Il est important pour une société d'avoir des intellectuels à son service, et il est nécessaire de le rappeler, même si cela relèverait du truisme pour quelques uns. Malheureusement, l'intelligentsia marocaine, ou ce qu'on pourrait désigner comme telle, semble éloignée de la réalité des Marocains au détriment de paradigmes, voire d'intérêts divers. Ce n'est pas le cas de Youssef Belal, professeur universitaire et chercheur en sciences politiques. Son dernier livre, Le «Cheikh et le calife, sociologie religieuse de l'islam politique au Maroc», remet en cause l'analyse néo-orientaliste des mouvements dits «islamistes» et initie une nouvelle approche dans l'étude du religieux et du politique dans l'islam contemporain. Le politologue a présenté son livre, mardi dernier, au café littéraire de l'USM. Il s'interroge dans cet ouvrage sur la place du religieux islamique dans la société civile marocaine et apporte des éléments de réponse à travers une enquête de terrain menée auprès des deux principaux mouvements islamiques marocains : La Jamaâ et le Mouvement pour l'unicité et la réforme, plateforme idélogique du PJD.Structurée en cinq chapitres, son étude inscrit l'analyse de l'islam marocain dans le contexte de l'histoire coloniale du pays (chapitre 1), étudie les liens entre monarchie et symbolique religieuse (chapitre 2), la mystique soufie (chapitre 3), la prédication réformiste des acteurs musulmans (chapitre 4), et les tensions entre forces politiques et symboliques (monarchie, mouvements islamiques) dans l'espace public (chapitre 5). Ce qui est intéressant dans cette étude, qui fait passer des mouvements théologico-politiques au laboratoire des sciences sociales, c'est le constat qu'elle met sur la table : l'islam contribue à la rationalisation et à la sécularisation de la société marocaine, qui est en train d'intégrer la modernité de plain-pied. Pour argumenter, l'auteur s'appuie sur la sociologie wébérienne, mais aussi sur les références mystiques, religieuses et historiques du Maroc. Ce livre, loin d'être une diatribe contre ce qu'on a pris l'habitude d'appeler «l'islamisme montant», reste une analyse objective et prospective qui a pour but d'éclairer le lecteur, sans parti pris. L'auteur qui - rappelons le - est aussi membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS), relève à travers cette étude le vide idéologique de la gauche actuelle, qui semble écartée du champ de l'action. Entre le progrès avec un grand P et le mythe de l'éternel retour... la conception historique de l'auteur semble pencher pour le second. Son souci, cela dit, demeure la démocratisation réelle du champ politique du Maroc et les réformes sociales.