Driss El Yazami. Président du CNDH Driss El Yazami revient sur la campagne actuelle des déplacements forcés menés contre les migrants au nord du Maroc. Le président du CNDH parle «d'allégations» et promet «un rapport prochainement sur ce sujet». Depuis août 2018, les services de sécurité déplacent les migrants du nord vers le sud. Quel est votre avis sur ces opérations ? Cette année, nous constatons un changement des routes migratoires vers l'Europe. Depuis janvier 2018, le nombre de personnes ayant accédé illégalement à l'espace européen à partir du Maroc a dépassé celui des personnes ayant transité par la Libye. Cela prouve l'existence des réseaux de traite des êtres humains depuis le Maroc. Il est donc légitime et normal que les gouvernements, dans le monde, contrôlent et empêchent le franchissement illégal de leurs frontières. C'est ce que fait le Maroc. Cependant, cette mission doit se faire selon deux conditions : le respect du cadre légal du pays et le respect des droits fondamentaux du migrant. Même une personne dépourvue de titre de séjour a des droits fondamentaux. Je rappelle que le Maroc est signataire de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. De nombreux témoignages font état de violations de ces droits.... Il existe des allégations de non respect de ces droits. Pour sa part, le CNDH est en train de rassembler des éléments sur ce sujet et de recouper les informations qui circulent. Nous assumons pleinement notre responsabilité en tant qu'institution nationale des droits de l'Homme. Nous avons tenu, le 25 octobre dernier, une réunion avec les associations de migrants pour recueillir leurs points de vue et vérifier les informations qui nous parviennent. Ne risque-t-on pas de réduire à néant tout le travail réalisé depuis 2013 grâce à la Stratégie nationale d'immigration et d'asile (SNIA) à cause de ces déplacements forcés ? C'est votre point de vue. Je pense qu'il faut vérifier ces allégations de violations des droits. Sur un autre registre, d'autres chantiers sont menés pour faire aboutir la SNIA. Cette stratégie ne se limite pas à la lutte contre les réseaux de trafic d'êtres humains. À titre d'exemple, deux projets de lois sont en cours de préparation par le gouvernement. Le premier concerne le droit à l'asile que le CNDH s'est procuré. Nous avons émis des observations sur ce texte. Nous savons aussi que l'Exécutif prépare un nouveau texte sur l'immigration. J'espère qu'il nous le transmettra pour avis. Des migrants sont toujours dans des commissariats de Nador et Tanger. Est-ce que ces arrestations se font dans le respect des lois marocaines ? Notre commission régionale Tanger-Tétouan-Al Hoceïma est en train de rassembler le maximum d'éléments sur ce sujet. Maintenant, il faut accepter qu'une institution nationale des droits de l'Homme ne soit ni un journal, ni une ONG. Je vous demande votre avis en tant que CNDH… Vous me posez une question sur un fait d'actualité alors que notre démarche est de ne pas publier de communiqués. Nous travaillons sur la base de rapports. C'est notre manière de procéder et il faut l'accepter. Cette situation ne traduit-elle pas un recul en matière des droits des migrants au Maroc ? Ce qui se passe actuellement doit être suivi de près mais sans céder à cette image prégnante que l'Afrique envahit l'Europe. C'est l'arrière plan de votre raisonnement. Depuis 2015, les médias européens présentent la réalité migratoire comme si toute l'Afrique veut envahir l'Europe. Je rappelle que la majorité de la migration en Afrique est intra-continentale, c'est-à-dire que 4 africains sur 5 émigrent au sein du continent. Les médias installent cette idée que tout le monde veut traverser alors que ce n'est pas vrai. Le CNDH suit-il des refoulements annoncés par le gouvernement ? Il y a en ce moment des tentatives illégales de franchissement des frontières. Les opérations de lutte contre ces actions doivent se faire en respect des deux conditions que j'ai évoquées plus tôt. Après, si un refoulement doit avoir lieu, il doit se faire dans des conditions garanties par la loi 02-03 relative à l'immigration. Est-ce que vous pouvez garantir que ces refoulements se déroulent dans le respect de cette loi ? Je ne peux rien vous garantir. Par contre, ce que je peux vous garantir, c'est un monitoring du CNDH sur toute cette thématique. Quand ce rapport sera-t-il rendu public ? Il sera publié quand nous disposerons d'assez d'éléments sur ce sujet. Le Maroc accueille le sommet onusien pour la signature du Pacte mondial pour les migrations en décembre prochain. Ces derniers événements ne risquent pas d'entacher l'image du Maroc en matière de droits des migrants ? Il faut respecter les droits de l'Homme non pas parce qu'on accueille un événement ou que l'on a une réputation à soigner. Il faut respecter les droits humains parce qu'ils sont fondamentaux.