La CIMR (Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite) fête son soixantième anniversaire. Elle a atteint l'âge légal de la retraite et, pourtant, elle est en pleine forme et rassure sur sa pérennité. Pour souffler la 60e bougie de la Caisse, Khalid Cheddadi, PDG, invite aujourd'hui des professionnels et des spécialistes de la retraite et de l'assurance pour échanger leurs idées et leur savoir-faire et plancher une nouvelle fois sur la réforme de la retraite et sur la pérennité des caisses de retraite. De grands rendez-vous attendent notre retraite à partir de ce mois de décembre et jusqu'en 2011, nouvelle échéance fixée pour le lancement de la réforme des caisses de retraite. Le cabinet Actuaria, chargé par la Commission technique de réaliser un diagnostic des régimes de retraite au Maroc et de soumettre ses recommandations sur les pistes à adopter pour le régime cible, doit livrer sa copie fin décembre. Une fois la piste définitive retenue par la commission technique, celle-ci formulera ses propositions à la commission nationale chargée du suivi de la réforme qui tranchera. C'est, du moins, ce qui est prévu par le calendrier officiel des travaux. Les études menées par le cabinet Actuaria se sont basées, au départ, sur le travail effectué par la commission technique relevant de la DAPS (Direction des assurances et de la prévoyance sociale) depuis 2003. Mais, à la CIMR, on se refuse à attendre fatalement les résultats définitifs pour lancer les chantiers de la réforme. Difficile consensus ! Le travail a commencé depuis plusieurs années déjà et les objectifs fixés en 2003 ont été atteints. C'est le message que Cheddadi et ses collaborateurs véhiculent depuis le début de l'année. « Le régime se porte bien, il est parfaitement équilibré et toutes les prévisions établies au moment du lancement de la réforme sont réalisées », répètent-ils à qui veut bien les entendre pour dissiper tous les doutes et les interrogations qui ont suivi le débat sur l'avenir de la CIMR après la réforme. Les scénarios proposés étant orientés en majorité vers la fusion de la caisse avec une de ses sœurs aînées la CNSS ou la CMR, cela avait suscité un grand débat et beaucoup d'angoisses de la part des affiliés de la caisse. L'autre scénario, beaucoup plus encourageant pour la CIMR, mais pour lequel elle devra au préalable montrer patte blanche, est celui de son maintien en tant qu'organisme autonome et sa mutation en régime obligatoire. Les premières indiscrétions sur les conclusions de l'étude d'Actuaria font état d'une bonne santé de la CIMR. Le régime de retraite complémentaire aurait été reconnu pérenne et garanti jusqu'en 2060. Certes, lorsque cette information avait circulé il y a quelques mois, le top management de la caisse s'était refusé à tout commentaire, mais cela n'a pas manqué de lui mettre du baume au cœur. C'est d'un pas plus assuré que le PDG a pris donc son bâton de pèlerin pour ouvrir le débat. Mais la situation est loin d'être maîtrisée. La réforme de la retraite a déjà pris beaucoup de retard et même si le cabinet en charge du dossier crache enfin l'os en ce mois de décembre, il faudra au moins une douzaine de mois à la commission technique pour étudier les recommandations, vérifier, recalculer... avant de trancher et ne garder que les pistes plausibles à soumettre à la commission nationale. Et rebelote. Une question de priorité La sensibilité sociale et politique du dossier fait dire aux observateurs et aux syndicalistes que la partie est loin d'être gagnée et que, même l'échéance 2011 fixée pour la mise en œuvre de ce grand chantier, est remise en question. Plusieurs voix s'élèvent ainsi pour dénoncer le laisser-aller du gouvernement actuel et tirer la sonnette d'alarme quant à la tournure que prennent les choses et la nonchalance avec laquelle l'avenir des retraités est considéré. Les choses sont un peu plus corsées pour Abbas El Fassi. Contrairement à son prédécesseur, qui n'avait pas la contrainte de la couleur politique, le Premier ministre actuel doit jongler entre les priorités et le politiquement correct. Driss Jettou avait déclaré la réforme de la retraite comme une des priorités de son mandat, mais avait été pris de court par les délais et la durée des négociations. Pour faire joli, El Fassi a promis de finir le travail, mais a omis de dire dans quels délais et à quelle cadence, de peur de «se mouiller». Dans sa déclaration devant le Parlement au lendemain de son investiture, le chef du gouvernement s'était contenté de promettre «la poursuite du processus de réforme du régime de retraite de manière à assurer sa pérennité et à renforcer les équilibres démographiques et financiers qui en découlent, tout en accordant une importance particulière aux pensions minimum en vue d'améliorer le pouvoir d'achat des retraités et de garantir leur dignité». Sauf que, c'est une déclaration généraliste rabâchée depuis bientôt 6 ans ! «Certes, pour un observateur externe, une telle durée peut paraître très longue, mais l'approche choisie est une approche qui associe toutes les parties concernées en vue de trouver un consensus. Tout le monde doit être impliqué, car c'est un projet de société d'une grande importance», souligne Mohamed Larbi Nouha, directeur du pôle prévoyance à la CDG (Caisse de dépôt et de gestion). Il tient, néanmoins, à préciser qu'«il ne s'agit pas d'un simple ajustement technique pour équilibrer les régimes. La réforme doit s'inscrire dans un projet global, qui concerne la composante sociale». Et le financement ? Auprès de la commission technique, le même ton rassurant est adopté. La bonne nouvelle, c'est que les délais seront tenus. «L'urgence est signalée et toutes les parties prenantes sont sensibilisées pour réduire les délais au maximum au niveau des préalables», affirme Nouha. Autrement dit, 2010 sera une année décisive pour la réforme. Il est un peu tôt pour avancer les résultats de l'étude, mais ce qui est sûr, c'est que les trois scénarios présentés initialement par la commission technique sont pris en considération, de même que la recherche d'un système cible. «Il faut savoir que la priorité est à l'élargissement de la couverture sociale et l'assainissement des situations financières des caisses, notamment la CMR», note Nouha. Ce qui nous amène à la problématique du financement de cette réforme et de cet assainissement. Et c'est là que le cabinet peut apporter un plus. Toute proposition en matière de couverture ou d'ajustement des paramètres est la bienvenue pour alimenter le débat national sur la réforme de la retraite. «Un système ne peut réussir que s'il est crédible et cela est en grande partie tributaire du système de financement retenu », déclare le directeur de pôle prévoyance de la CDG. L'exercice est certes difficile, mais l'enjeu en vaut la chandelle. Croisons les doigts par contre pour que les syndicats ne reviennent pas à la charge à la dernière minute pour renvoyer le projet de réforme à la case départ. La CIMR en chiffres La CIMR est une caisse de retraite, possédant le statut d ́association à but non lucratif, qui gère les cotisations de plus de 460 000 salariés du secteur privé et sert des pensions de retraite à près de 118 500 retraités et ayants droit. Créée en 1949, la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites a été la première caisse destinée au secteur privé. Sa mission est de gérer un régime de retraite complémentaire pérenne et équilibré. Pour cela, sa gestion répond aux exigences de performance et de transparence vis-à-vis des affiliés et des adhérents. Et c'est la raison pour laquelle la caisse a mis en place trois comités spécialisés avec des missions spécifiques. Il s'agit du comité de pilotage qui veille sur l'équilibre du régime, du comité d'audit qui supervise les audits interne et externe et du comité d'investissement qui assure le suivi de la politique de placement. Les cotisations encaissées en 2008 se sont élevées à 3,6 milliards de DH alors que les pensions servies ont atteint 2,4 milliards DH. La CIMR représente le tiers du dispositif de retraite du secteur privé au Maroc, eu égard aux pensions servies (2 472 millions de dirhams) et aux cotisations encaissées (3 698 millions de dirhams). La CIMR regroupe 4 116 entreprises, implantées dans toutes les régions du Maroc et présentes dans tous les secteurs d'activité. Salah-Eddine Benjelloun, Consultant chercheur, associé gérant du Cabinet Astrolabe Consulting. Dans quelle mesure la gouvernance «passée» des régimes de retraites est-elle responsable de la situation actuelle ? L'analyse rigoureuse de la question met en jeu un ensemble d'éléments qui renvoient à des dimensions aussi bien socioéconomiques que politiques. Certes, tous les régimes de retraite ont été mis en place à un moment où les actifs cotisants étaient beaucoup plus nombreux que les retraités. Dans une vision privilégiant le social à l'économique, les modes d'octroi des droits à pension et de liquidation des retraites ont pu intégrer des dispositions assez généreuses. Le financement des retraites par répartition permet, en vertu du contrat implicite de solidarité intra et intergénérationnelle, de prendre en charge de telles largesses pourvu que l'évolution du rapport actifs/retraités soit favorable et que le niveau du fonds de réserve garantisse la solvabilité et l'efficacité du régime. Au demeurant, ces générosités ne sont que la partie émergente de l'iceberg. L'autre partie, la plus importante, correspondrait, vraisemblablement, aux imperfections inhérentes aux modes de pilotage des régimes. Selon que les systèmes sont à prestations définies ou à cotisations définies, le processus de régulation consiste à adapter les cotisations aux prestations ou l'inverse. Pour ce faire, la détermination du taux de cotisation ou de la valeur du point de retraite permettant d'assurer l'équilibre financier sur une durée donnée nécessite l'élaboration de projections actuarielles fondées sur des hypothèses dont le caractère incertain peut être à l'origine de générosités allant à l'encontre de la viabilité financière des régimes. Les effets des réformes de retraites sur les situations individuelles des retraités, sont rarement débattus, pourquoi ? Les réformes (paramétriques) engagées par les principaux régimes de retraite visaient essentiellement la réduction des dépenses d'allocations de retraite par une baisse du rendement technique des régimes, ou alors l'augmentation des ressources par une hausse progressive des taux de cotisation. L'objectif étant de faire face aux déséquilibres financiers à venir. Le débat sur la réforme des retraites s'est donc focalisé sur l'équilibre financier à long terme des régimes, mettant en lumière des notions d'«horizon de viabilité», de «dette implicite»..., certes pertinentes, mais moins parlantes pour le grand public, pour justifier l'urgence de la réforme. Les évaluations actuarielles réalisées au niveau global permettent, assurément, d'appréhender l'impact des mesures envisagées sur la viabilité financière à long terme des régimes. Mais, les projections démographiques et financières élaborées sont généralement fondées sur des carrières moyennes. Les résultats ainsi obtenus ne tiennent guère compte de la diversité des situations individuelles. Or, les pensions de retraite sont fortement liées aux parcours professionnels: elles dépendent étroitement des densités de déclaration, des salaires perçus durant la carrière professionnelle ou des cotisations versées en période d'activité. L'évaluation des effets des réformes sur les situations individuelles des retraités et les aspects liés à l'équité intra et intergénérationnelle sont ainsi relégués au second plan, voire ignorés. Force est de constater que la plupart des évaluations réalisées et diagnostics établis ne permettent guère d'apporter des éléments de réponses à de nombreuses interrogations: les réformes engagées ont-elles atténué les inégalités ou, au contraire, les ont-elles aggravées ? Les mesures et ajustements mis en œuvre ont-ils tenu compte des conséquences négatives des «aléas» de carrière et de précarité qui caractérisent singulièrement certaines catégories de salariés ou secteurs d'activité ? En définitive, au fur et à mesure que les réformes sont engagées, l'ampleur et l'évolution des gains et des pertes de rentabilité de l'«opération retraite» sont occultées ! Concrètement, quelles ont été les effets des réformes sur les situations individuelles ? La réforme de 2002 ayant augmenté à la fois le salaire plafond et le taux de cotisation a été à l'origine d'une redistribution régressive favorisant les assurés à hauts salaires au détriment de ceux à bas salaires. Au demeurant, les réformes ayant porté sur l'augmentation du salaire plafond et l'élargissement de l'assiette du salaire de référence ont été de nature à aggraver les inégalités entre retraités. Durant une décennie, la CIMR a engagé trois réformes paramétriques, graduelles et peu visibles. A l'horizon de 2040, la pension moyenne servie par la CIMR représenterait moins de 6 % du salaire moyen. En fait, la dégradation du niveau relatif de la pension CIMR est corroborée par les niveaux insoutenables qui seraient atteints par le rapport actifs/retraités, mais suffisants pour « honorer » les pensions en « peau de chagrin » promises par la Caisse. A partir de 2010, année où le rendement technique du régime serait à son niveau le plus bas (8,87 %), les pensions seraient réduites de manière drastique en fonction de la durée de service de celles-ci : la pension serait réduite de 46,5 % pour une durée de service de 10 ans, de 54,7 % pour une durée de 12 ans et de 64 % pour une durée de 20 ans.