Quand le soleil brille, il brille pour tout le monde. Par contre, quand le ciel immobilier se couvre, les (futurs) acquéreurs sont les premiers affectés et les recours à leur disposition semblent soudainement se raréfier. Depuis l'éclatement de la bulle immobilière sur la région de Tanger-Tétouan fin 2008, les situations de conflit entre promoteurs immobiliers et futurs acquéreurs qui ont versé des avances sur un bien à acquérir se multiplient. Selon une responsable de Compass Properties, agence anglo-marocaine spécialisée dans la commercialisation immobilière sur la région de Tanger et de Tamuda sur la côte de Tétouan, elle «ne commercialise plus désormais que des projets dont la construction est finie». La raison? «Nous avons proposé en toute bonne foi des projets approuvés, mais que les promoteurs ont par la suite tardé à achever mettant en difficulté financière nos clients». Du coup, Compass Properties ne commercialise plus de produits immobiliers non finis. L'agence, sous strictes conditions, commercialise des reventes, c'est-à-dire des biens acquis, il y a plusieurs années, par des clients marocains ou étrangers sur des projets qui tardent à être achevés, comme c'est le cas pour le projet Paradise Golf dans la commune de Gzénaya près de la Forêt diplomatique. Les retards de livraison engendrent des frais supplémentaires pour les acquéreurs, en termes de jouissance et de manque à gagner en location à percevoir. Mais l'élément déterminant souvent omis, le retard fait perdre le bénéfice de la réévaluation fiscale automatique de la plus-value en cas de revente, les fameux 3% annuels. Tout retard de remise du titre foncier à temps à l'acquéreur représente pour lui une perte d'argent sèche. Sur le projet de Paradise Golf, lancé il y a 4 ans, les premières livraisons prévues pour cet été n'ont pas été honorées. Une situation qui a même suscité des réunions de futurs propriétaires de la région de Londres. Le projet Asilah Marina, également, n'a pu faire mieux vis-à-vis de ses clients. «Les clients réalisent que malgré les avances versées, ils n'ont pas de recours efficace dans des délais raisonnables contre les retards; les demandes de remboursement auprès du promoteur restent sans réponse». Un cas qui est loin d'être unique... Sur Tanger, les cas de retard de livraison sont multiples. Souvent, la livraison se fait de manière partielle, c'est-à-dire que l'appartement est prêt, mais pas l'ascenseur ou la place de garage. Patience et résignation deviennent de rigueur. L'écrivain Tahar Ben Jelloun, le directeur général Jamal Mikou, l'industriel Adil Rais ou l'expert-comptable Mohamed Ben Mokhtar, qui ont acheté, l'un une résidence principale, l'autre un bureau ou réalisé un placement dans un immeuble au Marshan, il y a plus de 4 ans, en savent quelque chose. Malgré le passage par le cabinet d'un notaire recommandé par le «promoteur ami» au départ des transactions. Pourtant, selon un ancien banquier français, aujourd'hui résident à Tanger, «le juridique est une chose sérieuse qu'il faudrait formaliser plus systématiquement au Maroc», n'hésitant pas, pour résumer ses premiers pas immobiliers au Maroc, à rapporter au téléphone une boutade entendue dans un dîner en ville : «Il y a les notaires qui sont en prison et ceux qui devraient l'être». Cela n'est pas de l'avis du notaire tangérois, maître Ali Nimzilne. Interrogé par Les Echos quotidien, Me Nimzilne estime que «l'arsenal juridique pour faire respecter les droits de chaque partie existe. C'est l'application des textes qui fait défaut». Quant au sentiment d'insécurité que peuvent ressentir les acquéreurs et les candidats à la propriété immobilière, Me Nimzilne insiste sur le fait que «le plus souvent, la transparence n'existe ni du côté de l'acheteur, ni de celui du vendeur; les deux parties finissent par se rendre chez le notaire, mais elles ne divulguent pas tout». Le notaire, il faut le savoir, est solidaire de l'Etat en matière de recouvrement des créances du Trésor, si une fausse déclaration est avérée. Me Nimzilne insiste : «Le notaire est un officier public, neutre comme un magistrat. Il travaille au respect des textes et des droits des deux parties». Même si, le notaire déplore que la profession soit régie par un texte de ... 1925 et qu'un projet de nouveau texte, actuellement en cours d'examen au Parlement alourdit l'arsenal répressif et ouvre la profession aux retraités du ministère de la Justice, aux avocats et aux universitaires. La loi Vefa sur la vente en l'état futur d'achèvement qui date de 2002, et son inapplication par les promoteurs et les pouvoirs publics constitue un élément qui rompt la confiance. Pourtant, elle contient ce qu'il faut, en termes d'engagement des parties acheteuse et vendeuse, de système des cautions et d'éventuelles pénalités de retard. Le législateur est absent et, le plus souvent, c'est plutôt le promoteur qui a son oreille, même si, à force de légiférer à sens unique, cela ne rend service ni au business ni aux finances publiques en fin de compte. Selon Reynald Beck de l'agence NREA, «l'année 2010 par rapport à 2009, les acheteurs étrangers sont rares et les Marocains sont devenus très exigeants». Selon Beck, «la faible protection juridique est à blâmer, ainsi que les demandes pour les paiements au noir qui continuent» malgré tous les discours. Au début de l'été de l'année en cours, la mesure, pourtant avalisée par la Fédération nationale des promoteurs immobiliers, d'afficher les prix, a très vite été oubliée, ne suscitant aucune réaction ni du côté des pouvoirs publics, ni du côté des banques, par exemple. La loi Vefa difficile à appliquer Car malgré la crise, les prix baissent peu sur la région. Les Européens revendent. Ils ont leurs propres problèmes financiers à résoudre à Madrid ou à Londres, et les retards de livraison ont fini par achever leur début de romance marocaine. Pour les reventes par des étrangers, les baisses peuvent atteindre 30%, selon des diplomates qui ont eu à soutenir certains de leurs concitoyens dans des transactions avec des promoteurs têtus. Pour le reste, la masse d'argent blanchi fait que la majorité des promoteurs n'ont pas besoin de baisser les prix demandés pour vendre. «À Tanger apparemment, indique Beck, les promoteurs préfèrent attendre que de baisser les prix», jugeant que la baisse viendra indirectement de la hausse de l'inflation qui a commencé à toucher l'Europe et finira par affecter l'économie marocaine dans les prochains mois. Ceci ne signifie pas, toutefois, que les ventes ont repris par un quelconque mouvement d'anticipation. Les ventes sur plan, elles, sont quasiment à l'arrêt. Le logement économique et social a permis de maintenir une certaine cadence, mais théoriquement les nouvelles règles limitent la spéculation sur ces produits promus à grands renforts de privilèges fiscaux et fonciers. Ce n'est pas le moindre des changements qui s'opère actuellement. Sur la côte de Tétouan, des acquéreurs d'appartements et de villas auprès d'un promoteur national coté en Bourse ont constaté, cet été, que les surfaces des biens pour lesquelles ils avaient versé des avances étaient inférieures à ce qui était prévu dans les compromis de vente. Des arrangements ont été proposés, pas toujours du goût des acquéreurs. Venu, il y a deux ans, pour acquérir un bien précis sur la côte méditerranéenne, le Londonien Ben a respecté les conditions de paiement du promoteur pour constater une «erreur» sur le métrage quelques mois avant la date de livraison. Des compromis de vente peu précis, des notaires complices de vendeurs sans scrupule, une loi Vefa inapplicable, constituent autant d'éléments d'insécurité pour le promoteur. Un couple de retraités français qui a voulu acquérir une villa dans le quartier de La Montagne à Tanger, après avoir pris les services d'un notaire de la place, a constaté après coup que le bien acquis devait être amputé pour permettre l'élargissement de la rue. Pourtant, ni le vendeur ni le notaire, censés faire les vérifications nécessaires n'ont rien fait remarquer d'anormal avant la signature du compromis de vente, et le versement d'une première avance. Aujourd'hui, l'affaire est devant la justice, le vendeur refusant de rendre l'avance perçu. Insécurité des acquéreurs Après les problèmes des premiers acquéreurs à Méditerranéa Saïdia, et de ceux de Paradise Golf ou d'Asilah Marina, le marché international sait à quoi s'en tenir. Sur Internet, les forums dédiés et les blogs, l'information circule. Certains services diplomatiques étrangers n'hésitent pas à mener leurs propres enquêtes. Du coup, on redécouvre que le blanchiment d'argent du kif ne s'est jamais aussi bien porté. Depuis plus de 2 ans à l'agence NREA à Tanger, les ventes ont été rares sur les projets sur plan. «Notre activité consiste, essentiellement, en des locations et nous essayons de prendre le maximum de précautions pour éviter de décevoir nos clients, principalement des étrangers qui souhaitent s'installer à Tanger, ou des cadres d'entreprises étrangères qui s'installent dans la région». Seule consolation du secteur pour l'instant, les ventes de biens pour résidence principale se portent bien. Mais là encore, hormis quelques projets qui se comptent sur le bout des doigts, les problèmes de finition et de demande de paiement au noir sont réels. Câblages sous-dimensionnés, étanchéité aléatoire, plomberie de qualité inférieure et sanitaires chinois, là où une marque espagnole ou française était prévue au départ, sont de banales surprises. De quoi créer ou susciter le désarroi et la colère dans certains ménages, mais la majorité des promoteurs font la sourde oreille. On sait que les banques ont pâti et pâtissent de cette situation de livraisons tardives qui se répercutent négativement sur les comptes des promoteurs à terme, des acquéreurs ensuite et, in fine, des banques elles-mêmes. Dans cette affaire, c'est la partie qui dispose de la trésorerie la plus faible qui souffre le premier. Ce n'est pas la banque, ni le promoteur qui gardera toujours quelques biens à éventuel usage de garantie bancaire et, donc, encore une certaine capacité d'endettement. Il y a urgence à traiter le volet des garanties juridiques du futur acquéreur immobilier si l'on ne veut pas voir le secteur du bâtiment marocain se réduire au logement social ou à quelques projets peu demandeurs de crédits bancaires.