La Biennale de Rabat est aussi plurielle que pluridisciplinaire. Mais elle se veut surtout un rappel des moments qui ont marqué, comme les images d'un concert mythique à Rabat d'Oum Keltoum, qui ouvre une biennale baptisée «Un instant avant le monde». En 1968, Oum Keltoum, diva de la chanson arabe, se produisait à Rabat pour trois dates qui ont, sûrement, été des instants à jamais gravés dans les mémoires de plusieurs Marocains. Cela l'a été pour Abdelkader Damani, qui a été marqué par ce concert où le thème de la biennale a puisé tout son sens. «En 1968, nous écoutions Oum Keltoum à Rabat, où elle s'est produite devant un public en délire, en admiration devant son œuvre. Souvenons-nous de cette folie à sacraliser l'œuvre à tout prix», rappelle le commissaire de l'évènement. «Nazrah» ou ce regard sur un monde Son monde c'était son public, qu'elle a hypnotisé. Les anciens se rappellent, ils n'ont jamais oublié ce moment. Que ce soit en live, à la radio ou à la télévision les Marocains ont vécu le concert d'Oum Keltoum comme un moment inoubliable. Et la biennale tenait à le rappeler. Avec un simple mot qu'elle décline tout en nuance avec une voix aux multiples possibilités, la Grande Dame de la chanson arabe avait envoûté l'audience avec un «mawal» de plusieurs minutes sur «Houwa Sahih». Elle joue avec son public et elle en est émue puisqu'elle avouera par la suite que son concert a été un des moments les plus émouvants de sa carrière. Elle qui suscitait les réactions les plus étranges et les plus habitées de son public en extase, notamment lors de ce concert mythique à l'Olympia, Oum Keltoum n'avait jamais oublié ces dates du 16, 17 et 18 mars 1968. «Les Marocains aiment beaucoup la chanson de Robaiîyate Al Khayyam. Les Marocains ont la musique dans les veines. Chaque fois que j'ajoute quelque chose de nouveau dans une chanson, ils le reconnaissent très vite. Le peuple marocain est un peuple d'artistes. Il réagit à la musique avec une sensibilité hors du commun. C'est peut-être le public le plus réactif à la musique que j'ai eu à voir», confiait la diva à la presse égyptienne. Pourtant, à l'époque, le concert était accessible aux plus chanceux et aux plus fortunés. Les Marocains se regroupaient chez les voisins qui avaient une radio pour écouter le concert le plus important de l'époque, en direct. «Cet évènement a fédéré les Marocains autour de la musique, à ce moment plus rien ne comptait, seule la magie de l'instant». Celle qui devait faire deux dates, en a offert une troisième à un public amoureux. Selon les témoignages, la diva était allée à la rencontre du Maroc, de ses villes impériales, où souvent le public la reconnaissait même cachée dans sa voiture. L'œuvre de la Grande Dame est certes éternel. Il était d'une belle intensité en 1968, il l'est encore et toujours en ce septembre 2019, en ouverture de la première Biennale de Rabat, où l'importance de la création artistique est célébrée. Comment ne pas évoquer l'Astre d'Orient, qui continue à briller de mille feux…