S'achemine-t-on vers la fin de la lune de miel entre le gouvernement Benkirane et le patronat marocain, moins d'un mois après la signature du mémorandum d'entente entre les deux parties ? Il est difficile de ne pas l'envisager, au regard de la polémique qui risque d'apparaître après la sortie, hier lundi, de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), une sortie dont le lien avec l'intention des députés, tant de l'opposition que de la majorité, de proposer des amendements au gouvernement en vue de rehausser le taux de contribution des entreprises marocaines au Fonds de solidarité. Dans une déclaration qui a toutes les allures d'une véritable opération de lobbying et alors que commencent les discussions sur les amendements au niveau du Parlement, le patronat a été clair dans sa position. À l'issue des consultations internes qu'elle a menées, la CGEM a annoncé accepter le principe de la contribution exceptionnelle des entreprises à l'alimentation initiale du Fonds de cohésion sociale. La seule condition toutefois est «que la retenue soit limitée au montant convenu et appliquée en une seule fois, de manière équitable et sans altérer ni la compétitivité des entreprises, ni la confiance des investisseurs». Initialement, le projet de loi de finances a fixé un taux unique de 1,5% pour les entreprises qui génèrent un bénéfice au moins égal à 200 millions de DH. Le hic, c'est que dans leurs propositions d'amendements, les députés veulent une augmentation de ce taux. Pour les députés de la majorité, il doit être rehaussé à 2,5% pour les bénéfices de plus de 50 millions de DH. La CGEM a d'ailleurs profité de l'occasion pour décliner ses observations à propos du projet de loi actuellement au Parlement. Avis défavorable Des critiques plus que des recommandations ! C'est ce qui transparaît de la lecture de que vient d'adresser la CGEM au gouvernement. Le patronat n'est pas en effet allé avec le dos de la cuillère dans sa vision des prévisions faites par le gouvernement. Sans concessions, la CGEM a souligné regretter le fait qu'à l'issue de l'analyse de la loi de finances 2012 proposée par le gouvernement actuel, le constat qui se dresse est que «notre pays est en train de perdre une année supplémentaire, sans pouvoir mettre en œuvre des réformes dont il a tant besoin». C'est une note de pessimisme pour l'organisation patronale, qui «déplore de voir plusieurs acteurs économiques et politiques accepter, au nom du réalisme économique, la fatalité de la dépendance de notre économie aux aléas climatiques et de la conjoncture difficile que traverse l'Union européenne». Cette observation s'adresse tant à l'actuel gouvernement qu'à ses prédécesseurs et transparaît dans la déclaration publiée hier. «La CGEM tient à rappeler que l'impact de la conjoncture actuelle sur notre croissance aurait pu être insignifiant, si nos responsables politiques avaient osé les réformes nécessaires en temps opportun, lorsque la conjoncture économique était plus favorable», lit-on dans le communiqué. Plus que la conjoncture actuelle, ce sont les dispositions prévues par le gouvernement dans la loi de finances 2012 qui ont soulevé les vives critiques de la CGEM. Selon cette dernière, «les quelques mesures introduites dans cette loi de finances constituent plus une déclaration de bonnes intentions qu'une véritable réponse à nos attentes». Mohamed Horani et son équipe qui ont, toutefois, relevé une certaine volonté de rationaliser les dépenses publiques et des efforts pour la simplification de certaines procédures, ont souligné que ces mesures «restent insuffisantes pour contribuer significativement à l'amélioration des relations entre l'administration et les entreprises». Il faut dire que les griefs portés par le patronat au projet de loi sont légion et s'articulent pour l'essentiel à la non prise en compte ou au report de certaines de ses propositions. Il s'agit, entre autres, de l'absence des mesures sectorielles urgentes exprimées par les différentes fédérations pour faire face à la crise et celle «de toute mesure permettant de débloquer le système de Contrats spéciaux de formation (CSF), qui est en panne depuis plusieurs années». Ce point, selon la CGEM, constitue «son plus grand regret», surtout que le conseil d'administration de l'OFPPT avait validé à l'unanimité, en février 2010, un dispositif de réforme qui n'a pu être mis en œuvre. Même la proposition portant sur la mise en place d'un fonds d'urgence dès cette année, en attendant la réforme, n'a pas été prise en compte par le gouvernement, ce qui a exacerbé le patronat, conscient des «difficultés majeures qui grèvent considérablement la compétitivité des entreprises marocaines». Craintes à l'horizon Il y a là de quoi alimenter les craintes de l'organisation patronale sur la capacité du gouvernement à prendre en charge la problématique de l'emploi et de la compétitivité des entreprises. Autres critiques formulées par le patronat, la réforme fiscale, encore assez timide et, surtout, des mesures transversales proposées, «notamment celles qui n'ont pas d'impact sur les recettes publiques», souligne la déclaration. À titre, d'exemple, «la restructuration des entreprises familiales au moyen de sociétés holding et la refonte du système des sanctions fiscales». Cette sortie médiatique jette un froid sur le protocole d'accord signé le 6 mars dernier entre le gouvernement et la CGEM même si, pour occulter les signes d'un mauvais départ, le patronat s'est dit satisfait de la convergence des visions, en tablant sur la «nécessité d'accorder une attention particulière à la cohérence des stratégies sectorielles, à l'accélération de leur mise en œuvre, à leur complémentarité avec les plans stratégiques régionaux et à la prise en compte de la dimension territoriale dans leur conception et leur mise en place». La déclaration est tirée du projet de loi qui tombe, assurément, sous la coupe des «promesses et bonnes intentions» relevées par la CGEM. Arbitrage compliqué pour le gouvernement À moins que les deux ministres en charge de la question du Budget, Nizar Baraka et Driss Yazami, n'arrivent à trouver une solution, l'arbitrage de Benkirane sera requis afin de trancher sur la question. Nizar Baraka a tenté un première approche, vendredi dernier, sans convaincre les parlementaires, même ceux de la majorité. Or, trancher sur cette question s'annonce comme une équation des plus compliquées, voire impossible à résoudre. Accéder à la requête du patronat, c'est rejeter les propositions des parlementaires dont ceux de la majorité pour une question sur laquelle le gouvernement est très attendu et l'inverse risque de produire les mêmes effets alors que les chefs d'entreprise se plaignent déjà d'une loi de finances qui a ignoré leurs propositions, en plus de la crise.