Il a suffit que Benkirane aille s'asseoir avec les députés de son parti et que Karim Ghellab aille le faire dans la loge des ministres pour déclencher la polémique. Les députés USFPéistes y ont vu une perche tendue pour tenter de stopper l'élection, qui devait passer comme une lettre à la poste, de Ghellab à la tête du Parlement. Le parti de la rose, qui avait déjà décidé de s'abstenir lors du vote, n'est pas allé de main morte pour bloquer le vote en mettant en avant le flou juridique marquant la candidature d'un ministre sortant à la tête de la chambre des Représentants. En effet, l'article 14 de la loi organique régissant le Parlement plaiderait contre le cumul du poste de ministre et celui président du Parlement. En clair, le ministre sortant aurait du présenter sa démission pour constitutionnaliser sa candiadature. Le groupe USFP a donc décidé de quitter la séance avant le passage au vote. Plus encore, les ennuis de la nouvelle majorité et de son candidat déclaré ne s'arrêtent pas là. En effet, le Rassemblement national des indépendants a ainsi déjoué les pronostics en présentant son propre candidat. Le RNI la joue solo, puisque c'est bien son candidat et point celui de l'opposition ni celui du G8. À l'heure où nous mettions sous presse, le vote allait commencer. On se dirige donc vers une élection de Karim Ghellab. Toutefois, cette élection sera plus contextée que prévu. Il faut rappeler que la candidature de Ghellab avait eu l'adhésion des composantes de la majorité, des partis du centre et des cinq députés du groupe «Al Mostaqbal». Pour leur part, les parlementaires de l'opposition ont préféré «accepter la logique de la majorité et le G8 n'a pas discuté cette question d'un vote commun des partis de l'Alliance», explique Mohamed El Ouchari, député de l'Alliance pour la Démocratie au sein du Parlement. «Le compromis obtenu au sein de la majorité à propos du nouveau président a été réussi et nous ne pouvons que suivre la logique démocratique», conclut le numéro 2 du parti travailliste. Il en ressort donc que l'opposition n'a pas voulu mener une première bataille, juste pour afficher son poids parlementaire. Pour le PJD, le vote, hier, au sein de la Chambre des représentants était le moment de vérité pour tester la concordance des points des composantes de la majorité. Passé ce test, la majorité parlementaire a plusieurs urgences à régler, à commencer par le vote de la déclaration de politique générale et la loi des finances 2012. À ces deux textes très attendus, s'ajoutent d'autres priorités tracées par la nouvelle Constitution. La nouvelle loi organique des membres du gouvernement et le nouveau règlement intérieur sont les dossiers les plus chauds pour la majorité, mais aussi pour l'opposition, qui doit absolument sortir de sa léthargie et se montrer plus énergique lors de la composition des commissions et de la refonte du système de contrôle du travail de l'Exécutif. Les idées existent déjà Les séances hebdomadaires des questions et des commissions sont par ailleurs des chantiers prioritaires. Les principaux axes de cette refonte juridique en gestation devront être validés par les députés durant cette étape de restructuration. C'est ainsi que les députés vont devoir changer leurs modes de contrôle hebdomadaire du gouvernement. Le très large pouvoir discrétionnaire du gouvernement, qui peut esquiver toute question jugée inopportune sera abrogé. La réforme des questions écrites et orales est également chose obligatoire avec les nouvelles dispositions constitutionnelles. Plusieurs idées clés du nouveau réglement intérieur font déjà l'objet d'un consensus au sein des groupes parlementaires. Les devoirs de l'information des députés sur le travail gouvernemental seront ainsi renforcés, avec des questions posées directement aux membres du gouvernement, ainsi qu'aux directeurs des établissements publics qui peuvent être auditionnés par les commissions. D'autres moutures pour la réforme du travail parlementaire mentionnent de leur côté les séances hebdomadaires «thématiques» pour chaque département. La réduction des questions écrites est aussi recommandée. Par contre, le nombre des commissions ne va pas être revu à la baisse, selon les suggestions actuellement en discussion, mais il s'agira de définir à l'avance les commissions qui seront présidées par les partis de l'opposition. La casquette diplomatique Et, à la question de connaître les dossiers chauds qui seront entamés sous la coupole, «le partenariat avec l'UE et la défense des intérêts stratégiques et vitaux du Maroc seront les deux principaux objectifs de la diplomatie parlementaire», explique-t-on. Le constat est pratiquement unanime chez les députés, notamment les 30 jeunes qui s'avèrent un acquis dans cette optique. Plusieurs recommandations sont en cours de discussion et devraient être traduites en une feuille de route à suivre pour que les parlementaires ne restent plus de simples figurants sur la scène diplomatique marocaine. Les voyages diplomatiques, l'identification de nouveaux partenariats et l'activation de nouvelles structures exclusivement dédiées au rôle diplomatique des députés sont les trois principales idées retenues actuellement et qui sont en phase d'étude pour être activées au sein des nouvelles règles de fonctionnement des deux Chambres. Il s'agit de dynamiser le processus du lobbying exercé par les parlementaires et qui a montré ses limites à l'occasion du rejet du renouvellement de l'Accord de pêche. La nouvelle Constitution a pu au passage éliminer énormément d'obstacles qui se dressaient devant une pleine implication des députés dans la vie diplomatique, à commencer par le droit d'information garanti aux députés, ce qui leur permettra de contrôler le gouvernement dans tous les dossiers ayant trait à la politique étrangère. Il faut y inclure les nouvelles mesures relatives à l'approbation des conventions et des traités internationaux, qui laissent une marge de manœuvre assez large pour les députés, pour une réelle influence sur les engagements pris par le Maroc. Mly M'hamed El Khalifa Député de l'Istiqlal. «Les députés de la majorité ont pu confirmer leur engagement» Les Echos quotidien : Quel est votre avis sur la logique qui a été respectée lors du vote ? Moulay M'hamed El Khalifa : Le nouveau président du Parlement a eu l'aval et l'adhésion des composantes de la nouvelle majorité et cela ne peut que le conforter dans ses nouvelles missions. Cette élection favorisera-t-elle le rendement des députés de l'Istiqlal lors de cette législature ? Absolument pas. Le nouveau président est actuellement à la tête du pouvoir législatif. C'est une mission qui a une extrême importance, en termes politique et protocolaire et son exercice doit se dérouler d'une manière neutre à l'égard de tous les groupes parlementaires. Il faut savoir qu'à côté du président, les chefs de groupes parlementaires ont eux aussi leur mot à dire et la nouvelle structuration du Parlement offre aux autres organes des pouvoirs étendus, y compris pour les petits groupes parlementaires. Pensez-vous que la majorité a passé le test le plus difficile ? Cela est vrai, car le vote secret pour l'élection du nouveau président reflétait plus la conviction des parlementaires et leur attachement à la configuration politique issue de la nouvelle carte parlementaire. Les députés de la majorité ont donc pu confirmer leur engagement, au moment ou l'interdiction de la transhumance en cours de mandat ne pouvait que conforter ce bon départ de l'institution parlementaire. Karim Ghellab, le cadet des présidents Natif de la préfecture de Ben M'sik dans laquelle il s'est toujours porté candidat, Karim Ghellab est le plus jeune président parmi les neufs leaders politiques qui ont pu accéder à ce poste depuis le premier Parlement de 1962, présidé alors par Abdelkarim El Khatib, le fondateur du PJD. Né le 14 décembre 1966 à Casablanca où il a suivi toutes ses études, sanctionnées en 1984 par un bac E (math/techniques) au lycée Lyautey, Ghellab devient par la suite lauréat de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris, en 1990. En 1994, il intègre pour la première fois le ministère de l'Equipement, avant de rejoindre en 2001 le Groupe ONA pour un bref passage à Tanger Free Zone. Il doit son premier portefeuille ministériel au gouvernement de Driss Jettou où il occupe le poste de ministre de l'Equipement et des transports depuis novembre 2002. Une responsabilité qu'il a pu garder pendant plus de 9 ans après sa re-nomination par Abass El Fassi. Celui qui représente la jeune génération du parti de l'Istiqlal, et qui a un goût particulier pour les arts martiaux, a devant lui un énorme chantier de restructuration, à l'instar de ce qu'il a réussi pour le secteur du transport. Cependant, cette fois, la mission s'annonce davantage plus rude avec une série de réformes cruciales pour lesquelles il ne doit surtout pas confondre vitesse et précipitation. Karim Gellab, qui va passer du banc des contrôlés à celui des contrôleurs, doit aussi vite oublier sa casquette partisane et sa qualité de député et membre du bureau politique du parti de la balance. Président des 395 parlementaires, le chef du Parlement sera le mandataire de la première Chambre lors des discussions chaudes attendues avec l'instance présidée par Mohamed Cheikh Biadillah en vue d'harmoniser les réglements intérieurs des deux chambres. Le nouveau président sera également très attendu en ce qui concerne les missions à l'étranger et le rôle diplomatique réclamé par les députés.