L'affaire avait défrayé la chronique. Il y a quelques jours, le ministre de l'Equipement et des transports, Abdelaziz Rabbah, a publié la liste des détenteurs d'agréments de transport. Une liste de plusieurs dizaines centaines de pages que n'importe qui a la possibilité de consulter d'un simple clic. Dans une démocratie normale, cela aurait été un fait anodin comme tant d'autres principes propres à un état de droit sauf qu'au Maroc, cela relève d'un tout autre symbole. La chose était impensable, il y ‘avait un an et même si elle relève d'une promesse électorale faite par le Parti pour la justice et le développement, a été lourde de signification au sein de l'opinion publique nationale. En un an qu'est ce qui a changé, donc, au Maroc serait-on tenté de se demander. La réponse, évidemment, la nouvelle Constitution qui impose plus de transparence et d'intégrité dans la gestion des affaires de l'Etat et un gouvernement, responsable du programme pour lequel il a été élu par le peuple. Une nouvelle Constitution adoptée par référendum le 1e juillet dernier et qui dont l'acte fondateur commémore en ce 9 mars 2012, son premier anniversaire. C'est, en effet, ce jour que le roi Mohammed VI s'est solennellement adressé à la nation pour décliner les contours d'une nouvelle ère pour le Maroc, celle de la démocratie avec toutes les conséquences que cela suppose. Une réponse directe «à la rue» selon certains qui s'appuient sur le vent de révolte qui a soufflé dans la région et qui a eu quelques échos au Maroc et pour d'autres, une consécration du processus de réformes démocratiques lancées depuis deux décennies au Maroc et qui a connu un nouveau virage avec l'avènement de Mohammed VI sur le trône. Dans un cas comme dans l'autre, la conjugaison de ces facteurs ont permis au Maroc de se démarquer des douloureuses expériences constatées dans d'autres pays voisins, à un tel point que certains milieux officiels ont vu les manifestations d'une «exception marocaine». C'est, en cela que le discours royal du 9 mars s'est constitué une place de choix dans l'histoire du Maroc, puisque la réponse royale a permis au pays de s'épargner une transition délicate et assez riche d'incertitudes comme le monde en est témoin aujourd'hui avec ce qui se passe chez nos voisins. Bilan d'étape Il va sans dire qu'un an, c'est assez insignifiant pour dresser le bilan du processus lancé. La transition démocratique est, en effet, une œuvre de longue haleine qui nécessite un travail de balisage pour que la mayonnaise puisse effectivement prendre. Il y a eu certes une nouvelle Constitution qui a inauguré une nouvelle ère démocratique au Maroc, des élections législatives anticipées qui ont vu l'arrivée du PJD à la tête du nouveau gouvernement et tout aussi nouveau Parlement qui reflète, pour l'essentiel, la configuration politique du pays. Une première étape réussie donc au regard de ce qui a été fait mais pas assez au regard de ce qui reste à faire, surtout si l'on revient sur l'esprit du discours du 9 mars 2011. «La démocratie, ce n'est pas, que des élections», disent les grands hommes politiques. On serait tenté d'ajouter, que «mais c'est, d'abord les élections». C'est, d'ailleurs, en ce sens que la première étape du processus a été, dans l'ensemble, une étape. Reste à maintenir la dynamique comme le rappellent, certains observateurs, pour qui beaucoup reste encore à faire sur le chemin de la démocratie. Le souverain n'a pas, d'ailleurs, manqué de le rappeler à l'occasion de la réception du texte constitutionnel qui allait suivre. Dans son message à la nation du 17 juin 2011, le souverain avait souligné que «toute Constitution, aussi parfaite qu'elle puisse être, n'est ni une fin en soi, ni même le terme d'un parcours. Elle constitue plutôt une base solide pour un nouveau pacte constitutionnel marquant la volonté d'aller de l'avant dans la mise en place d'institutions efficientes et crédibles, en vue de la consolidation de l'Etat de droit et des droits de l'Homme, de la bonne gouvernance et du développement». C'est ça reste qui reste à faire, et au plus vite. La concrétisation dans les faits des innovations majeures annoncés dans la nouvelle constitution que le peuple a largement approuvé afin que les retombées de cette avancée démocratique, reconnu même à l'international, soient profitables à tous les citoyens marocains. Le parachèvement de l'effort de construction démocratique à travers la mise en place des institutions chargées de maintenir la dynamique démocratique, l'adoption des lois organiques prévues par la loi fondamentale et enfin le vaste chantier de la régionalisation s'imposent comme priorités pour les nouveaux maitre du jeu du processus. Une étape tout aussi cruciale qui nécessite une mobilisation collective pour garder en vue l'objectif final, celui d'un nouveau Maroc, moderne et démocratique, dont l'expérience fait, désormais, école dans la région. Le match est loin d'être gagné comme le souligne Najib Mouhtadi, expert en sciences politiques pour qui «il faut se garder de tomber dans le narcissisme et envisager l'avenir avec beaucoup de détermination pour rattraper le retard. Il existe encore des risques sérieux qui menacent le parcours politique et social à la lumière des trajectoires contradictoires et problématiques de ce qu'il a été convenu d'appeler le Printemps arabe». Pour le moment, le Maroc a fait sa révolution, autrement certes, mais qui lui impose une obligation de résultat : celle de réussir. Régionalisation, le chantier de règne Le roi Mohammed VI a fait de cet ambitieux projet, un chantier de règne. C'est d'ailleurs ce qui a justifié l'avènement d'une nouvelle Constitution, avant que le printemps arabe ne vienne bousculer le chantier de réformes initiées sous le règne du souverain. Force est de constater que certaines priorités ont été occultées par le nouveau gouvernement à qui incombe, désormais, le soin de porter le projet. Benkirane n'en a fait que brièvement cas, lors de sa déclaration de politique générale, alors qu'en principe, les élections locales devraient intervenir en principe cette année. La concrétisation de ce vieux chantier, fort porteur d'enjeux, nécessite une longue préparation, qui impose aux autorités de s'y atteler au plus vite, surtout que depuis que la commission consultative sur la régionalisation a rendu sa copie, l'agenda politique semble ignorer cette question d'intérêt national. «Nous estimons que le Maroc, au vu des progrès réalisés en matière de démocratie, est apte à entamer la consécration constitutionnelle de la régionalisation avancée», avait dit le roi, il y a juste un an. Institutions constitutionnelles, un processus inachevé Le processus de réformes politiques engagées avec les réformes constitutionnelles reste encore inachevé. Outre le gouvernement et le Parlement, la nouvelle Constitution qui a repris pour l'essentiel l'esprit du discours du 9 mars 2011, a consacré la constitutionnalisation d'une dizaine d'institutions, à qui incombera la lourde responsabilité de servir de relais, d'encadrement et de contre-pouvoir à l'Exécutif. Si certaines n'ont besoin que d'un lifting pour se conformer à la nouvelle architecture institutionnelle du pays, comme la médiature (Al Wassit), le CCMA, le CES, le CNE, la HACA, le Conseil de la concurrence ou le CNDH, d'autres nécessitent tout une procédure avant qu'il ne commence à exercer leurs attributions, non encore définies. Il s'agit entre autres du Conseil supérieur de la magistrature, du Conseil de la jeunesse et de l'action associative, entre autres. Ces institutions devraient servir de garantie à la promotion de la bonne gouvernance, de la consécration de l'Etat de droit et de la promotion de la transparence et de l'intégrité dans la gestion des affaires publiques. Le souverain a expressément mis en garde, à ce niveau, en soulignant que «ces institutions, quelle qu'en soit l'efficacité, risquent de demeurer purement formelles, tant que leur action ne produira pas ses effets sur la Nation, en termes de préservation de sa souveraineté, de sa sécurité et de son unité, et en matière de développement et de progrès, et tant qu'elle n'aura pas d'impact sur les citoyens, en leur assurant liberté, égalité, dignité et justice sociale». Lois organiques, le temps de la concertation La Constitution, on le sait, c'est avant tout un texte et évidemment, un esprit. Outre les 180 articles qui y sont contenus, la loi fondamentale a prévu une batterie de lois organiques sans l'adoption desquelles, certaines dispositions constitutionnelles resteraient lettre morte. Loi organique sur la régionalisation, sur le droit de grève ou sur la loi de finances, elles sont au total 19 qui viendront donner une âme à la Constitution. Pour le moment, moins d'une dizaine ont été, effectivement adoptées ou mises dans le circuit législatif, la plupart à caractère politique, dont deux l'ont été bien avant l'arrivée du nouveau gouvernement, qui s'est contenté de quelques aménagements, notamment pour celle en rapport avec sa prise de fonction. Il s'agit de la loi relative aux partis politiques et à la Chambre des représentants. Cette lacune autour du cadre légal et réglementaire justifie en grande partie, l'attentisme qui prévaut dans la mise en place de certaines institutions constitutionnelles. Dixit... « Nous avons une nouvelle Constitution qui consacre de nombreux éléments faisant du Maroc une belle exception dans le monde arabe. Il n'y a pas eu de printemps arabe dans notre pays et je ne pense pas qu'on puisse faire la comparaison avec nos voisins qui ont connu, eux, de véritables révolutions. Nous avons réussi à faire avancer le processus démocratique sans heurts et nous devons nous en féliciter. L'heure est maintenant au travail, auquel nous devons nous atteler ensemble ». Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement « Un an après le discours royal et après la réforme constitutionnelle apportant un nouvel élan à la démocratie marocaine, l'actuel gouvernement se doit d'appliquer cette Constitution, notamment par la mise en place de lois organiques et nous veillerons en tant qu'opposition au respect de la Constitution. Le chemin vers la démocratie est un chemin infini, nous sommes toujours à la recherche de plus d'évolution. La démocratie marocaine n'a rien à voir avec la démocratie française, qui à son tour n'a rien à voir avec celle britannique ou indienne. Nous vivons depuis 12 ans maintenant une évolution constante vers plus de démocratie et plus de liberté, il faut continuer sur ce chemin et avec l'aide de toutes les composantes qu'elles soient politiques, syndicales ou associatives. Il faut aujourd'hui aller vers une construction morale et politique qui vise l'égalité des droits et la solidarité collective, tout en insistant sur la nécessité de réformer le chantier de l'éducation ». Mehdi Bensaid, Député du PAM