Nabyl Lakhdar, Directeur général de l'Administration des douanes et des impôts indirects (ADII) Pour le directeur général de la Douane marocaine, aussi bien la Zone de libre-échange continentale (ZLEC) qu'une probable adhésion du Maroc à la CEDEAO seront bénéfiques pour le royaume. Pour Nabyl Lakhdar, il ne faudrait pas s'attendre à une baisse des recettes douanières mais plutôt à une hausse des exportations marocaines. Interview exclusive. Les Inspirations ECO : Quelle appréciation globale faites-vous de l'activité douanière en Afrique ? Nabyl Lakhdar : C'est une excellente question qui mérite d'être évoquée pour plusieurs raisons : la première est que les tous les pays africains, Maroc compris, ont besoin de recettes car ce sont des pays en développement. Nous avons besoin de budgets pour investir dans les infrastructures et l'Etat a besoin de faire du rattrapage. Il faut que nos Etats soient capables de collecter des recettes. Tous nos pays sont confrontés aux mêmes défis : contrebande, informel, les gens qui ne paient leurs impôts, etc. On a donc nécessairement besoin de deux administrations fortes, professionnelles et modernisées, à savoir la Douane et les services des impôts. Les Douanes africaines sont confrontées à un manque de moyens et de ressources. Par contre, sur les ressources humaines, le niveau des gens est impressionnant, il est excellent. Surtout le plan technique et de la vision. Sont-elles au même niveau que les autres douanes à travers le monde ? Nous nous retrouvons régulièrement à l'Organisation mondiale des douanes et celle-ci émet des normes, ce qui fait que toutes les douanes du monde travaillent sur les mêmes projets. Par exemple, sur l'analyse de risques et les procédures douanières, c'est la même chose partout. Vous trouverez que la douane américaine y travaille au même niveau qu'une douane d'un pays en développement. On peut retrouver une différence de taille et de dimension, mais les méthodes sont les mêmes. Que faut-il pour rendre les douanes africaines plus performantes ? La feuille de route est très claire. Nous avons deux grands sujets : la maîtrise du contrôle et la facilitation. Notre souci est de savoir comment accélérer le passage des marchandises en douane, c'est-à-dire l'import-export, tout en améliorant le contrôle. En tant que douane, on nous demande quatre choses. La première, c'est d'être rapide sur les délais car les gens ne veulent pas que leurs marchandises restent dans les aéroports et les ports. La deuxième, c'est que les formalités douanières soient simples. Troisièmement, on attend de nous de la transparence, notamment dans l'exigence des documents. Enfin, on nous demande de plus en plus du conseil car les formalités au plan mondial deviennent de plus en plus complexes en raison de l'accélération et du changement des méthodes et de comportement. Les choses vont tellement vite qu'il faut, en continue, se mettre à jour dans notre domaine. Comment l'ADII se prépare à l'entrée en vigueur de la ZLEC ? Nous sommes sereins par rapport à la ZLEC. Nous avons travaillé sur les différents sujets qui nous concernent et continuons de le faire. Trois points nous concernent : la nomenclature, les règles d'origine et le tarif extérieur commun (TEC). Ce qui nous inquiète à propos de la ZLEC, c'est plutôt son interaction avec les autres accords que nous entretenons avec des pays partenaires. Par exemple, avec la Tunisie, nous avons trois cadres de partenariats : bilatéral, les Accords d'Agadir et la Ligue arabe. Il est déjà difficile pour les opérateurs de se retrouver avec ces trois cadres alors que dire si la ZLEC venait à s'y ajouter ? Cela complexifie les choses, d'autant plus que ce sont les mêmes sujets qui sont discutés aussi bien dans la ZLEC, la CEDEAO, l'union douanière arabe, etc. La même situation est de mise en ce qui concerne les codes douaniers : nous avons le code douanier marocain, arabe, bientôt celui de la CEDEAO et la ZLEC. Donc, il faut vraiment trouver le plus petit dénominateur commun sur lequel nous travaillerons une fois pour toute. C'est-à-dire... ? Je pense qu'une optimisation s'impose. En tant que techniciens, nous travaillons à les simplifier afin qu'une fois que l'opérateur fera face à tous ces accords, il puisse se retrouver facilement et que les opérations se fassent avec simplicité. Pensez-vous que la ZLEC sera une bonne chose pour l'économie marocaine ? Oui, la ZLEC sera fatalement une bonne chose pour l'économie marocaine car nous serons en zone de libre-échange à l'échelle africaine. Je vous explique, au moins en ce qui concerne les recettes : aujourd'hui, le Maroc importe globalement pour 435 MMDH de marchandises et à peine 100 MMDH sont taxables. Tout le reste rentre sans payer de droits d'importation. Sur ces 100 MMDH taxables, ce qui est importé des pays africains reste minime et la plupart des produits sont déjà compris dans les 345 MMDH déjà exonérés de taxes. Donc l'impact de la ZLEC sur les recettes douanières marocaines sera minime. Pas d'impact négatif sur les recettes, mais pourra-t-elle accélérer le commerce avec le reste de l'Afrique ? En effet, il sera intéressant, avec la ZLEC, de substituer des produits importés de l'Union européenne par exemple par des produits africains. Le Maroc pourra ainsi faire de la diversification et par conséquent avoir des prix plus compétitifs et plus de choix. Ce sera donc très bénéfique pour notre balance commerciale et diminuera la sortie de devises. Enfin, je préfère, en tant que Marocain et Africain contribuer à favoriser le commerce intra-africain qu'avec d'autres continents. En même temps, c'est une bonne affaire pour les exportations marocaines... La ZLEC pourra renforcer les exportations marocaines, qui sont déjà en hausse ces dernières années sur le continent. Nous avons une meilleure connaissance des marchés africains, par conséquent ces exportations pourront s'accélérer, sachant que les relais des opérateurs économiques marocains sont déjà présents dans la plupart des pays. J'entends par là les banques, les assurances, Royal Air Maroc, etc. Toutefois, nous devons veiller à ce que les échanges avec l'Afrique soient effectivement «gagnant-gagnant» car tout partenariat déséquilibré ne sera pas durable et j'invite aussi les opérateurs marocains à s'inspirer de leurs collègues africains car ils savent être résiliant et créatifs dans des conditions pas toujours favorables. Quels autres conseils donneriez-vous aux opérateurs économiques marocains pour mieux profiter de la ZLEC et de la CEDEAO ? Vous savez, l'opérateur économique est par nature quelqu'un de rationnel. Son objectif est de gagner de l'argent, donc il a juste besoin d'une chose : avoir de la visibilité. Que s'il exporte, sa marchandise ne soit pas bloquée dans tel ou tel port par la douane. Je n'ai donc pas de conseils à leur donner. Ils ont besoin de visibilité et c'est cette visibilité que nous essayons de leur offrir. Est-ce que les retombées attendues de la ZLEC seront les mêmes qu'avec la CEDEAO ? Je pense que les retombées seront également bénéfiques avec la CEDEAO. Aussi bien la ZLEC que la CEDEAO sont bénéfiques pour le Maroc de façon générale. Il y aura sûrement des secteurs qui ne seront pas favorisés, mais si on fait la différence, ce sera globalement positif. Mais est-ce que les produits africains parviennent à s'exporter facilement vers le Maroc ? Lorsque vous importez des produits et que vous respectez les process, ils rentrent facilement au Maroc. Quand vous importez de la nourriture et que vous disposez des certificats nécessaires, elle rentre facilement. Dans le cas contraire, c'est-à-dire que si ces produits ne disposent pas des certificats des pays d'origine, ils ne doivent pas et ne pourront pas entrer. Franchement, le Maroc est plutôt un «trop bon élève» en ce qui concerne les règles du commerce. Nous n'avons pas de barrières non tarifaires à appliquer systématiquement. Des efforts sont-ils faits pour améliorer les opérations au poste frontalier de Guerguerate, point essentiel dans les échanges avec l'Afrique subsaharienne ? Guerguerate est un point particulier. Ce poste a été informatisé récemment et le processus de rodage est en cours. Nous le mettons à niveau. Les gens ne sont pas tout à fait habitués à ce type d'opérations et de procédures. Nous avons reçu les commerçants de Guerguerate récemment et nous espérons une amélioration très prochainement.