Nicolas Bedos. Cinéaste, comédien, écrivain Avec «La belle époque», Nicolas Bedos signe un film d'une humanité rare. Rencontre avec une plume du cinéma français. D'où vient cette nostalgie d'un passé que vous n'avez jamais connu ? Je m'inspire beaucoup de mes proches, de ma famille, de moi. Je ne fais pas un cinéma autobiographique, je fais un cinéma condensé d'autobiographies multiples et variées. Ce n'est pas forcément mon père ou mon meilleur ami mais je me balade partout. Et cela fait longtemps maintenant que je sens un vertige générationnel. Un petit vertige qui concerne aussi bien ma génération que celle de mes parents. Ça va vite ! On est plutôt des progressistes pourtant. Je vois des gens qui était enclin au progrès, se retrouver dans des discours de vieux cons. Je suis entouré de littéraires qui sont effrayés de la disparition progressive du format papier. J'ai des goûts artistiques musicaux qui renvoient aux années 50, 60, 70. Même 80. Je suis un tout petit parfois étranger à mon époque. J'aurai eu la nostalgie des années 60 si je les avais vécues. Peut-être pas des années 40 parce que ce n'était pas gai ! (Rires). Les années 30 où il y eu le surréalisme, le jazz, les Américains à Paris… Plus qu'une époque, c'est l'histoire d'une année de rencontres où revivre les moments heureux… Oui. C'est un homme qui voulait retrouver une époque flatteuse pour lui. Il était plus beau, plus jeune où la femme qui l'aime l'aimait davantage ou du moins a-t-il ce sentiment. Je suis littéralement obnubilé par la peur pathologique du désamour. Ça me fait peur. J'ai peur de désaimer, ça m'est arrivé. Et d'être désaimé. Ça m'est arrivé aussi ! De cette désintégration du souvenir, des sentiments, dans certains couples. C'est assez classique mais moi j'en ai fait une obsession qui se balade dans ces deux films. C'est vrai. Les premiers moments, les premiers amours. Je tends parfois à vouloir les retrouver. Et ça me rend très fatiguant d'ailleurs. Quand j'aime, j'aime pour toujours. Quels sont vos rapports avec Guillaume Canet sur un tournage ? C'est un peu moi et c'est un peu lui. Il s'est inspiré de moi mais il y a mis du sien. On n'a pas le même rapport avec notre équipe. On a des défauts qui ne sont pas les mêmes. L'impatience par exemple. Je le sais parce qu'on partage la même script. En plus il y a ce rapport avec l'actrice, joué par Doria Tellier, qui est mon ex-compagne. Cela crée une mise en abyme assez tordue qui n'est pas pour me déplaire. Pourquoi avoir choisi de ne pas jouer dans ce film ? Je trouvais que le scénario était autofictionnel, que je craignais que cela fasse un peu pléonasme. Un peu mégalo même. Jouer le metteur en scène dans mon film que je mets en scène, c'est un peu trop. Je n'ai rien contre l'ambition et je ne suis pas obnubilé par le regard des autres mais mes producteurs m'ont dit : dangereux ! Et vous savez, en France, on reconnaît la légitimité d'un travail que lorsque les gens se concentrent sur une seule étiquette. Une fonction. Je ne voulais pas qu'il y ait de malentendu sur ma passion de la mise en scène. C'était une façon de dire : voilà je me concentre, je m'efface. Cela m'a permis d'être plus proche de mon équipe technique puisque, sur le film précédent, j'étais pris par autre chose. Je donnais des instructions très vite. Là, j'étais complètement avec eux. Est-ce que c'est plus facile ou plus difficile de jouer avec des gens qu'on connaît ? Les deux. Avec Guillaume, je pense que l'on s'est beaucoup amusés tous les deux, lui en jouant, moi en écrivant, à ironiser sur nos éclats de voix. Je ne vais pas rentrer dans la tête de mes acteurs, je pense que Guillaume a dû vivre des choses rock'n'roll sur plateau avec Marion sans faire de jeu de mot ! Je n'ai jamais parlé à Doria comme ça sur un plateau. Je ne hurle pas sur les acteurs. C'est une hyperbole de ce qui s'est passé. Dans le film, c'est une métaphore. C'était important pour moi de m'excuser de beaucoup de choses. Comme cette scène dans la baignoire où elle lui reproche de ne jamais être satisfait. Quand on connaît très bien quelqu'un, on est dans une insatisfaction supérieure à celle d'un réalisateur qui la découvrirait. Quand on partage des moments de vie et qu'en plus on travaille ensemble, on voudrait revoir reproduire ce sourire que l'on connaît par coeur. C'est très bien de jouer avec des comédiens que l'on connaît, on les pousse dans leurs retranchements, on connaît l'étendue de leur talent et en même temps, c'est très dur pour eux parce qu'on est plus exigeants. Le choix des acteurs était une évidence ? Oui, pour quelques-uns. Doria et Fanny, à l'écriture. J'ai écrit les rôles pour elles. Je voulais vraiment faire un film avec Fanny Ardant. Guillaume Canet et Daniel Auteuil, c'est venu très vite aussi. Je suis très sensible au fait qu'on m'aime bien et qu'on ait envie de travailler avec moi. Je trouve que cela fait gagner un temps fou sur un plateau. Un acteur qui a de l'estime pour un réalisateur ne va pas remettre en question tous ses conseils, toutes les directions qu'il va prendre. Parce qu'il les a souhaités. À la sortie de «M. et Mme Adelman», Guillaume a manifesté l'envie de travailler avec moi. Et comme il est excellent. Cela m'a paru très vite logique. Et Auteuil, c'était lui également. Pour plusieurs raisons : mélancolie, possibilité de drôlerie. Il a une fragilité et une douceur, qui a cette jeunesse retrouvée. Il l'a vécue intensément sur le plateau. Tout le monde s'est reconnu dans le film, tout le monde s'en est emparé. Fanny a été totalement dépassée par la scène finale, elle y a mis beaucoup d'elle, de souvenirs, de douleur personnelle. Pour quelqu'un qui aime que la vie se mélange à l'art, ce projet est magnifique pour moi !