuis 2010, annulant au passage deux autres visites au Maroc et parce qu'enfin, la France n'a plus les moyens de sa politique africaine. Autant dire que des choix ciblés devront être faits. Sur les dossiers du Sahara et du Maghreb et de l'Afrique, l'Algérie dispose d'un atout de taille, Kader Arif (et Faouzi Lamdaoui), proche de son mentor Jospin. Mais le Maroc peut faire valoir d'autres atouts de taille. Le premier est certainement la figure de Martine Aubry. Jawad Kerdoudi, Président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI), rappelle les rapports privilégiés qu'entretient la première secrétaire du Parti socialiste avec la monarchie. Autre atout d'importance : Nadia Belkacem, autrefois soutien de Ségolène Royal, aujourd'hui porte-parole du candidat Hollande. Et il se trouve que cette dernière, promise comme Rachida Dati à un bel avenir en cas d'élection de son champion, est membre du Conseil de la communauté marocaine de l'étranger (CCME). Autre et dernier atout de taille : les enjeux géoéconomiques entre le Maroc et la France. Il est de notoriété publique que le royaume se positionne comme futur hub régional vers l'Afrique et que, dorénavant, pour aller investir sur le continent, il faudra passer par le Maroc. Une place libre, laissée par la Tunisie qui se reconstruit et l'Algérie fermée sur elle-même, et favorisée par le Qatar, qui avait, certes, ses entrées particulières auprès de Sarkozy, mais qui gardera ses nouveaux intérêts commerciaux et financiers dans les grands groupes français, avec ou sans Hollande. Seule évolution possible, «il y aura de moins en moins une politique africaine de la France, mais une politique de la France en Afrique», pour reprendre la formule d'Antoine Glaser, ancien directeur de la rédaction de La lettre du continent. Autant dire pas de changement. Mohamed Darif, Politologue. Les Echos quotidien : Comment qualifier la politique de Sarkozy vis-à-vis de l'Afrique, en quelques mots ? Mohamed Darif : La France a toujours respecté des constantes historiques qui constituent à ce jour le socle de sa politique étrangère à l'égard de l'Afrique. Avec toujours le même but suivi, celui de renforcer sa présence sur le continent africain, qu'elle a toujours considéré au demeurant comme un fief historique, la finalité ultime étant bien entendu de défendre ses intérêts. En ce qui concerne le mandat de Sarkozy, je pense que ce dernier a réussi à préserver les intérêts de la France en Afrique. Il a même voulu impliquer davantage la France dans les affaires africaines, même avant la chute du régime libyen de Kadhafi. Il s'est réellement impliqué sur le dossier du terrorisme, avec notamment une forte collaboration avec les autorités mauritaniennes pour endiguer la menace des groupuscules islamistes se revendiquant d'Al Qaida. Même si Sarkozy n'a pas dépassé les limites imposées par les constantes historiques qui régissent le rapport entre la France et l'Afrique, on peut se permettre de lui reconnaître d'avoir mené une politique étrangère offensive. Dans l'éventualité d'une alternance en faveur de la gauche et du candidat Hollande, peut-on envisager un changement d'orientation vis-à-vis du Maghreb, et notamment du Maroc ? Si changement il doit y avoir, ce sera uniquement au niveau de la politique intérieure, en raison des mêmes constantes historiques de la politique étrangère française. On craignait à une époque, l'arrivée au pouvoir de Mitterrand et finalement, la France a depuis continué à avoir une politique équilibrée, notamment en ce qui concerne les relations entre le Maroc et l'Algérie. On ne peut pas parler de mauvaises relations entre le Maroc et le parti socialiste. Le roi Mohammed VI a reçu dernièrement Martine Aubry, c'est cela qui importe. On avait aussi des craintes au sujet du Parti populaire espagnol qui a eu, en temps de campagne, une position agressive vis-à-vis du Maroc et qui finalement, fait aujourd'hui dans la négociation. Il ne faut pas faire d'amalgame entre le discours d'un chef ou représentant de parti dans l'opposition, et ses actes une fois Président de la république. Comme ses prédécesseurs, Hollande veut rompre avec la Françafrique. Vu le vent démocratique qui a traversé le Maghreb en direction de l'Afrique, Hollande, s'il est élu, pourra-t-il concrétiser cette promesse ? Si Hollande gagne les élections, il est tenu de représenter les intérêts stratégiques français. Une bonne partie de la force de la France vient historiquement de l'Afrique. Comme il ne faut pas accorder beaucoup d'importance aux promesses électorales, Hollande, s'il est élu, devra bien sûr s'inscrire dans la continuité des relations nouées avec les pays africains avant son arrivée au pouvoir. N'oublions pas que la France est membre de l'UE - ce qui a son prix -, qu'il y a une émergence et un fort intérêt de la Chine et des pays de l'Union pour le potentiel de développement de l'Afrique. Hollande ne pourra pas représenter son parti ou sa majorité, mais plutôt la France. Il aura ainsi du mal à rompre avec les traditions France-Afrique, ancrées par les choix de Sarkozy. Point de vue Jawad Kerdoudi, Président de l'Institut marocain des relations internationales. À l'égard de l'Afrique, Sarkozy a réellement indisposé les pays du continent, notamment dans sa partie subsaharienne, par des discours brutaux. L'image de la France a été écornée. Concernant le Maghreb, il faut dire que, s'il a pris une position assez nette pour le Maroc, en défendant le pays dans le dossier du Sahara marocain, il n'a en revanche pas beaucoup fait pour un rapprochement entre le royaume et son voisin algérien, ni pour la consolidation du Maghreb. Il a opté plutôt pour un traitement individuel, pays par pays, avec notamment une position ambiguë sur la révolution tunisienne. Vis-à-vis du Maroc, je reconnais son soutien politique pour le dossier du Sahara. D'un point de vue économique, il a défendu les intérêts de la France, qui sont d'ailleurs ceux du Maroc. Par ailleurs, si Hollande est élu, les intérêts historiques entre la France et le continent africain sont tellement forts et importants, qu'il n'y aura pas de grand infléchissement de sa politique étrangère. Mais il faut être réaliste, Hollande peut jouer un rôle partial face à l'Algérie. J'ai des doutes sur son soutien pour le Maroc. Un doute qui mérite toutefois une nuance. D'abord le rôle de Martine Aubry qui peut s'avérer déterminant. Il y a effectivement une relation personnelle entre Aubry, son père Jacques Delors et le roi Mohammed VI. Ensuite, du temps de Mitterrand, rappelons-nous les craintes nourries à l'endroit de sa position vis-à-vis du royaume. Mais rappelons-nous aussi qu'après sa visite au Maroc, il a complètement changé. Si Hollande accepte de venir au Maroc, il y a fort à parier que les doutes s'estomperont rapidement. En comparaison à Sarkozy, on peut même s'attendre de la part de Hollande à un changement significatif de langage et de style, qui du point de vue de la symbolique, entre pour beaucoup dans la consolidation des relations diplomatiques.