En 2003, le ministère du Commerce extérieur et l'Asmex (l'association des exportateurs marocains) avaient lancé l'initiative de création de consortiums avec l'objectif d'améliorer la compétitivité des entreprises exportatrices, en majorité des PME. Le projet séduit. Les partenaires du pays, le gouvernement italien et l'Onudi (Organisation des Nations unies pour le développement industriel), ont en particulier apporté leur soutien au processus de création et d'accompagnement de ces consortiums. La collaboration des Italiens est, en effet, une aubaine en termes d'apport de savoir-faire, tant leur expérience en matière de gestion de consortiums fait figure de modèle. «Les Italiens sont des maîtres dans le domaine des consortiums. Ils en possèdent plus de 500 et sont capables de mobiliser 3.000 entreprises d'un coup à l'export», reconnaît Sif Ahmed, directeur exécutif de l'Asmex. Les 19 consortiums marocains dont la plupart a vu le jour à partir de 2006, ont donc à priori le soutien et le benchmark nécessaires pour réussir leur pari. Pourtant, cette promesse de succès ne semble pas s'être pleinement réalisée. Bataille du nombre Lorsqu'on demande le bilan de l'impact de la formation des consortiums sur le commerce extérieur marocain, du côté du ministère tout comme de l'Asmex, les réponses sont évasives. En fait, ce bilan n'existe pas. Ce dont on semble se réjouir aujourd'hui, c'est beaucoup plus du nombre de consortiums créés que des résultats obtenus en matière de dynamisme à l'export grâce à l'introduction du concept même de «consortium». Sif Ahmed, dira d'ailleurs à ce propos, qu'au démarrage de l'initiative, à l'Asmex on n'espérait pas atteindre le nombre de 19 consortiums si tôt. Quoiqu'il n'y ait pas de bilan établi en bonne et due forme, le directeur exécutif de l'Asmex estime, pourtant, que les consortiums ont permis aux entreprises adhérentes de collaborer et de partager leurs expériences. Ce qui, explique-t-il, leur a permis d'avoir un pouvoir de négociation plus important en matière de sourcing et d'exportation, et de réaliser des économies d'échelle. Le point de vue de Zahra Maafiri, directrice de la politique commerciale extérieure au ministère va dans le même sens. Pour elle aussi, le fait d'avoir créé 19 consortiums est en soi un exploit et le projet a réussi car ils bénéficient de divers appuis. En réalité, si une évaluation de l'impact des consortiums n'a pas pu être dressée jusque-là, c'est qu'il existe des raisons objectives qui expliquent cette situation. Blocages La difficulté résulte en grande partie de l'esprit dans lequel ces consortiums ont été constitués. Le constat est que l'ancrage du concept n'est pas aussi manifeste qu'on pourrait le croire. Sur le plan sectoriel, les consortiums sont essentiellement concentrés sur quatre secteurs (le textile, l'agro-alimentaire, le bâtiment et le tourisme), et la plupart des métiers mondiaux du Maroc qui sont appelés à être les fers de lance de l'export (composants Automobiles, TIC, Ingénierie, etc.) ne sont pas encore organisés en consortium. Aussi, au niveau numérique, la majorité des consortiums ne réunissent pas plus de quatre entreprises. Selon Zahra Maafiri, l'explication vient du fait que c'est le potentiel lui-même qui est faible, car le Maroc ne compte aujourd'hui que 500 entreprises régulièrement exportatrices. Une explication qui se tient, mais il y a bien d'autres raisons inavouées. Jusque-là, les entreprises constituées en consortiums ont surtout joué la carte de la complémentarité de leurs offres et des affinités qui existent entre leurs dirigeants. Le témoignage de Mohamed Marrakchi, président du consortium Milad, est édifiant sur ce point. «Au niveau de notre consortium, nous avons beaucoup de demandes d'adhésion, mais nous restons sélectifs». Pour Marrakchi, la raison est simple : «même si être en consortium procure des avantages, je n'accepte pas d'être en association avec une entreprise qui puisse commettre une erreur qui puisse me coûter chère», souligne-t-il. Marrakchi explique, par ailleurs, que pour éviter ce risque, leur consortium a mis en place des critères d'adhésion clairs et dispose d'un comité interne de sélection pour les faire respecter. Ces critères portent sur les bonnes mœurs des dirigeants de l'entreprise adhérente, la sécurité et le respect des engagements pris vis-à-vis du consortium et des clients, l'abstention à toute forme de concurrence avec les autres membres du consortium. Une autre raison est avancée pour expliquer les formes de sélectivité qui existent au sein des consortiums. Il s'agit de la difficulté à coordonner l'activité et à s'entendre sur les priorités. La plupart des responsables de consortiums expliquent que, même étant en nombre réduit, les membres émettent tellement d'idées et de propositions qu'il est parfois difficile de sélectionner les bonnes pour avancer rapidement. Soutien mitigé Cependant, malgré les précautions prises (sélectivité et affinité), la dynamique de mutualisation des efforts et des ressources que doivent générer les consortiums est encore légère. Dans la plupart des cas, les entreprises membres ne se mettent ensemble que pour réaliser des actions promotionnelles (participation aux Salons et foires, etc.) et de prospection à l'étranger. Sur tous les autres aspects liés à leur conquête des marchés extérieurs, les entreprises préfèrent faire cavalier seul. De ce fait, comme l'indique Adil Seffar, responsable du consortium Odyssée, même au sein du consortium aucun membre ne sait ce que réalise l'autre. Or, l'atout stratégique que devrait fournir la constitution en consortium, c'est surtout de permettre aux membres de mutualiser le plus grand nombre de coûts, notamment ceux liés à la logistique et aux achats. Cela serait plus avantageux lorsque le consortium compte un grand nombre d'adhérents. La négligence de cet aspect a été régulièrement évoquée comme frein à la compétitivité des entreprises marocaines à l'export. En juin 2007, lors des assises de l'export, Abdellatif Bel Madani, ex-président de l'Asmex, tirait la sonnette d'alarme sur ce volet en expliquant que le fait d'avoir des coûts logistiques avoisinant 20% du montant de la facture, lorsque pour d'autres pays, ils sont inférieurs de moitié au moins, est une véritable entrave. Toutefois, selon les responsables des consortiums, ce n'est pas seulement l'effet numérique qui freine le développement du concept, mais l'insuffisance de l'appui y est aussi pour beaucoup. «L'aide et les appuis existent théoriquement mais pour les débloquer, c'est un parcours de combattant», expliquent-ils. Ce handicap semble être admis tant du côté du ministère de tutelle que de l'Asmex, car les deux entités ont, en effet, souligné, que leur nouveau défi était justement d'améliorer la situation des consortiums créés tout en continuant à inciter les entreprises à rallier les rangs de celles qui ont franchi le pas.