Ils redoutent la perte du monopole de la mesure de l'acuité visuelle, sur une pression des opticiens qu'ils assimilent à un «lobbying de l'industrie du verre». Alors que l'article 6 de la loi 45-13 relative à l'exercice des professions de rééducation, de réadaptation et de réhabilitation fonctionnelle a été amendé le 4 juin 2019, donnant l'exclusivité de la prescription optique aux ophtalmologues, ces derniers redoutent néanmoins un retour à la case départ. Regroupés au sein du Syndicat national des ophtalmologistes libéraux du Maroc (SNOLM), ils ont exprimé, le 24 juin à Casablanca, leur «appui à la version actuelle du texte» et appellent les parlementaires «à ne pas céder aux pressions du lobby de l'industrie du verre qui poussent vers un retour à la version initiale de cet article 6, ayant octroyé à tort aux opticiens le droit de pratiquer la réfraction (mesure de la vue) et l'adaptation en lentilles de contact, tout en vendant des lunettes et des lentilles de contact aux patients». Il s'agit en réalité d'une réponse à la mobilisation des opticiens qui se sont regroupés depuis le début du moi de juin, expliquant que cette nouvelle version de l'article 6 les prive du droit d'exercer la mesure de l'acuité visuelle pour la correction réfractive. Selon cette disposition, l'opticien-lunetier ne délivre aucun dispositif médical d'optique sans prescription médicale dans certains cas. Il s'agit notamment des sujets de moins de 16 ans, l'acuité visuelle inférieure ou égale à 6/10 après correction, les amétropies fortes et presbyties en discordance avec l'âge. Selon eux, le Dahir du 4 octobre 1954 réglementant l'exercice de la profession d'opticien-lunetier, notamment dans son article 5, leur ouvre la possibilité de procéder à la mesure de l'acuité visuelle. Pour les ophtalmologues, il s'agit au contraire d'un exercice illégal de leur profession car l'article 5 en question «ne cite à aucun moment un quelconque droit à l'examen de la vue des patients, bien au contraire, il vient confirmer la nécessité de ne travailler que sur ordonnances, et les exceptions citées concernent le renouvellement de lunettes sur la base d'anciennes prescriptions médicales et non pas la mesure de nouvelles corrections optiques par l'opticien, ce qui vient renforcer cette recommandation du texte, c'est le fait qu'il dit clairement et sans équivoque, que la seule méthode autorisée pour l'opticien lunetier est la méthode subjective et non pas objective». Absence d'optométrie Pour justifier la sauvegarde de leur pré-carré, le syndicat des ophtalmologues revendique une supériorité en matière de formation académique. «Pour devenir médecin-ophtalmologue, le médecin suit 7 années de formation en tant que médecin et 5 années de spécialité en ophtalmologie avec résidanat durant cette période à l'hôpital, au contact des patients et encadrés par des professeurs émérites. C'est aux termes de ce long parcours de 13 ans que le médecin- ophtalmologiste est autorisé à ouvrir son cabinet et à exercer, à devenir membre de l'Ordre des médecins et à être habilité à pratiquer des actes médicaux dont la réfraction. Pour devenir opticien-lunetier, la personne suit une formation de 3 années, sanctionnées par un diplôme, délivré par l'OFPPT ou une école privée, lui permettant, après autorisation de l'Etat, d'ouvrir un magasin d'optique avec registre de commerce. Au regard de la loi, il s'agit d'un commerçant». Ainsi, le rôle de ces derniers serait d'exécuter les ordonnances optiques et non d'accomplir les actes de diagnostic et de correction de la vue des patients, d'après la même source. Audelà de l'aspect pédant de l'argument, il s'agit surtout de définir les risques pour les patients. En effet, un patient qui se présenterait dans un magasin d'optique pour une baisse de son acuité visuelle, et qui y serait équipé en lunettes sans jamais voir un ophtalmologue, ne serait pas en conséquence dépisté pour des maladies graves pouvant être silencieuses, avec même une vision parfaite. «On peut citer par exemple le glaucome, la rétinopathie diabétique, la DMLA, les oedèmes papillaires secondaires à des tumeurs cérébrales, les déchirures et décollements de rétine, les tumeurs oculaires, les uvéites, les kératocônes, etc. Autant de pathologies qui évoluent à bas bruit et qui peuvent s'accompagner parfois pendant de longues années d'une acuité visuelle à 10/10 même (cas du glaucome avec vision tubulaire) pour après rapidement chuter et être à l'origine d'une mal-vision profonde ou une cécité irréversible».